Y a-t-il un passager dans l’avion ?

Nous avons assisté au début de la crise du coronavirus Covid-19 au spectacle ubuesque de compagnies aériennes faisant voler leurs avions à vide sous peine de perdre leurs créneaux de vols, ou “slots“. Cette pratique aberrante du point de vue écologique dénote du danger de voir l’environnement et avec lui l’humanité entière victime collatérale de la guerre entre les grands groupes capitalistes. La question de la prise en main de ces mastodontes par la classe ouvrière unie au-delà des frontières se pose avec d’autant plus d’acuité.

Par Chloé S. , PCF Rouen

Une crise profonde du secteur aérien

La crise sanitaire mondiale engendrée par la propagation du virus Covid-19 sur plus de 110 pays et la crise économique qu’elle provoque aujourd’hui, nous donne l’occasion une fois de plus d’expérimenter et de constater l’incapacité du système économique capitaliste à faire face à des situations inédites, et qui en temps normal exploite et détériore les conditions de vie de la majorité des travailleurs du monde entier. Dans cette crise, ce n’est pas le secteur bancaire qui est cette fois – du moins pour le moment – le plus fortement touché mais celui directement concerné par la propagation du virus entre les pays via le tourisme et le monde des affaires, le transport aérien. Alors que dans l’Union Européenne, ce dernier battait encore en 2018, des records en nombre de passagers transportés allant jusqu’à 1,1 milliard, le secteur connaît en ce début d’année 2020 une véritable chute libre.

Dans cette crise, ce n’est pas le secteur bancaire qui est cette fois (…) le plus fortement touché mais celui directement concerné par la propagation du virus entre les pays via le tourisme et le monde des affaires, le transport aérien.

Les compagnies aériennes ont vu fondre les réservations entraînant une véritable paralysie du trafic aérien face à la décision de milliers de personnes et d’entreprises de renoncer à leurs voyages ou ceux de leurs personnels à travers le monde et à celle de certains États de suspendre les vols vers les pays les plus fortement touchés par le virus. Le nombre de passagers aurait baissé de 24% sur les vols en provenance et au départ de l’Europe de l’Ouest. Avant la fermeture des frontières de l’Espace Schengen, des dizaines de compagnies aériennes ont suspendu ou réduit leurs dessertes vers la Chine, berceau de l’épidémie, puis de l’Italie, et les réservations de billets sont en chute libre, partout dans le monde. Plus de 185 000 vols ont été annulés. La crise sanitaire a ainsi provoqué une forte baisse de la demande mondiale en transport aérien. L’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), un cartel déguisé qui regroupe 290 compagnies aériennes soit 82%1 du trafic aérien mondial, table sur des pertes de chiffre d’affaires comprises entre 63 milliards de dollars, si la propagation du virus est contenue et 113 milliards de dollars si le Covid-19 continue à se répandre. Des chiffres qui ne concernent que le transport de passagers et non le fret. Aussi, les trois marchés qui regroupent l’essentiel du trafic en 2019 : l’Europe (26,7%), l’Asie/Pacifique (34,4%) et l’Amérique du Nord (22,5%) et qui a eux trois représentent 84% du trafic passagers mondial, traversent en ce moment une crise sans précédent depuis la dernière crise économique et financière de 2008-2009.

Les premiers symptômes de cette crise se sont traduits par des pratiques totalement absurdes, où les compagnies aériennes ont fait le choix par crainte de perdre leur créneaux aériens, de faire voler des avions à vide ou quasiment à vide, gaspillant des milliers de litres de kérosène et produisant des tonnes de CO2 pour rien. Cette pratique proprement scandaleuse du point de vue de l’environnement a été rendue nécessaire afin de répondre aux lois implacables de la concurrence dictées par la législation européenne concernant l’attribution des créneaux de décollage et d’atterrissage appelés les « slots ». Des règles elles-mêmes dictées à la Commission Européenne, mise en place pour défendre les seuls intérêts des grandes associations monopolistes capitalistes, par des cartels comme la IATA. En effet, pour conserver ces créneaux d’une année sur l’autre, dans un contexte d’hyper-concurrence, les compagnies aériennes doivent effectuer au moins 80% des vols prévu sur ces horaires, au risque de perdre leurs précieux « slots » au profit de compagnies plus dynamiques. Deux fois par an, les créneaux sont remis sur le marché selon la règle du « use it or lose it » («utilise-le ou perds-le»). Une intervention rapide de la Commission a été alors sollicitée par les politiques afin de réagir le plus vite possible pour mettre un terme au scandale en annonçant la mise en place d’un assouplissement bien évidemment « temporaire » de ces règles.

Le résultat d’une politique de privatisations massives du secteur

Les conséquences économiques sont aujourd’hui majeures dans ce secteur en forte croissance, dont le volume en trafic aérien mondial double tous les 15 ans depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et qui a été au fil du temps presque entièrement privatisé pour permettre aux actionnaires, propriétaires des grandes entreprises monopolistes, de concentrer toujours plus les profits entre leurs mains. Sa gestion était historiquement placée sous le monopole public de l’État. Mais sous la pression des capitalistes et le discours mettant en avant l’idée selon laquelle la puissance publique serait incapable de favoriser le développement de la compétitivité, et qu’elle « accapare » des ressources qui seraient mieux employées ailleurs par le marché, les gouvernements ont transféré petit à petit, les aéroports à des sociétés de droit privé (comme c’est en cours actuellement avec ADP). Ce nouveau mode de gestion faible en emplois privilégie la rentabilité des capitaux, le versement de dividendes, et organise une concurrence ou des rapports commerciaux «coupe-gorge» entre compagnies, entre compagnies et aéroports, entre salariés. Une des manifestations de cette privatisation a été l’apparition, puis la montée en puissance, des compagnies dites « low-cost », avec un nouveau modèle économique assis sur une baisse des coûts d’exploitation et des pratiques sociales et salariales régressives.

Si ce processus de privatisation est rendu absolument nécessaire pour les capitalistes afin d’engranger le maximum de profits lorsque la croissance est au beau fixe, en temps de crise, même passagère, ces derniers incapables d’assumer leurs responsabilités et les conséquences de leur système, appellent les États et indirectement les populations, à voler à leur secours. Face aux pertes subies dans cette crise, les compagnies se tournent ainsi vers la puissance publique, espérant être renflouées, comme les banques lors de la crise financière de 2008. Le transport aérien américain a ainsi demandé des aides d’urgence pouvant aller jusqu’à 50 milliards de dollars au gouvernement fédéral, lequel préparerait un plan de relance massif de 850 milliards de dollars. Les compagnies britanniques auraient demandé à leur gouvernement plus de 9 milliards de dollars d’aides. De son côté, le gouvernement italien est prêt à nationaliser la compagnie aérienne Alitalia. Selon certains médias, Rome a prévu une enveloppe globale de 600 millions d’euros pour l’ensemble du secteur aérien national, dans lequel Alitalia s’arroge la part du lion. En France, le Premier ministre Edouard Philippe a affirmé que l’Etat était prêt «à prendre ses responsabilités», concernant Air France, en grandes difficultés. Les profits sont privatisés et les pertes nationalisées. Les capitalistes récoltent ainsi le beurre et l’argent du beurre au détriment des conditions de travail et d’existence des travailleurs.

Si ce processus de privatisation est rendu absolument nécessaire pour les capitalistes afin d’engranger le maximum de profits lorsque la croissance est au beau fixe, en temps de crise, même passagère, ces derniers incapables d’assumer leurs responsabilités et les conséquences de leur système, appellent les États et indirectement les populations, à voler à leur secours.

Dans cette situation, où plus de 75 % des compagnies aériennes disposent de moins de 3 mois de liquidités pour couvrir leurs seuls frais fixes, les compagnies les plus fragiles ne survivront pas au virus de la faillite. La Britannique Flybe en a été la première victime, actuellement placée en redressement judiciaire et pour d’autres compagnies qui allaient déjà mal avant le début de cette crise sanitaire comme Norwegian, Air India, Malaysia Airlines, Thai ou Ethiad, le coronavirus Covid-19 pourrait leur être fatal. Ainsi cette crise comme les précédentes opère une sélection des entreprises les plus viables. Les lois de la concurrence et les effets de la crise jettent les petites compagnies vers la faillite ou vers leur rachat par les grosses compagnies, ce qui accentue le développement des monopoles et la concentration du capital. Mais dans ce tableau plutôt sombre, la IATA relève toutefois que le secteur ne devrait pas souffrir trop longtemps de ce trou d’air. D’après elle, la courbe de croissance du secteur pourrait prendre la forme d’un « V » : une forte baisse suivie d’une hausse importante du nombre de vols. Cette crise pourrait entraîner, sur le long terme, une hausse des tarifs car les compagnies vont tenter de rattraper leurs pertes et les premiers touchés par les conséquences de ces décisions qui sont prises « quoi qu’il en coûte » seront bien entendu, comme nous l’avons déjà expérimenté par le passé, les travailleurs.

La nécessaire prise en main par la classe ouvrière

Cette nouvelle expérience nous fait prendre conscience de la nécessité, qui devient de plus en plus impérieuse, de nationaliser les grands leviers de l’économie sous le seul contrôle démocratique des travailleurs. Ceux qui créent pourtant la richesse économique et sociale mais qui ne récupèrent que les miettes et à qui il est toujours demandé plus de sacrifices pour défendre les intérêts de ceux qui les exploitent et auxquels ils se soumettent avec plus ou moins de lucidité suivant la conscience de classe qui les anime. Il est temps que les travailleurs reprennent le contrôle de leurs vies et de l’avenir des générations futures. Le système capitaliste l’a montré depuis qu’il existe, il a toujours survécu aux crises et à permis de concentrer toujours plus les richesses produites par la majorité de la population entre les mains d’une minorité, de cette classe capitaliste qui n’abandonnera ses privilèges que lors d’une révolution. Indissociable de cette gestion démocratique, le mot d’ordre devrait être, afin d’instaurer une vraie société moderne plus démocratique et plus adaptée aux crises sanitaires ou environnementales, l’abolition de la propriété privée des grands leviers de l’économie (transports, banque, industrie…) et d’une adaptation démocratiquement décidée de la production et des transports à la sauvegarde de notre environnement.


Sources :

 

Coronavirus : lourdes pertes attendues pour le secteur aérien, François Lapierre, Journal de l’économie, 23 février 2020.

Coronavirus: le transport aérien fortement impacté, Rfi, 15 février 2020.

Coronavirus : le transport aérien affronte l’une des plus graves crises de son histoire (si ce n’est la plus grave), Fabrice Gliszczynsky, La Tribune, 5 mars 2020.

Le virus pourrait coûter au transport aérien jusqu’à 113 milliards de dollars en 2020 (Iata), France 24, AFP, 5 mars 2020.

Le secteur aérien réclame des “mesures d’atténuation” pour mieux faire face au coronavirus, Simon Chodorge, L’Usine Nouvelle, 6 mars 2020.

Coronavirus : Air France “en situation d’urgence économique”, Frédéric Sergeur, Capital, 7 mars 2020.

Coronavirus : quand des avions volent à vide pour conserver leurs créneaux au Royaume-Uni, Frédéric Sergeur, Capital, 8 mars 2020.

Chroniques du ciel. Covid-19 : le secteur aérien en crise, Frédéric Béniada, France info, 8 mars 2020.

 

Corona virus . Pourquoi les avions volent vide, Morgan Kervella et Samuel Nohra, Ouest France, 9 mars 2020.

En pleine crise du coronavirus, les compagnies aériennes volent à vide pour ne pas « perdre leur place », B. K. et T. V, Nouvel obs, 09 mars 2020.

 

L’UE veut mettre fin aux avions qui volent à vide à cause du coronavirus, l’Obs avec AFP, nouvel obs, 10 mars 2020.

Coronavirus: le transport aérien dans la tourmente, Dominique Baillard, Rfi, 11 mars 2020.

Coronavirus: les compagnies aériennes appellent au secours, Le Figaro avec AFP, 17 mars 2020.

Coronavirus : les compagnies aériennes du monde entier appellent au secours, SudOuest.fr avec AFP, 18 mars 2020.

Les compagnies aériennes mondiales vont-elles au crash ?, Frédéric De Poligny, LaQuotidienne.fr, 18 mars 2020.

 

Transport aérien de passagers dans l’UE, Nombre record de plus d’1,1 milliard de passagers aériens transportés en 2018, Communiqué de presse Eurostat 186/2019, 6 décembre 2019.

Le transport aérien en France, en Europe et dans le monde, Etude Progexia, janvier 2016.

Communiqué IATA n°22 du 8 mai 2019.

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