Liban : catastrophe mortelle dans un pays déjà sinistré

Dans un pays qui était au bord de l’implosion par la conjonction de la crise du coronavirus, d’une crise économique qui n’en finit pas, d’une crise politique liée aux confessionnalismes, l’explosion d’hier vient rajouter aux souffrances du peuple libanais. Hier après-midi, deux explosions ont ravagé le port et les quartiers voisins de Beyrouth.

Si les circonstances exactes de cette conflagration restent à déterminer, il apparaît clairement que 2700 tonnes de nitrate d’ammonium sont sûrement le combustible de la deuxième explosion, la plus importante, qui s’est fait sentir jusqu’à Chypre, qui se trouve à une distance de 200 kilomètres.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le bilan serait de plus de 100 morts et de plus de 3000 blessés. Les hôpitaux de Beyrouth sont saturés, certains blessés ont été envoyés dans d’autres villes et les secours tentent de retrouver d’autres victimes dans les décombres des bâtiments détruits. Ce qui est probablement un accident (bien que la piste d’une explosion visant un dépôt d’armes du Hezbollah n’est pas exclue complètement) rajoute à la misère dans laquelle est plongé le pays depuis de nombreux mois déjà.

Cette explosion montre clairement la situation déplorable dans laquelle est plongée la population. Tout d’abord, il est inconcevable qu’une telle quantité de nitrate d’ammonium qui est un combustible extrêmement puissant lorsqu’il est en contact d’une forte chaleur (ce qui fut peut-être le cas pour la première explosion) puisse être stockée dans une zone portuaire d’une ville de cette façon. Le nitrate d’ammonium est à l’origine de la catastrophe d’AZF à Toulouse, où il n’y avait « que » 300 tonnes de cette substance dangereuse.

Les autorités douanières se sont empressées de rejeter la faute sur les autorités portuaires. Il n’en reste pas moins que ces 2700 tonnes de matériaux explosifs qui « traînaient » sur le port depuis 6 ans servaient sûrement de caution ou de moyens de pression pour bénéficier d’avantages ou de bakchich pour les autorités portuaires et douanières qui sont notoirement corrompues (1). L’attitude des douanes pourrait laisser penser que ce stockage résulte de marchandage dont les autorités douanières auraient pu être exclues.

L’autre remarque qu’il vient à l’esprit concerne l’absence totale de l’État libanais. Tous les secours s’organisent en-dehors de l’État. Ce sont les « communautés » et les partis confessionnels et religieux qui ont appelé rapidement à aller donner son sang. Les hôpitaux sont surtout privés, l’État ne gère absolument pas l’offre de soins, et la place vacante est occupée par des instances confessionnelles qui rendent l’accès aux soins terriblement précaire. (2). Il en résulte que les blessés sont amenés dans des hôpitaux surchargés qui parfois doivent leur refuser l’accès, sans compter que certains hôpitaux ont été touchés par l’explosion. Les médecins ont fait passer l’information qu’ils ouvraient leur cabinet pour recevoir les blessés légers pour délester un peu les urgences.

Les conséquences de cette catastrophe sont nombreuses. Il y a d’abord les morts et les blessés dont on ne connaît pas encore le bilan définitif et qui viennent raviver les vieilles peurs issues des guerres civiles et des attaques terroristes. Il y a aussi les dégâts matériels qui sont énormes. L’explosion a rasé un silo à céréales sur le port. De nombreux bâtiments se sont effondrés ou sont très fragilisés dans un périmètre de plusieurs centaines de mètres de l’explosion.

Dans la situation déjà compliquée que vit le Liban depuis plusieurs mois (voir mon article précédent), ce nouveau coup dur aura sans doute des répercussions importantes sur la situation économique, sociale et politique. Le port de Beyrouth est le principal point d’entrée des importations libanaises, notamment en alimentation. 80% des biens de consommation courante sont importés. (3). La destruction du silo du port aura forcément des conséquences sur la capacité de faire rentrer des produits alimentaires, ce qui risque de provoquer une raréfaction de l’offre et donc un renchérissement supplémentaire du prix des produits alimentaires.

Les conséquences de cette catastrophe vont renforcer la défiance face au pouvoir politique. Peu de temps avant l’explosion, une manifestation avait lieu devant le ministère de l’Énergie pour réclamer une meilleure alimentation en électricité (4), manifestation qui fait partie des nombreuses dénonciations d’un État corrompu et incapable de subvenir aux besoins de la population. On voit déjà les manœuvres internationales de la part des puissances ayant des intérêts au Liban. La France, le Qatar, l’Iran, la Russie, les USA, l’Irak ont été les premiers à proposer leur aide et envoient déjà des hôpitaux de campagne et du matériel. Même Israël, après avoir démenti être à l’origine de la première explosion pour détruire une cache d’arme du Hezbollah, propose son aide via des pays tiers. Israël est toujours officiellement en guerre contre le Liban.

En touchant une zone névralgique du Liban, la catastrophe aura des conséquences bien au-delà des morts, blessés et des dégâts matériels dont elle est responsable. Elle place la corruption des élites et le maintien d’un système quasi féodal de confessionnalismes au premier rang des problèmes qui se posent, ainsi que l’urgence, pour le peuple libanais, de prendre en main leur destin en se débarrassant des cliques qui les asservissent et se gavent sur leur dos.

Sylvain ROCH PCF 19

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