Prix de l’énergie, où va-t-on?

La « crise du covid » qui a commencé en mars 2020 a plongé l’économie mondiale en récession. Les mesures restrictives pour enrayer la propagation du virus ont contribué à ralentissement de la production mondiale. Durant cette période les ménages ont moins consommé et ont de fait épargné. La situation des plus précaires s’est aggravée. La remise en route de la machine productive capitaliste, soutenue massivement par des fonds publics, a redémarré très fortement dès la fin de l’année 2020, mais n’a fait en réalité que partiellement rattraper le retard accumulé durant cette phase « transitoire » dans une économie déjà en stagnation.

Figure 1 : Évolution du PIB mondial (Source : Databank)

L’année 2021 est marquée par une forte augmentation des prix de l’énergie. Cette situation résulte de plusieurs facteurs. Lorsque l’étau des mesures de confinement s’est desserré, la machine productive s’est remise en route en même temps qu’une augmentation de la consommation et de la demande. L’activité industrielle s’est accélérée. Pour produire des marchandises, les industries ont besoin d’énergie (électrique, pétrole, gaz…). Sans énergie, il ne peut y avoir de production. Les besoins énergétiques ont alors décollé afin de permettre à la production de satisfaire la hausse de la demande, permettant alors de relancer l’économie et retrouver des points de PIB. La reprise de la croissance domestique est indispensable à la préservation de la puissance économique des États. La demande en énergie a alors explosé, surpassant les capacités de production.

La Chine, qui consomme énormément d’énergie pour approvisionner l’ensemble du monde en marchandises finies ou intermédiaires, a dû faire face à des pénuries d’électricité, obligeant le gouvernement à rationner sa distribution, notamment par l’imposition de coupures ponctuelles. Pour atténuer cette pénurie, le gouvernement a dû relancer des centrales à charbon et rouvrir des mines afin de produire l’électricité nécessaire à son industrie. Il en est de même pour le gaz naturel. Globalement, compte tenu de la situation tendue en approvisionnement d’énergie, les États essaient de constituer des stocks pour répondre à la demande intérieure et assurer un niveau de production capable de soutenir la « reprise » de la croissance. En même temps, les exploitations gazières ont subi des problèmes de maintenance opérationnelle à cause de la pénurie de matériel en conséquence de la période de confinement. Les États se sont retrouvés en concurrence, notamment entre l’Union européenne et la Chine pour l’approvisionnement en gaz. Le marché libéralisé de l’énergie n’échappe pas aux lois du capitalisme qui engendrent une volatilité des prix et encouragent des opérations spéculatives.

Figure 2 : Évolution du cours des énergies fossiles sur l’année 2021 (Source :tradingeconomics.com)

La Russie est le deuxième producteur de gaz au monde. Ces dernières années, elle fournit à elle seule 40 % de la consommation européenne. La société russe Gazprom est en position pour maintenir une pression en approvisionnement et déstabiliser le marché du gaz, favorisant ainsi l’inflation des prix. La crise énergétique se fait sentir à tous les niveaux. Tout d’abord, elle augmente le prix de la consommation énergétique, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. En France, les prix du gaz ont bondi à plusieurs reprises : 10 % en juillet et 12,6 % en octobre. Les mécanismes de fixation du prix de l’électricité sont liés à ceux du gaz et par conséquent le prix de l’électricité a lui aussi augmenté. Inexorablement, les coûts de production augmentent pour les entreprises jusqu’à arriver à un niveau où la production risque de n’être rentable que par une augmentation des prix. Selon l’INSEE, l’inflation des prix en octobre était de 2,6 % pour la France . Les prix de l’énergie participent à cette inflation. Tant que cette situation persiste, la part inflationniste liée à l’énergie ne fera qu’augmenter et se traduira par une diminution du pouvoir d’achat des ménages, minant la demande et ralentissant la croissance. Bien que les journalistes des médias mainstream, s’appuyant sur la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs et la baisse du chômage, claironnent en chœur que la situation économique actuelle n’a pas été aussi favorable depuis un long moment, les chiffres dévoilent une tout autre situation. La croissance mondiale est presque revenue à son niveau d’avant Covid, c’est-à-dire une situation de stagnation économique. Nous entrons dans une situation de stagflation, c’est-à-dire une croissance faible accompagnée d’une inflation des prix. Tous les travailleurs, et surtout les plus précaires, en subiront les conséquences.

Le goulot d’étranglement énergétique

Le niveau de développement de notre société repose sur la quantité d’énergie disponible et consommée. La productivité du travail est améliorée grâce au progrès technique, mais cela signifie aussi une consommation plus grande d’énergie. Ce sont les énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) qui ont largement contribué au niveau de développement que nous connaissons actuellement, au point que nous en sommes totalement dépendants. Elles représentent 84 % de l’énergie totale consommée.

C’est la raison pour laquelle la pression est si forte sur le marché de l’énergie, car la puissance économique d’un pays dépend de son accès aux ressources énergétiques. Or, il se trouve que les dernières projections sur la production d’énergies fossiles indiquent qu’elle aurait atteint ou serait proche d’atteindre un niveau où les réserves plus ou moins facilement extractibles s’amenuisent. Les connaissances géologiques et les moyens de mesure et de localisation permettent d’avoir des projections de plus en plus fiables. Il existe des réserves connues situées dans des zones difficiles d’accès et non exploitées, car nécessitant des efforts d’extraction trop importants. Ce qui signifie que les exploiter impliquerait des investissements peu ou non rentables par rapport au prix du marché de l’énergie.

Figure 3 : Projection de la production mondiale de gaz 2016 (Source : Australian Governement, Department of Infrastructure, Transport,Regional Development and Local Government)

Figure 4 : Projection de la production mondiale de pétrole 2016 (Source : Australian Governement, Department of Infrastructure, Transport,Regional Development and Local Government)

Les figures 3 et 4 sont des estimations des productions de gaz et de pétroles basées sur l’état de nos connaissances sur les réserves. Elles prennent en compte la consommation d’énergie moyenne annuelle et leurs évolutions. Suivant les circonstances économiques, par exemple un profond ralentissement économique durant la « crise du covid », le pic de production peut être décalé dans le temps, mais l’allure générale des courbes reste inchangée. Les projections prennent aussi en compte le coût et la rentabilité d’extraction, c’est-à-dire le cours des prix de l’énergie. Si le gisement n’est pas rentable, il n’est pas exploité. Sous le capitalisme, et il ne peut en être autrement, l’investissement est soumis à la rentabilité. Il est impossible de réorienter la production des entreprises sur d’autres critères que la rentabilité et le profit. Tous ceux qui prétendent imposer une réorientation de la production sans remettre en cause la propriété capitaliste sont soit des menteurs, soit des ignorants, soit un peu des deux. Alors pourquoi les entreprises commencent à s’intéresser à des technologies moins dépendantes des énergies fossiles ? Hormis le fait que les lois antipollution se durcissent par exemple dans le secteur automobile, à un moment ou à un autre les réserves seront épuisées et les technologies basées sur les énergies fossiles deviendront obsolètes. Les entreprises devront alors trouver de nouveaux débouchés. Les problèmes de gaz à effet de serre et de réchauffement climatique ne sont pas des motivations suffisantes pour pousser les entreprises capitalistes à réorienter leurs stratégies. Pourtant la situation impose de prendre des mesures radicales pour limiter le réchauffement et le dérèglement climatiques. Ce qui signifie, entre autres, d’investir massivement dans la recherche et le développement. Or la faible rentabilité des investissements impose ou imposera nécessairement un ralentissement dans la recherche et le développement pour une transformation technologique du système productif. La stratégie déployée par les entreprises se limite à celle du greenwashing afin de mieux endormir l’opinion publique vis-à-vis de leur dramatique inaction.

Il n’y a pas de candidats sérieux pour remplacer le pétrole. Les transports en dépendent à 95 %. Lorsque nous atteindrons un seuil critique dans la phase descendante de la production de pétrole, il y aura inéluctablement une baisse de la productivité du travail. Autrement dit, la production mondiale amorcera une descente. Ce qui met à mal les partisans de la croissance verte.

Lorsque les intérêts économiques des multinationales et des États sont menacés, la question climatique devient anecdotique. En parfaite contradiction avec la nécessité de recourir aux énergies fossiles, la Chine a relancé des centrales à charbon qui est la ressource la plus polluante en termes d’émission de C02. La COP 26 et celles qui suivront ne changeront rien à l’affaire. L’énergie électrique ne pourra pas à elle seule se substituer à la diminution du gaz et du pétrole quand bien même elle est produite à partir du charbon (les deux tiers de l’énergie électrique mondiale sont produits à partir du charbon). De toute évidence, l’énergie électrique prendra une place de plus en plus importante et si elle continue à être produite à partir du charbon, la limitation du réchauffement climatique à 2°C d’ici 2100 ne sera qu’un vœu pieux.

Conséquences et solutions ?

L’augmentation de la demande d’énergie se heurtera à la diminution des réserves d’énergies fossiles. Inéluctablement, les prix de l’énergie subiront des augmentations constantes affectant par la suite l’ensemble de la production mondiale. Pour les raisons expliquées plus haut, il faudra s’attendre à une déstabilisation sociale et économique plus profonde encore. Les conflits entre les États pour le contrôle des ressources seront encore plus âpres. La régression sociale s’impose déjà depuis longtemps du fait d’une diminution de la rentabilité du capital. La société capitaliste est organisée en classes sociales et les gouvernements œuvrent bon gré, mal gré, dans l’intérêt des capitalistes au détriment des autres classes et en particulier des travailleurs salariés. C’est le pouvoir économique qui décide en dernier ressort sur qui va s’abattre la régression sociale.

Le mouvement des gilets jaunes avait émergé notamment contre la hausse du prix des carburants. Il paraît alors incontournable que d’autres mouvements du même type émergeront dans les années à venir. C’est en parfaite connaissance de cause que les gouvernements mettent en place des politiques de plus en plus autoritaires, comme pour mieux se prémunir contre des explosions sociales probables. Tant que le capitalisme régnera, il sera impossible de gérer le problème de l’énergie de façon rationnelle et elle sera soumise à la spéculation extrême. La transition vers une période où il y aura une réduction de la disponibilité en énergie fossile sera brutale. Il faudrait dès maintenant tendre vers la sobriété énergétique. La conversion du système productif devrait être planifiée pour faire face non seulement à la diminution des réserves, mais aussi pour que l’activité humaine ait le moins possible d’impact négatif sur la planète et limiter le réchauffement climatique. Il y va de la survie de l’humanité. Les entreprises, soumises aux lois de la rentabilité, ne peuvent atteindre ces objectifs tant qu’elles sont dans les mains des capitalistes. Cela signifie qu’il faut les exproprier et les mettre dans le domaine public, sous le contrôle démocratique des travailleurs. Si un mouvement de type gilet jaune émerge dans les années à venir, les revendications devront tenir compte de cette impérieuse nécessité. Prendre la voie vers le socialisme est la meilleure façon d’engager la transition énergétique indispensable.

Gauthier HORDEL

 

One thought on “Prix de l’énergie, où va-t-on?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *