L’enfer australien, l’enfer capitaliste

Le phénomène des “méga-feux” prend une ampleur inquiétante à travers la planète. Après l’Amazonie, la Sibérie et l’Indonésie, l’Australie s’est embrasée. Depuis octobre, c’est plus de 10 millions d’hectares qui sont partis en fumée, une superficie supérieure à celle du Portugal. Et ce n’est pas terminé : la saison des incendies devrait se poursuivre jusqu’en mars. Le bilan est cependant déjà terrifiant. Concernant le monde animal, au moins 1 milliard d’animaux sont morts, 1 million de milliards si on tient compte de toute la biodiversité. Il faut s’attendre à de nouvelles extinctions d’espèces. Certains animaux assoiffés, comme les dromadaires, introduits lors de la colonisation pour explorer les déserts, s’approchent des habitations et sont abattus par milliers. Pour ce qui est de notre espèce, les incendies ont fait plus de 30 morts et détruits plus de 2.000 habitations. L’incendie vient frapper aux portes de villes en état d’urgence. Après Canberra, c’est Melbourne qui a ponctuellement pris la tête du classement des villes les plus polluées du monde. Respirer même devient dangereux. Les fumées entraînent de nombreuses maladies respiratoires et sont un facteur de risque de décompensation d’autres maladies chroniques. Débordé par des feux hors de tout contrôle, l’être humain en vient à espérer un autre élément sur lequel il n’a aucune prise : la pluie. Comme d’habitude face à ce genre de phénomènes, le discours dominant parle de catastrophes “naturelles”. Pourtant, ces feux sont éminemment politiques.

Une “catastrophe naturelle” ?

Il ne faut pas confondre catastrophe et phénomène naturel. Les tremblements de terre, les inondations et les épisodes de sécheresse, les cyclones, les éruptions volcaniques ou encore les incendies sont autant de manifestations de la nature qui ont toujours existé et existeront toujours. Que ces manifestations, par leur intensité et leur caractère imprévisible, puissent constituer un risque pour l’être humain, c’est une chose. Mais cela ne rend pas pour autant la nature responsable du désastre. L’homme qui se trouve à terre après avoir trébuché sur une pierre ne rend pas cette dernière coupable. Ou alors il se condamne à l’impuissance.

Il ne faut pas confondre catastrophe et phénomène naturel

Ce qu’on appelle communément une « catastrophe naturelle » résulte en réalité de la combinaison d’un (ou plusieurs) phénomène naturel à des conditions sociales, économiques et physiques rendant vulnérables à ce phénomène. Plus une population est vulnérable moins le phénomène naturel aura besoin d’être “catastrophique” pour que se produise une catastrophe. Confronté à un même phénomène naturel, une femme pauvre vivant dans les bidonvilles d’une ville industrielle d’un pays sans système de santé digne de ce nom aura moins de chance de survie qu’un riche propriétaire habitant une maison en dur avec les moyens de se procurer eau potable, nourriture, moyen de transport et des soins. Exprimé ainsi, cela semble être une évidence. Pourquoi alors le discours dominant, qu’il soit celui des dirigeants politiques, celui de publications technico-scientifiques ou même celui d’ONG humanitaires s’obstine-t-il à propager l’expression de “catastrophe naturelle” ?

Parler de “catastrophe naturelle”, c’est considérer que la “nature” est responsable d’un désastre, de pertes humaines et matérielles, de souffrances. Cette fausse conception mène à de fausses solutions. Impuissant face à la nature, on en revient toujours à s’en remettre, sous une appellation ou une autre, au surnaturel. La campagne “Pray for Australia” en est une illustration typique. C’est donc à dessein que cette expression est utilisée : pour mener à l’impasse dans nos réflexions. Car parler de « catastrophes naturelles » c’est se dispenser de la recherche de responsables. Parler de catastrophes naturelles, c’est poser un voile pudique sur la vulnérabilité de certaines populations. Et ainsi s’épargner la démarche d’en trouver les causes et de les résoudre.

Méga-feux et réchauffement climatique

L’organisation sociale et économique actuelle de l’espèce humaine met en situation de vulnérabilité des milliards d’individus, victimes d’injustices sociales en situations d’insécurité et de danger face à certains phénomènes naturels. Mais ce n’est pas tout. L’espèce humaine, comme n’importe quelle espèce animale, interagit avec son environnement. A la différence des autres espèces, son « empreinte » environnementale se mesure à l’échelle du globe. A tel point désormais que nous pouvons affirmer que le mode de production dominant des sociétés humaines entraîne un dérèglement climatique qui augmente le risque même de phénomènes naturels particulièrement intenses. En d’autres termes, le capitalisme génère à la fois l’augmentation d’un risque et la vulnérabilité face à ce risque. Ce sont les ingrédients qui donnent naissance aux catastrophes.

Parler de “catastrophe naturelle”, c’est considérer que la “nature” est responsable d’un désastre, de pertes humaines et matérielles, de souffrances. Cette fausse conception mène à de fausses solutions.

La composition des forêts australiennes est propice aux incendies puisque majoritairement composées d’eucalyptus, arbre particulièrement inflammable. Les “méga-feux” embrasent des milliers d’hectares à des températures très élevées. Ils ont la particularité d’entraîner la formation de nuages qui engendrent des éclairs, sans pluie. La foudre provoque alors de nouveaux départs de feux. Mais plusieurs phénomènes naturels doivent se combiner pour que l’incendie se propage à une telle échelle : une sécheresse intense, une chaleur record et des vents violents.

Le réchauffement climatique interfère avec chacun de ces facteurs. Les records de températures ont été battus deux fois rien qu’en décembre 2019, avec une moyenne de 41,9°C le 18 décembre. L’année 2019 est la plus chaude du pays jamais enregistrée depuis 1910. En réduisant les précipitations, le réchauffement climatique aggrave la sécheresse et diminue les possibilités de procéder à des feux contrôlés préventifs en hiver. S’ajoute le problème de la dégradation des forêts. L’augmentation des températures favorise la prolifération de virus, de champignons ou d’insectes qui viennent fragiliser les forêts et les rendent plus vulnérables aux incendies. Année après année, le dérèglement climatique augmente donc à la fois le risque d’incendie et la durée de la période à risque.

Sans oublier que l’entretien des pistes forestières fait défaut depuis les années 90, suite aux choix de gouvernants qui se sont succédés. Cela rend plus difficile l’accès des pompiers aux foyers des incendies une fois qu’ils sont déclarés.

Colonisation, extraction minière et agriculture intensive

Les émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, entraînent le dérèglement climatique. Issu du colonialisme européen, le capitalisme Australien s’est développé sur la base d’une économie extractiviste et d’une agriculture intensive. Ce qui en a fait aujourd’hui un des pays au taux d’émission de gaz à effet de serre par habitant le plus élevé au monde. Pire : depuis les années 1990, la production de CO2 y a augmenté de 46%. L’Australie est devenue le premier exportateur mondial de charbon et le deuxième pour ce qui est de l’exportation de gaz. Les mines polluent et assèchent les nappes d’eau souterraines. Les exportations augmentent le trafic maritime et le risque de pollution accidentelle. La combustion de ces énergies fossiles accélère le dérèglement climatique. Et comme nous l’avons vu, le dérèglement climatique aggrave et aggravera le risque de méga-feux. Pourtant, le capitalisme australien poursuit sa course vers l’abîme. En témoigne le gouvernement conservateur de Scott Morrisson, qui travaille avec une compagnie indienne à l’ouverture d’une immense mine de charbon, près de Townsville -et de la grande barrière de corail- pour l’exporter vers l’Inde. Pour en donner la mesure : à elle seule, cette mine augmenterait de 20% les exportations nationales de charbon.

Parler de catastrophes naturelles, c’est poser un voile pudique sur la vulnérabilité de certaines populations. Et ainsi s’épargner la démarche d’en trouver les causes et de les résoudre. 

Pour ce qui est de l’agriculture, l’Australie n’est devenue l’un des premiers producteurs mondiaux de blé, de laine et de viande qu’au prix d’une déforestation insensée. Les colons, ignorant le climat et le fonctionnement du milieu australien, ont cherché à reproduire le modèle agricole occidental. La faune et la flore pré-coloniale de l’île-continent, ont été massivement remplacés par des espèces européennes. Les dromadaires ne sont pas les seules espèces animales à avoir été introduites. Entre autres, le bétail importé, les bœufs et les moutons, ont contribué à détruire et durcir les sols. Le développement d’une agriculture intensive dans un des pays les plus arides du monde a nécessité la mise en place d’un vaste réseau d’irrigation. Depuis les années 90, l’État Australien a offert la gestion de l’eau aux marchés financiers. Le prix de l’eau, soumis aux aléas climatiques et à la spéculation, favorise les plus grandes exploitations. Pour satisfaire les besoins de ces grandes fermes, les quantités d’eau prélevées dans les fleuves et les grands bassins augmentent, parfois en toute illégalité, ce qui accroît la sécheresse. L’eau potable manque, même dans les forages ou les réservoirs. Les sols se salinisent et diminuent les rendements agricoles. Les grands propriétaires tentent de les maintenir à grand renfort d’intrants qui viennent polluer les eaux côtières, menaçant notamment la vitalité de la barrière de corail du Nord-Est du pays.

La grande barrière de corail n’est pas simplement un site touristique de premier plan inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Cet organisme vivant est avant tout un lieu ou se reproduisent quantité d’animaux marins -renouvellement indispensable pour une pêche durable- ainsi qu’un relief qui préserve les rivages de l’érosion. Ce dernier point mérite de s’y attarder car le problème du réchauffement climatique ne se résume pas à celui des incendies ou de la sécheresse. Près de 90% des australiens vivent à moins de cinquante kilomètres de la côte. Plus de la moitié des 25,4 millions d’habitants du pays se concentre sur la bande littorale entre Brisbane et Melbourne, au Sud-Est du pays. Au delà de la pression que cela exerce sur une ressource en eau en voie de raréfaction, le fait est que l’Australie en devient le pays développé le plus vulnérable à la montée des eaux et aux cyclones extratropicaux. Lorsque les côtes seront submergées, en serons-nous encore à pointer du doigt la « nature » ?

Un pouvoir politique dominé par le pouvoir économique

Plus grosse est la crise, plus gros doit être le mensonge. Le gouvernement australien s’obstine à ne pas reconnaître le lien entre réchauffement climatique et ces incendies. Il faut dire que le lobby de l’industrie minière dépense des millions de dollars australiens pour influencer les gouvernements qui se succèdent. Pour ce qui est des médias, la classe dirigeante australienne n’a pas besoin de les influencer : elle les possède. L’Australie est le pays où la concentration y est une des plus importantes du monde. La plupart, dont plus de 90% de la presse quotidienne, y sont la propriété du milliardaire Rupert Murdoch. Le second groupe de presse est notamment la propriété de la femme la plus riche d’Australie, Gina Rinehart, héritière du groupe minier Hancock Prospecting. Climatoseptiscisme et défense des intérêts des groupes miniers vont de pair.

Climatoseptiscisme et défense des intérêts des groupes miniers vont de pair. 

Comme partout ailleurs, le capitalisme engendre une répartition des richesses inégalitaire. 86% de l’industrie minière du pays est détenue par des compagnies étrangères. La plus grande part de la plus-value générée échappe aux recettes publiques : dans l’État du Queensland, par exemple, les redevances sur le charbon ne contribuent aux recettes publiques qu’à hauteur de 6,4% -et descendront probablement en dessous des 5% dans les années à venir. Mais un grand nombre d’emplois directs et indirects dépend de cette industrie. En l’absence d’alternative claire à gauche, la droite conservatrice se maintient grâce à une version australienne du chantage à l’emploi. Augmenter les taxes sur l’industrie minière, ce serait s’attirer le courroux des marchés. Ce serait risquer une fuite de capitaux, des fermetures ou des réductions de production. Des licenciements suivraient inévitablement. Celles et ceux dont l’emploi dépend de cette industrie le comprennent très bien. Et à leurs oreilles, ceux qui proposent de taxer le capital des grands groupes miniers tout en refusant de toucher à la propriété de ces groupes proposent de s’engager dans une bataille avec la certitude de la perdre.

Quelle issue ?

Dans le monde que nous prépare le capitalisme, la taille et surtout la fréquence des méga-feux vont augmenter. Ce qui aujourd’hui nous apparaît comme une “catastrophe” deviendra un phénomène récurrent. Mais si nous sortons du champ de pensée restreint où nous confine les tenants de la catastrophe naturelle, nous voyons que nos moyens d’actions ne se limitent heureusement pas à la prière. Nous pourrions diminuer notre impact sur la nature et par là même diminuer le risque de phénomène naturel. Nous pourrions agir pour prévenir en amont d’un désastre, comme en entretenant les forêts ou en préservant les ressources en eau dans le cas de l’Australie. Nous pourrions renforcer les capacités de résiliences des populations. A une condition : s’il est vrai que le réchauffement climatique découle de choix politique et économique, alors nous aurons à imposer d’autres choix.

Il ne suffit pas de “protéger” les ressources naturelles. Il faut avant tout changer nos rapports entre la nature et le système de production. Du point de vue capitaliste, la terre est pleine de richesses qui ne demandent qu’à être exploitées. Ses ressources ne sont que des marchandises, sources potentielles de profits. Mais la nature a ses limites, les ressources sont épuisables ou bien ont leurs propres rythmes de régénération. L’être humain, s’il doit agir sur la nature et la transformer pour survivre, est incapable de créer la nature. Il en sera à tout jamais dépendant. L’être humain n’est en revanche pas dépendant de l’économie de marché. Pour faire primer l’intérêt général sur l’intérêt privé, il devra même s’en libérer. Le mot d’ordre « changer le système, pas le climat » doit devenir un programme concret – un programme qui ne peut être que révolutionnaire. La question de la propriété des mines, par exemple, n’est pas seulement celle de la distribution des richesses. Incluse dans un programme plus global, elle permettrait d’organiser au plus vite la sortie des énergies fossiles tout en préservant ceux qui en dépendent pour vivre. Pour pouvoir prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu, nous devons prendre les rênes de l’économie et y étendre les droits démocratiques dont nous sommes actuellement privés. Dans les questions écologiques comme dans les autres, l’heure n’est pas à la “transition” mais à la rupture.

Boris Campos, PCF 56

Principales sources :

source image de couverture : www.begeek.fr

https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-10-janvier-2020?fbclid=IwAR2Zmtx8ael3LquOllFJnD0LdqjX9xxXFrmLwv81aM682meC6ryTVYX9nvw

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