L’énergie au cœur de la guerre

Il est devenu évident aux yeux de tous que l’énergie est au centre des conflits. Depuis 2021, son prix augmente de façon considérable. Nous avions expliqué dans ce texte les raisons de son envolée : demande en hausse avec la reprise de la production mondiale bien que modérée, problème d’approvisionnement dû aux infrastructures d’extraction et d’acheminement défaillantes par manque de pièces pour le maintien en conditions opérationnelles, spéculation des capitalistes … La guerre en Ukraine n’est pas la cause de l’inflation du prix de l’énergie, elle ne fait qu’exacerber ce phénomène. Les magnats du secteur de l’énergie, en tant que capitalistes, sont des opportunistes en recherche de profits maximum. Pour les capitalistes, le conflit en Ukraine est l’occasion de spéculer sur les prix, de s’enrichir davantage. Leur rapacité alimente la spirale inflationniste, dégrade les conditions de vie pour une large partie de la population et d’autres sont plongées dans la barbarie de la guerre.

Le secteur du gaz est pour les Européens celui qui est le plus sous tension. Avant le conflit, l’Europe dépendait à 40% des importations de la société russe Gazprom. Pour certains pays comme l’Allemagne la dépendance montait à plus de 55%.  Dans la guerre qui oppose les Russes à l’Ukraine et les pays occidentaux par procuration, la question du gaz est devenue un enjeu majeur. Les exportations de gaz russe vers l’Ouest ont diminué jusqu’à arrêt complet. D’un côté les Occidentaux fustigent Poutine, empilent les sanctions économiques dans l’espoir d’affaiblir la Russie mais de l’autre restaient dépendants de son gaz et se retrouvent aujourd’hui dans l’embarras. L’infrastructure productive est dépendante du gaz dans une certaine mesure avec des différences selon les pays. Les déclarations cyniques des dirigeants politiques à l’encontre de la Russie du type « nous devons arrêter d’importer du gaz russe pour ne pas financer la guerre » pour se donner bonne figure ne masquent pas le fait qu’ils ont toujours été aux avant-postes dans la défense des intérêts du capital qui passait par l’importation de gaz russe depuis des décennies.

L’infrastructure productive est dépendante de l’énergie. Sans elle, il ne peut y avoir de production. La diminution des stocks disponibles d’énergie pour un Etat signifie une diminution de la productivité des entreprises, un déclassement économique et par conséquent un déclin du capitalisme national. Les Russes jouent sur cette corde sensible, en diminuant leurs exportations de gaz vers l’Ouest. Cependant, il leur faut trouver de nouveaux débouchés par s’assurer des recettes. Les deux camps se livrent une guerre économique pour s’affaiblir l’un l’autre également sur le plan militaire.

Figure 1: évolution du prix du gaz naturel (en %)

 

Le cas allemand

A ce « petit » jeu de la guerre économique entre le capitalisme russe et le capitalisme européen occidental, il semblerait que ce dernier soit le plus perdant sur le moyen terme. Des membres de l’UE, les Allemands sont parmi les plus réticents à infliger des sanctions économiques plus sévères envers les Russes tout particulièrement en ce qui concerne le gaz. L’Allemagne était très dépendante des importations de gaz russe et depuis la coupure d’approvisionnement, ils sont dans l’obligation de rationner. Le gaz participe en partie au fonctionnement de l’industrie allemande qui est la plus puissante d’Europe. Un affaiblissement de son industrie contribuerait à faire plonger son économie ce qui est devenu quasi inéluctable à ce stade. Réunis fin juillet, les membres de l’UE ont cherché un plan d’économie d’énergie en cas d’arrêt complet des exportations russes.  Bien que les Allemands aient plaidé la solidarité européenne pour le partage du gaz en prétextant qu’une chute de leur économie aurait des répercussions sur l’ensemble des pays de l’Union, cette politique n’a pas été retenue par l’ensemble des membres. Mais il est intéressant d’observer les moyens auxquels les dirigeants politiques et les capitalistes Allemands ont recours pour conserver leur suprématie économique sur l’Europe. Les Grecs se souviendront de la solidarité allemande qui les a saignés à blanc durant la crise de la dette dans les années 2010 en leur imposant des mesures draconiennes et inflexibles dont la jeunesse et les travailleurs furent victimes.

L’Allemagne paye le prix fort d’une stratégie énergétique notamment sur la production d’électricité qui l’a conduit dans l’impasse dans laquelle elle se retrouve aujourd’hui. Lorsque l’Allemagne a décidé de rompre avec l’énergie nucléaire au profit des énergies renouvelables (ENR), principalement des éoliennes pour des motifs électoralistes, elle s’est rendu davantage dépendante des énergies fossiles. Les énergies renouvelables comme les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont des sources d’énergie intermittentes et non pilotables. C’est-à-dire qu’elles ne produisent pas d’électricité en permanence et dépendent d’éléments extérieurs comme le vent ou le niveau de luminosité. Par exemple, le facteur de charge d’une éolienne est en moyenne de 25%, c’est-à-dire qu’elle ne produit de l’électricité que 25% du temps. L’autre problème est qu’à ce stade nous ne savons pas stocker l’électricité en grande quantité, tout du moins avec des solutions techniquement et économiquement viables. Pour pallier ces problèmes, doivent fonctionner en parallèle des ENR, des moyens de production d’énergie pilotables comme des centrales à charbon, lignite ou gaz pour les énergies fossiles ou bien des centrales nucléaires si l’on veut disposer d’électricité en permanence. Le niveau de développement de la société actuel repose sur une énergie disponible continuellement et en abondance. Le choix des dirigeants allemands a été d’utiliser le charbon, le lignite et le gaz comme moyen pilotable avec près de 55% de sa production d’électricité.

Figure 2: mix énergétique de l’Allemagne pour la production d’électricité en 2021

 

L’économie capitaliste étant une économie concurrentielle, le lobby gazier voyait d’un bon œil le virage anti-nucléaire de l’Allemagne au profit des ENR, qui lui offrait de bonnes perspectives de développement dans le pays du fait des contraintes évoquées précédemment. Il faut comprendre que dans la production d’électricité, le nucléaire et les énergies fossiles en particulier le charbon, le lignite et le gaz sont deux secteurs dominés par des capitalistes, qui se mènent une guerre pour s’accaparer des parts de marché.

Soit dit en passant, la stratégie de l’Allemagne n’a pas permis de réduire de manière significative son impact carbone quant à la production d’électricité. La quantité de CO2 émit par KWh d’électricité produite en 2021 est de 414g. Bien que l’Allemagne fasse des efforts dans les énergies renouvelables, ce chiffre stagne depuis des années (390gCO2/KWh en 2017). À titre de comparaison, la France qui a une stratégie de production basée sur le nucléaire (qui a d’autres contraintes) n’émet que 53gCO2/KWh soit 8 fois inférieur à l’Allemagne. En début d’année 2022, sous la pression de l’Allemagne, la commission européenne a classé le gaz comme « énergie verte » sous prétexte qu’il s’agit d’une énergie de transition, transition qui risque de durer pendant très longtemps.

Source d’énergie

Quantité de CO2 émise
Charbon et lignite (énergie fossile) 1000g/KWh
Pétrole (énergie fossile) 800g/KWh
Gaz (énergie fossile) 400g/KWh
Énergies « renouvelables » 40 à 250g/KWh
Nucléaire (uranium)

10g/KWh

Tableau 1 : quantité de CO2 émit pour 1 KWh d’électricité produit (source BP Statistical Review 2018)

 

Quelle perspective pour les pays européens

Dans le contexte décrit, les États-Unis représentent une alternative pour l’approvisionnement en gaz. La guerre en Ukraine lui offre l’opportunité d’exporter son gaz de schiste dont la technique d’extraction est très critiquée du fait de son impact sur l’environnement. Les capitalistes américains vont accroitre leur emprise sur le capitalisme européen et générer des profits supplémentaires au passage. Récemment la France a conclu un contrat pour l’approvisionnement de gasoil avec les Émirats Arabes Unis qui ne se distingue ni par sa démocratie ni par son pacifisme. C’est la démonstration flagrante, mais aucunement étonnante, que derrière les belles paroles de démocratie et de protection de l’environnement tout est conditionné par les intérêts économiques.

Les stocks de gaz ne sont constitués qu’à 66 % alors que pour assurer la consommation hivernale, il faudrait qu’il soit à 80 % s’il y avait une coupure nette d’approvisionnement.  C’est la raison pour laquelle l’Union Européenne cherche à établir un plan de rationnement et d’économie d’énergie. Ce qui semble inéluctable est que le manque d’approvisionnement d’énergie va diminuer les capacités de production, augmenter leur coût et accélérer la crise économique.

Nous avons largement expliqué,  notamment dans ce texte, la relation entre consommation d’énergie,  réchauffement climatique et prospérité économique qui met à mal le mythe de la croissance verte. Le comportement des États démontre à quel point ils sont dépendants de l’énergie. Les intérêts économiques et les privilèges de la classe capitaliste sont plus puissants que tout. Pour les capitalistes, il n’est pas envisageable que des mesures de restriction et de sobriété dans le mode de production viennent freiner les profits. Mais si de telles restrictions venaient à être appliquées, elles seront le résultat du manque de disponibilité en énergie.  La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre n’est pas un motif suffisant pour venir impacter les profits capitalistes. Quoi qu’il en soit, l’application de ces mesures auraient davantage de répercussions négatives sur les travailleurs et les plus précaires que sur la classe capitaliste car tout serait mis en œuvre pour préserver autant que faire se peut leurs intérêts. La base économique du capitalisme et sa superstructure politique entre en contradiction avec la nécessité d’un mode de production plus compatible avec les enjeux environnementaux et les stocks de ressources disponibles.

Sur les bases du capitalisme, les problèmes énumérés ne trouveront aucune solution.  La crise énergétique (diminution des ressources et augmentation des prix) va se superposer à l’inflation et contribuer à la dégradation des conditions de vie. Les gouvernements feront face à des crises sociales et ils s’y préparent.

Gauthier HORDEL

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