PCF 2022 : Questions de programme et de stratégie électorale

La préparation de l’élection présidentielle pose le problème de la stratégie du PCF, à savoir, au fond, s’il doit présenter son propre candidat ou se ranger derrière le candidat d’une alliance avec d’autres forces politiques. Le secrétaire national du parti, Fabien Roussel, plaide pour une candidature indépendante, expliquant que l’absence de candidat en 2012 et en 2017 a été préjudiciable pour le parti. La dernière candidate PCF à l’élection présidentielle était Marie-George Buffet en 2007, qui a obtenu 1,93% des suffrages exprimés. Lors du dernier congrès, le problème de l’« effacement » du PCF a été largement imputé au soutien accordé à Jean-Luc Mélenchon lors du scrutin présidentiel précédant, sans être parvenu à un accord avec la France Insoumise pour les élections législatives. Dans le texte adopté par le congrès, il est stipulé que le PCF doit avoir des candidats « à toutes les élections ». La prise de position de Fabien Roussel s’inscrit dans le prolongement de cet engagement.

C’est une option qui ne fait pas l’unanimité chez les communistes. L’existence de divergences à propos de la stratégie électorale n’a rien de surprenant. Divergence ne signifie pas nécessairement division, mais division il y a, dans une certaine mesure, puisque Marie-George Buffet et Gilles Poux, maire PCF de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ont d’ores et déjà déclaré leur soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, sans attendre les débats internes qui, manifestement, ne les intéressent pas trop.

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de camarades communistes sont visiblement beaucoup remontés contre le candidat de la France Insoumise, qualifié parfois de façon assez virulente de traître, de social-démocrate, de réformiste, etc. Une idée qui revient souvent est que Mélenchon veut l’affaiblissement, voire la mort, du PCF. Bien évidemment, on ne peut pas évoquer l’attitude acerbe de certains militants communistes au sujet de Mélenchon, sans noter que ce dernier ne s’est pas privé d’attaquer le PCF, non plus.

Comme en 2017, la candidature de Jean-Luc Mélenchon se présente comme un fait accompli, de façon unilatérale et sans aucune tentative de négociation préalable avec le PCF. S’il adopte cette attitude, c’est parce qu’il s’estime être en position de force et de ne pas avoir besoin de négocier un accord portant sur les législatives avec le PCF. Il pense pouvoir attirer une partie des électeurs potentiels du PCF en mettant des « personnalités » comme Marie-George Buffet et Gilles Poux en bonne place sur ses estrades de campagne.

Nous sommes maintenant à 15 mois de l’élection présidentielle. La situation peut donc évoluer. Mais les sondages qui ont eu lieu jusqu’à présent attribuent entre 1 et 2% à une éventuelle candidature de Fabien Roussel, ce qui le place au niveau ou un peu en dessous du score de Marie-George Buffet en 2007 (1,93%). Le poids électoral du PCF paraît donc extrêmement marginal. De manière générale, la stratégie électorale du parti n’est pas une question de principe. Selon le contexte, des stratégies différentes peuvent servir le même objectif. Mais justement, quel est l’objectif ?

Il nous semble que l’objectif central de la participation du PCF à la prochaine campagne présidentielle devrait être d’élargir sa base sociale, dans les entreprises, et dans les quartiers (notamment des grandes concentrations urbaines) renforcer ses soutiens actifs dans les milieux syndicaux et associatifs. Il faut inverser le déclin des effectifs militants du parti et commencer à reconquérir le terrain perdu au fil des dernières décennies en ce qui concerne son enracinement social. Sans cela, la campagne sera un échec, quelle que soit la stratégie électorale qu’il aura adoptée.

L’atteinte de cet objectif ne dépend pas seulement de s i le PCF a son propre candidat ou pas, mais avant tout du programme qu’il incarne. Le déclin du PCF n’est pas, au fond, la conséquence de stratégies électorales ou d’alliances. S’il a perdu prise dans les quartiers populaires, dans les entreprises et dans l’électorat, si ses effectifs n’ont cessé de baisser, c’est parce son programme et sa pratique ne le permettent pas de se distinguer nettement de la « gauche » réformiste et institutionnelle.

Jean-Luc Mélenchon et la FI défendent une politique réformiste. C’est-à-dire que son programme se limite à une série de revendications et de propositions qui visent à atténuer les conséquences du capitalisme, mais qui n’envisagent aucune alternative au système capitaliste lui-même. La plupart des revendications portées par la FI sont positives en soi. Mais  comme ce fut le cas du programme de François Mitterrand en 1981, sa politique générale évite soigneusement de poser la question d’une rupture avec le capitalisme. Par conséquent, si jamais Jean-Luc Mélenchon devait arriver au pouvoir, il serait confronté au même problème incontournable qu’ont connu les gouvernements de gauche précédents. La classe capitaliste lui ferait très clairement comprendre, comme elle l’a fait avec Mitterrand, à l’époque, que s’il engage des réformes sociales qui sont contraires à ses intérêts, le résultat sera une chute brutale des investissements, des suppressions massives d’emplois, une fuite des capitaux, en un mot un sabotage économique et social sur toute la ligne.

Le gouvernement socialiste-communiste de 1981 n’a mis que quelques mois pour changer de cap, annonçant d’abord une « pause » dans les réformes avant d’adopter une politique d’austérité budgétaire, de gel des salaires et de casse industrielle. Les ministres et le groupe parlementaire du PCF ont soutenu cette politique jusqu’en juillet 1984, c’est-à-dire plus de deux ans après le début de la « pause ». De la même façon, en 1997-2002, la direction du PCF a cautionné la politique de privatisations mise en œuvre par le gouvernement de Lionel Jospin. C’est un ministre communiste qui a organisé la privatisation d’Air France. Cette expérience historique montre que le réformisme est toujours désarmé face aux pressions capitalistes. Aujourd’hui, le programme de Jean-Luc Mélenchon est bien plus « modérée » que celui de Mitterrand, il y a 40 ans. À l’épreuve du pouvoir, il serait contraint d’abandonner sa politique réformiste d’une façon ou d’une autre, soit par l’adoption d’une politique d’expropriation révolutionnaire pour briser la résistance capitaliste, soit par l’adoption d’une politique de régression sociale.

Ainsi, la méfiance des communistes à l’égard de Jean-Luc Mélenchon est entièrement justifiée. Cependant, que peut-on dire du programme du PCF ? Le parti et sa direction ont-ils tiré les enseignements des expériences réformistes précédentes ? Hélas, dans le programme du PCF, on retrouve tous les traits essentiels de politique réformiste de Mélenchon. Il y a, certes, des divergences entre les deux programmes, sur des questions spécifiques, mais on cherchera en vain, dans le programme du PCF, des propositions qui porteraient atteinte à la propriété capitaliste de l’industrie, du commerce et des rouages essentiels de l’économie. Dans ses caractéristiques essentielles, c’est le même programme que celui de la FI. Et c’est surtout pour cette raison que l’alliance avec Mélenchon a favorisé « l’effacement » du PCF au profit de Mélenchon et de la FI. Entre un grand mouvement et un petit (sur le plan électoral) qui ont essentiellement le même programme, c’est le grand qui l’emporte.

Que Mélenchon souhaite « affaiblir le PCF » ou pas n’est pas vraiment le problème. Ce qui lui permet de le faire dans la pratique – qu’on soit en alliance avec lui ou pas – c’est l’absence, chez les communistes, d’une critique cohérente du réformisme et de ses limites d’un point de vue révolutionnaire.  En l’absence, au PCF, d’un projet de société pour remplacer le capitalisme, le parti ne peut pas lutter efficacement contre le réformisme. Tant que ce problème du programme du parti ne sera pas réglé, il est tout à fait illusoire d’imaginer que la présentation d’un candidat PCF puisse améliorer sensiblement la position du parti. Il est vrai, sans doute, que ce dernier serait effectivement plus « visible » avec son propre candidat. Mais cela ne sera pas suffisant. Les militants du parti sont conscients des divergences qui existent entre le PCF et La France Insoumise sur certains points, mais les électeurs qui cherchent une alternative à la droite n’y verront pas une différence fondamentale et opteront en conséquence pour la formation la mieux placée pour faire un bon score. Par ailleurs, beaucoup d’électeurs se demanderont si la présentation d’une candidature PCF dans ces conditions ne servira qu’à affaiblir Mélenchon inutilement face à la droite.

Si le but est de sortir de la campagne présidentielle avec un parti renforcé en militants et en implantation sociale, la question de la candidature est secondaire par rapport à celle du programme. Sans projet de société, sans incorporer dans le programme du parti un ensemble de mesures pour briser le pouvoir capitaliste, alors avec ou sans une candidature PCF, les résultats risquent d’être décevants. Le parti a besoin d’un programme révolutionnaire qui explique clairement comment il propose de mettre fin à la domination de la classe capitaliste, reliant ses revendications immédiates à un vrai projet de société sans capitalistes.  Cela changerait la donne complètement, de sorte que, entre l’option de présenter un candidat communiste et celle d’accorder un soutien critique – sur la base de ce même programme révolutionnaire – à un candidat réformiste, il y aurait des avantages majeurs et des inconvénients relativement mineurs des deux côtés.

Partir avec un candidat communiste permettrait de mieux maîtriser la teneur de la campagne, faire clairement comprendre une politique révolutionnaire se démarquant clairement de la gauche réformiste, d’exploiter la campagne pour de l’agitation révolutionnaire. Le prix à payer, cependant, serait de se faire accuser d’avoir divisé l’opposition au risque de faire perdre un candidat de gauche. Si Mélenchon rate de peu le passage au deuxième tour, par exemple, il y aura un retour de bâton contre le PCF, qui sera tenu, avec d’autres, pour responsable de l’échec. En revanche, tenter un accord avec La France Insoumise pour soutenir le candidat Mélenchon pourrait être concevable à condition que l’accord garantisse un partage des temps de parole systématique dans les meetings et dans les médias et, dans l’idéal, une entente équitable pour les législatives. Nous pourrions ainsi bénéficier de temps en tribune devant un public plus large et politiquement conscient. Un autre avantage possible serait d’être au contact direct des citoyens qui s’impliquent dans la campagne, pour les convaincre des idées révolutionnaires. Dans les faits, cependant, il sera probablement plus difficile de nous rendre visibles médiatiquement. Et l’expérience nous apprend que composer avec l’équipe de campagne de France Insoumise ne serait pas non plus une mince affaire.

L’option d’une candidature communiste pourrait déboucher sur un score relativement faible à l’élection présidentielle. Mais avec l’autre option, il ne fera pas de score du tout. Une alliance pourrait-elle permettre l’émergence, au deuxième tour, d’une alternative aux candidats capitalistes Macron ou Le Pen ? Ce n’est pas impossible, dans le contexte actuel. En définitive, et que ce soit en présentant notre propre candidat ou en nous alliant avec Mélenchon, la question du projet de société est d’une importance cruciale. Le programme actuel du PCF n’est pas à la hauteur de la situation. Le parti a besoin d’un programme qui ne se limite pas à dénoncer les injustices du capitalisme et qui explique  les moyens de mettre fin à ce système. Cela lui permettrait de se démarquer clairement du réformisme de Mélenchon ou des Verts, renforcer la position du PCF et mieux enraciner les idées révolutionnaires dans la société.

La Riposte

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