49.3 et matraques: catalyseurs de la colère

Depuis le passage en force de la réforme des retraites à coup de 49.3, le mouvement de contestation est entré dans une nouvelle phase : la lutte et la colère se sont intensifiées face au mépris total de Macron envers les travailleurs. En 11 mois, le gouvernement d’Elizabeth Borne a eu recours par 11 fois au 49.3. Si les autres sont passés presque inaperçus, cette fois-ci, en raison d’une opinion très majoritairement contre la réforme, il a jeté de l’huile sur le feu. L’attitude du gouvernement témoigne  de son affaiblissement. Aux dernières élections législatives, Macron n’a obtenu qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui contraint son gouvernement à trouver des alliés du côté de LR pour faire voter ses propositions de loi. Or, une partie non négligeable des députés LR s’est prononcée contre la réforme. Les députés concernés n’ont pas été touchés par la grâce divine, mais sentent plutôt la pression des manifestations et de l’opinion publique, qui pourraient leur coûter leurs sièges aux prochaines élections.

Les Républicains se sont toujours prononcés pour un recul de l’âge de départ à la retraite et un allongement de la durée de cotisation. Le problème de financement de la caisse de retraite est de savoir qui va payer : le capital ou le travail ? Les députés LR sont, tout comme Macron, des défenseurs acharnés des intérêts des capitalistes. La prise de position contre la réforme de certains LR est purement opportuniste et électoraliste, mais elle pose un problème au gouvernement, qui tente de passer en force.

Ce fut une décision à haut risque pour conserver un semblant de pouvoir, mais qui a donné une impulsion supplémentaire à la lutte. Depuis l’annonce du 49.3, les blocages, très majoritairement organisés par la CGT, et les manifestations non déclarées se sont multipliés. La jeunesse est entrée à son tour dans la lutte.

Une grande colère s’est exprimée lors des  journées d’action du  24 et 28 mars. Il ne s’agit pas simplement de la réforme des retraites. C’est une colère qui porte plus largement, une colère profonde qui s’est accumulée depuis la pandémie et dans un contexte de crise économique et d’inflation. Les prix des denrées alimentaires et de l’énergie augmentent de façon alarmante. Le capitalisme n’a plus aucune perspective à offrir aux travailleurs et à la jeunesse autre que la régression sociale. Les intérêts des capitalistes passent avant tout et la masse de la population doit supporter les privations. La réforme des retraites a fait déborder le vase. Avec cette réforme, Macron poursuit sa mission de défense à outrance des intérêts des capitalistes. Dans un contexte hautement inflammable, il ravive les braises.

Dans le cadre d’une mobilisation sociale de grande ampleur, les actions les plus fortes sont essentiellement cantonnées aux secteurs largement organisés par la CGT, tels les dockers portuaires, les raffineries, les éboueurs, la SNCF et l’EDF. Les travailleurs de ces secteurs portent la lutte à bout de bras et ne pourront pas tenir indéfiniment. Les journées d’action successives, aussi importantes soient-elles, ne sont pas suffisantes pour faire plier le gouvernement. Pour cela, il faudrait que la grève reconductible s’élargisse aux autres secteurs de l’économie. C’est bien ce mot d’ordre que porte la CGT au sein de l’intersyndicale, contrairement à la CFDT. Il faut souligner ici l’importance des mots d’ordre. Pour faire entrer plus massivement les travailleurs dans la lutte, les consignes ne doivent pas se limiter à la question des retraites. Elles doivent avoir un caractère plus général, tenant compte de l’humeur ambiante et ouvrant la perspective d’une lutte offensive contre le système capitaliste. Même si le gouvernement tombe, les réalités du système capitaliste seront toujours en place. Si le capitalisme est responsable de la dégradation des conditions de vie, alors il n’y a d’autre choix que de le remettre en cause dans notre plateforme revendicative. Depuis plusieurs décennies et indépendamment de leurs étiquettes politiques, les gouvernements ont tous appliqué de gré ou de force une politique calquée sur les intérêts de la classe capitaliste. Ils ont démontré que le régime parlementaire actuel est en réalité soumis à une classe fortement minoritaire, mais dont le pouvoir économique parvient toujours à imposer une politique au service de ses propres intérêts.

La première phase de la lutte actuelle avait le caractère d’un mouvement syndical plutôt classique. Mais depuis l’utilisation du 49.3, elle prend un caractère hautement politique. Il faut adapter les mots d’ordre à cette nouvelle situation et mettre en avant la nécessité d’un changement de régime politique et économique, pour une république véritablement démocratique, au service de l’intérêt de la majorité de la population, c’est-à-dire de la classe des travailleurs. Cela signifie que les grands moyens de production et d’échange devraient être socialisés et placés sous le contrôle démocratique des travailleurs. La colère absolument légitime contre les méthodes antidémocratiques de Macron, l’entrée de la jeunesse dans le mouvement et le contexte d’embrasement général ont créé une situation favorable à l’émergence d’idées révolutionnaires. Une stratégie s’attaquant directement au pouvoir des capitalistes offrirait de réelles perspectives pour les travailleurs et la jeunesse, à la différence du référendum d’initiative partagé, prôné par les parlementaires de la NUPES. Le référendum pourrait s’avérer n’être qu’un piège, car non seulement il confine la lutte à la seule question de la réforme des retraites, mais il offre à Macron et aux capitalistes, dans un contexte potentiellement révolutionnaire, une porte de sortie pour se maintenir au pouvoir au prix de quelques concessions. L’explosion sociale est là! Aussi bien le gouvernement que l’intersyndicale le savent. Macron et son gouvernement appelle désormais à ouvrir des discussions autres que sur les retraites. Laurent Berger  s’empresse de répondre  favorablement pour discuter sur ce que le gouvernement ne veut pas et tout en demandant une pause et une médiation.  Ce sont les expressions de la peur de part et d’autre, car ils sont conscients du volcan sur lequel ils sont assis!

L’isolement de Macron fait qu’il intensifie l’utilisation des forces de répression pour mater la contestation. Tout comme avec les gilets jaunes, le gouvernement a recours à la violence « légale » pour intimider : matraquages, arrestations arbitraires et réquisitions des travailleurs des raffineries… Désormais les manifestants sont considérés comme « ennemis de la république ». Les grands médias, majoritairement au service de la classe capitaliste, s’efforcent de discréditer le mouvement, pointant du doigt la « violence de certains manifestants ». Nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes pour assurer notre propre sécurité et celle de la jeunesse, face à la violence policière. Les organisations syndicales sont les mieux à même de remplir cette fonction. Mais il faut s’y préparer sérieusement.

L’action parlementaire des députés de gauche peut jouer un certain rôle, mais compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale, celui-ci est forcément limité. L’issue de la lutte dépend de l’évolution de la mobilisation extra-parlementaire, dans la rue et dans les entreprises, et aussi dans la conscience politique des travailleurs. Prenons conscience de notre propre force et de notre capacité à porter un coup décisif à ce gouvernement et au système capitaliste qu’il représente.

Gauthier HORDEL

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