La CGT : pour un syndicalisme offensif

P hilippe Martinez a été élu le 3 février 2015, secrétaire général de la CGT par le Comité Confédéral National (CCN) de la CGT, avec 93,4 % des voix.

Cette élection vient clore une crise interne inédite pour le syndicat depuis sa création. Mais ceci n’est que le début. L’impact de la crise économique sur les organisations ouvrières telles que les syndicats va entrainer d’autres crises.

Ce fut une des successions les plus houleuses et compliquées que la CGT ait vécue. Bernard Thibault a commis des erreurs lors de ses quatre mandats qui ont égratigné sérieusement son image et son autorité sur les syndiqués. Ce fut d’abord le traité constitutionnel européen, pour lequel Thibault prit position        « pour » sans avoir pris l’avis du CCN. Rappelé à l’ordre, le CCN décida que la position de la CGT serait « contre » le traité, malgré la position du secrétaire général. Beaucoup de militants CGT ont milité activement contre le traité, et finalement celui-ci fut rejeté. Cela engendra une fissure entre le secrétaire général et une grande partie des militants actifs.

Mais en 2006, les actions contre le CPE ont permis à la CGT de se « retrouver », les grèves interprofessionnelles, même sur une journée, ont permis de faire reculer le gouvernement. Il est clair que la CGT aurait pu et dû aller plus loin ; la mobilisation était importante, des grèves reconductibles commençaient à poindre, l’unité entre salariés et étudiants devenait une force énorme. Néanmoins cela fut mis à son crédit, car nombre de militants ont considéré, à juste titre, que la non-application de la loi était une victoire.

Mais en 2007 le secrétaire général perdit une partie de l’aura redorée par le CPE. En refusant de prendre parti lors de l’élection de 2007, et en affirmant « on jugera sur pièces » après l’élection de Sarkozy, il agaça nombre de militants qui savaient très bien que les pièces de Sarkozy allaient leur tomber dessus comme des bombes ! L’image de trop fut la photo où Thibault quitte l’Elysée sous le sourire de Sarkozy. La presse parlait d’idylle entre l’ancien cheminot et Nicolas le petit ! Les syndiqués ne comprenaient pas, souhaitant que cette connivence cesse au plus vite.

Vint ensuite 2010, l’attaque contre les retraites provoque une réaction énergique de la CGT, d’un côté la base qui se mobilise avec des salariés se lançant dans une grève illimitée et d’un autre une direction confédérale qui continue de vouloir négocier pour « arracher » des avancées sous l’action d’Eric Aubin et d’Eric Lafont. Les journées « saute-mouton » finissent par venir à bout de la combativité des militants et la loi passe pour une régression d’importance des conditions de vie pour les salariés. La direction se félicite à bon compte de l’ampleur des manifestations et tente de faire passer les demi-miettes arrachées comme des victoires. Pour autant les militants les plus actifs ne voient que la défaite, malgré des conditions favorables jamais connues depuis le CPE voire même depuis 1995. Cette défaite interrogea les militants : comment se faisait-il qu’en arrivant à des manifestations aussi voire plus importantes que pour le CPE, le gouvernement n’ait pas cédé ? La situation économique n’était plus la même. La crise capitaliste commencée en 2008 oblige le capitalisme à s’en prendre plus fermement aux acquis des salariés, et des « marcheurs », même très nombreux, ne l’impressionnent plus !

En 2012, en pleine préparation du congrès, la CGT, par la voix de son secrétaire général, appelle à battre Sarkozy au premier et au second tour. Thibault ayant sûrement tiré les conclusions de ses fautes de 2005 et de 2007, savait que sa base n’accepterait pas une neutralité dans ces élections. C’est dans cette situation que Bernard Thibault arriva au 50ème congrès.  Il avait alors son idée sur celle qu’il veut voir lui succéder à la tête de notre syndicat. Nadine Prigent est sa favorite. Mais Eric Aubin, le « négociateur » des retraites, qui a eu une couverture médiatique à ce moment, voudrait  bien lui aussi la place, d’autant qu’il a le soutien de fédérations importantes (cheminots, métallos ou l’UD 13 etc.).

C’est alors une véritable guerre ouverte entre Thibault et Aubin. Pour le militant de base il est difficile de prendre position, car à aucun moment les prétendants ne présentent clairement un projet pour la CGT. Seul le nom du ou des candidat(e)s est mis en avant. Mais Thibault n’avait plus la légitimité et l’autorité pour « imposer » un nom. La vision que la plupart des militants de base pouvaient avoir de cette situation est le mieux résumée par Caroline Ferreira, pourtant membre de l’équipe dirigeante, et qui parle de « lutte des places en lieu de la lutte des classes ».

Pour faire cesser les tergiversations, le nom de Thierry Lepaon est sorti comme une sorte de compromis, malgré le mécontentement d’Eric Aubin et de Nadine Prigent.  Ce compromis a permis, en substance, d’éviter un vrai débat sur le programme et les méthodes de lutte de la CGT.

La très grande majorité des militants ne connaissaient pas le nouveau secrétaire général. On savait seulement qu’il fut secrétaire d’UD, de comité régional et ancien de Moulinex. Thierry Lepaon se retrouvait donc à la tête du syndicat avec autour de lui, au sein du bureau confédéral, deux clans à couteaux tirés. Très vite il fut clair que le secrétaire général était en sursis. Toutes les démarches entreprises pour donner corps à ce qui remontait des bases syndicales, à savoir la nécessité d’une lutte globale contre le système était systématiquement contré par ses opposants. Quand le CCN décidait d’une journée d’action interprofessionnelle, certaines fédérations lançaient des journées d’action avant ou après la date choisie par le CCN.

L’élection de François Hollande fut aussi une difficulté supplémentaire. En effet, la CGT avait appelé clairement à battre Sarkozy et donc à voter, au deuxième tour, Hollande, mais tous les syndiqués ne mettaient pas la même chose derrière ce vote. Certains remettaient entre les mains de Hollande « tous leurs espoirs d’amélioration », quand d’autres pressentaient la nécessité de mettre la pression sur le gouvernement, auquel ils ne faisaient à priori aucune confiance.

Ainsi, au niveau de la direction confédérale, certains veulent lutter contre Hollande quand d’autres voudraient que la CGT soit « plus constructive » à l’égard du gouvernement « socialiste ». Une véritable guerre de tranchées était à l’œuvre au sein du bureau confédéral. La position de Thierry Lepaon devenait insoutenable, et, pour finir, une « fuite » interne mit en lumière des procédés que l’ensemble des syndiqués ne pouvaient que rejeter. Malgré les tentatives pour sauver sa tête, l’issue ne pouvait être que la démission. Lâché par tous, Thierry Lepaon ne put se maintenir. La brèche ouverte était trop importante. Le mécontentement de la base et les questions qui envahissaient les instances du syndicat ont forcé la direction confédérale à calmer les choses en élisant Philipe Martinez comme secrétaire général.

Les premières déclarations du nouveau secrétaire semblent aller vers une CGT plus active et dans la lutte. Il semble aussi vouloir permettre le débat le plus large possible au sein de la CGT pour que les syndiqués s’expriment et donnent leur vision de la CGT. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Néanmoins l’élection d’un secrétaire général ne répond pas aux interrogations légitimes des syndiqués ; elle ne fait pas disparaître, non plus, les tensions au sein de la direction confédérale.

Dès son installation, des signes inquiétants se font jour notamment sur le lien entre fédérations et territoires. Certaines fédérations ne digèrent pas l’attitude de nombreuses UD qui voulaient en finir avec la guerre des chefs et souhaitaient un nouveau secrétaire général rapidement pour agir et pour permette la meilleure préparation de congrès possible (pour avril 2016).

Nous constatons que les tensions qui secouent la CGT sont loin d’être totalement apaisées, la question centrale qui clive la CGT reste, in fine : doit-on s’adapter au capitalisme ou lutter pour en finit avec ce système ? Tant que cette question centrale ne sera pas posée clairement, tant que les syndiqués ne s’empareront pas de ce débat, tant que certains utiliseront les dissensions pour leurs intérêts personnels, nous connaîtrons de nouvelles crises internes.

A l’heure où le capitalisme ne peut plus laisser en place les conquêtes sociales du passé, la CGT est mise face à sa responsabilité vis-à-vis du salariat. Elle doit faire prendre conscience aux salariés de la force qu’ils représentent, de l’impasse d’un système dans lequel la majorité est soumise aux intérêts d’une infime minorité capitaliste, et que la majorité doit trouver la place qui lui revient devant l’histoire, c’est-à-dire celle de diriger la société !

Sylvain Roch

CGT AFPA Limousin

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