Leçons du mouvement des Gilets Jaunes

Le 17 novembre 2018 voyait naître un mouvement d’un nouveau genre et d’une ampleur sans précédent ces dernières décennies : les Gilets Jaunes.  Les Gilets Jaunes ont émergé suite à l’accumulation d’une colère sous-jacente et ont prospéré en grande partie via les réseaux sociaux. Totalement autonomes, non structurés, désorganisés dans un premier temps, sans direction politique ni syndicale, ils ont surpris tous les acteurs habituels. Avec une revendication unique dans les premiers temps autour de la hausse du prix des carburants, ils ont évolué, par la force des choses, à une multitude de revendications remettant en cause le système capitaliste.

Un mouvement inédit et précurseur des luttes à venir

De par sa nature même, il a pris de court et a bousculé tous les acteurs habituels à commencer par les médias, les syndicats, les organisations politiques et le Gouvernement. Les médias ont été, dans un premier temps, contraints de se raccrocher à une actualité qui faisait vie sans leur relais. En effet, passant les informations uniquement via les réseaux sociaux, les Gilets Jaunes ont su se passer complètement des médias traditionnels. Ces derniers ont été contraints de parler des Gilets Jaunes sous peine de se marginaliser devant ce phénomène de masse. De même, lorsque les violences policières ont commencé à apparaître en masse sur les réseaux sociaux alors que télévisions, radios et journaux n’en parlaient pas pour leur immense majorité, ils ont été contraints d’en parler et d’interpeller le gouvernement. Par exemple, lors du week-end du 1er décembre, une dame de 80 ans est décédée d’un arrêt cardiaque suite à un tir de grenade lacrymogène occasionnant des blessures graves à plusieurs personnes. Ce jour-là, aucun média hormis les médias  alternatifs n’en a parlé. A contrario, le week-end du 8 au 9 février, un jeune homme s’est fait arracher la main devant l’Assemblée Nationale par une grenade de désencerclement, les médias en ont parlé dans la journée et le Gouvernement a annoncé lancer une enquête. Il en a été de même avec la représentante d’Attac à Nîmes qui a subi de graves lésions  au crâne suite à une charge de CRS. Ce changement de stratégie des médias traditionnels est uniquement le résultat de la peur d’être dépassés par les réseaux sociaux et discrédités aux yeux de leurs auditeurs. Cette défiance des Gilets Jaunes envers les médias est confortée par les sondages. Ainsi ces derniers montrent que 2 personnes sur 3 pensent que les journalistes ne sont pas indépendants. Un chiffre en constante hausse depuis 2015. Le peu de confiance de la population envers les médias les poussent à prendre plus de précautions dans le traitement des informations.

    Par  souci de comparaison, prenons l’épisode précédent de violences lors de manifestations, à savoir la période de mobilisations contre la loi travail sous le gouvernement Hollande / Valls. Il y eut des centaines de blessés dus aux affrontements avec la police (qui déjà à l’époque faisait usage  de flashballs). Cependant, aucun média n’en a parlé, le traitement journalistique visant uniquement les casseurs et le gouvernement n’ayant jamais été inquiété par les médias dominants. Cette différence de traitement est due à l’utilisation massive des réseaux sociaux par les Gilets Jaunes tandis que, pour la loi travail, les violences policières restaient dans un cercle de militants. Pour les Gilets Jaunes, c’était totalement différent. Semaine après semaine, nous avons pu assister à un traitement médiatique en constante évolution. Les premières semaines, les médias ont cherché à discréditer le mouvement en le classant un coup de fasciste, un coup réalisé par des imbéciles, un coup par des poujadistes, populistes et j’en passe. Après trois semaines de mouvement, les médias mainstream ont ensuite changé leur fusil d’épaule en laissant la parole aux Gilets Jaunes et en donnant  même de la légitimité à leurs revendications. Après les annonces de Macron en décembre, les médias ont une nouvelle fois changé leur stratégie en mettant l’accent sur les incidents violents. Puis ils ont refait une tentative de dénigrement en taxant le mouvement d’antisémitisme et de fascisme. Cependant, rien ne semble y faire, les Gilets Jaunes sont toujours aussi populaires dans l’opinion publique.

Les Gilets Jaunes ont démontré que l’utilisation massive des réseaux sociaux est déterminante dans la bataille d’opinion. Grâce à leur utilisation intelligente des vidéos, interviews, dessins, caricatures, images, etc, ils ont marginalisé les médias traditionnels, détenus par les grands groupes capitalistes et les poussant non seulement à mettre de l’eau dans leur vin, mais même à jouer leur rôle de contre-pouvoir au gouvernement.

 Les Gilets Jaunes ont aussi innové sur leur mode d’action. Lors de leur mobilisation, les Gilets Jaunes ont eu à cœur de n’avoir ni représentants ni organisation. Ainsi, dans un premier temps, aucun rassemblement n’était déclaré en préfecture et les manifestations étaient très peu organisées. Les manifestations étaient tellement peu organisées que les premiers jours il était difficile de trouver les lieux de rassemblement. L’effet fut immédiat, les policiers et gendarmes étaient, de la même manière, très désorganisés. Ce type de mobilisation n’était ni réfléchi ni organisé et pourtant l’impact fut immense. En effet, en pleine période de Noël, beaucoup de Français ne sont pas sortis de chez eux le samedi pour ne pas se retrouver bloqués dans les fameux ronds-points. Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, a reconnu que l’impact était sévère et continu. Ainsi d’une entreprise à l’autre les chiffres montrent une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 15% à 25% dans la grande distribution, 20% à 40% dans le commerce de détail et de 20% à 50% dans la restauration. Ces chiffres sont considérables si on les met en perspective de la mobilisation et du fait que cela ait été réalisé sans effectuer un seul jour de grève. Sans y penser, les Gilets Jaunes ont repris la base ce que doit être une mobilisation sociale : perturber le plus possible l’économie. Les manifestations de la CGT, même en mobilisant beaucoup de monde, ne perturbent plus beaucoup le capitalisme. Ce dernier s’est complètement adapté à des types de mobilisation connus et reconnus. Les cortèges déclarés et encadrés, d’un point A à un point B, sans casse, sans débordement entraîne très peu de perturbations de l’économie. Chaque grève d’une journée de cette manière-là sonne comme un bourdonnement aux oreilles du Gouvernement. Tandis qu’une perte de l’ordre de plus de 2 milliards (selon le Conseil National des Centres Commerciaux), juste à la période de Noël, est un véritable coup de pied dans le tibia. À côté de cela, les Gilets Jaunes ont brûlé, dégradé et scotché 60% des radars du pays, ce qui a entraîné une perte nette pour l’État de plus de 660 millions d’euros de recette. À côté de cela, la période où les Gilets Jaunes ouvraient les autoroutes ont entraîné la perte de plusieurs « dizaines de millions d’euros » selon une déclaration de Vinci Autoroute. Là où le bât blesse est que la perte financière n’est réalisée que sur une journée sur la semaine. Imaginé un peu si ce type d’action avait été reconduite au quotidien. Assurément, les Gilets Jaunes ont montré la voie de la mobilisation musclée, mais la non-reconduction de leur mouvement entraîne une fatigue légitime des forces mobilisées et au final, un défaite probable.

 Par ailleurs, le gouvernement ne s’y trompe pas non  plus. L’emploi d’une violence extrême prouve que cette mobilisation est très gênante. Pas suffisante pour la faire céder, compte-tenu des enjeux économiques, mais gênante tout de même. La combinaison de la force de frappe de la CGT avec la désorganisation structurée des mobilisations aurait eu un impact déterminant sur les capitalistes. En effet, si nous prenons l’exemple du Havre, la ville peut être bloquée par les militants  en seulement quelques heures. Ronds-points stratégiques, ports, réseaux routiers et ferroviaires, bloquer tout ceci stoppe totalement l’économie de la ville. Les militants ont l’expérience de ce type d’action. La perte financière pour les capitalistes serait énorme dans ce cas, mais la CGT n’a jamais appelé ses militants à réaliser ce type d’action durant ce mouvement. Les seules actions qu’elle s’est accordées sont seulement deux journées de mobilisation, sans blocage. La Confédération syndicale est la grande absente de ces mobilisations des Gilets Jaunes. Elle est en grande partie responsable dans l’échec du mouvement.

L’absence dramatique des organisations traditionnelles des masses 

L’absence de la CGT des actions des Gilets Jaunes n’est naturellement pas le fruit du hasard, c’est un acte réfléchi et volontaire. Dans un premier temps, la Confédération a regardé d’un mauvais œil l’apparition d’un mouvement social émergeant, semblait-il, des réseaux d’extrême droite. Les revendications des débuts étaient très loin des revendications de la CGT. En effet dans les premières mobilisations, tout reposait sur la baisse des taxes sur le carburant. La CGT a raison de ne jamais être contre les taxes a priori. Tout dépend de ce que l’on fait de ces taxes, de comment elles se déclinent. Au-delà de l’objectif de la taxe, elle doit être juste et proportionnée. Or si l’on regarde la taxe sur le carburant, ce n’est pas du tout le cas, même si l’objectif final peut être louable. Visant à diminuer la pollution, elle ne vise ni les gros pollueurs (avions, cargos, poids lourds) ni les plus hauts revenus. Cette taxe était donc injuste et la CGT aurait pu légitimement la combattre. Reste le problème majeur de qui contrôle le mouvement des Gilets Jaunes. Si les premières mobilisations étaient floues sur l’origine du mouvement, assez rapidement chacun a pu se rendre compte qu’il était hétérogène et non organisé. C’est à ce moment-là que la CGT a fait l’erreur qui coûtera cher au mouvement : ne pas ou peu participer aux mobilisations.

 Assez rapidement, nous avons pu voir que les groupes d’extrême droite ont été rejetés des cortèges et que les revendications ont vite évolué pour rejoindre en grande partie celles de la CGT. Alors pourquoi la Confédération ne s’est-elle pas mise en ordre de bataille ? Tout d’abord, il faut nuancer notre propos, car sans pour autant sonner la mobilisation,  elle n’a pas donné d’interdiction non plus à ses militants de se joindre aux Gilets Jaunes. Elle a laissé faire. Ainsi de nombreux camarades de la CGT, que ce soit individuellement ou même en engageant leurs UD, UL ou syndicats, ont rejoint les Gilets Jaunes dans de nombreuses mobilisations. D’autres, manquant certainement de clairvoyance politique, n’ont eu de cesse de les discréditer en réunion et n’ont participé que peu au mouvement et uniquement sous la pression de la base. Nous pouvons féliciter l’action des camarades localement,  car ils sont dans le vrai, mais pour un mouvement d’ampleur nationale, nous attendions une action de la confédération.

 La CGT nationale n’a pas agi pour deux raisons essentielles. La raison officielle est qu’elle ne voulait pas « récupérer le mouvement ». En effet, ce mouvement se disant sans représentants et sans chefs, il aurait pu être mal vu de venir en force. Nous pouvons écarter dès maintenant cette fausse excuse. Si les Gilets Jaunes agissaient que le samedi, il aurait été bienvenu d’avoir une action syndicale en semaine. Ceci aurait été la continuité du mouvement dans les entreprises, la clé de la victoire. En réalité, la Confédération ne participe à aucun mouvement qu’elle ne contrôle pas structurellement. En effet, les Gilets Jaunes ne sont ni représentés ni dirigés et donc il est impossible de discuter avec qui que ce soit pour se mettre d’accord sur des modalités de lutte, de négocier les cortèges, de choisir les revendications communes, ceux qui iront ou non négocier avec le gouvernement, bref en face de la CGT il y avait la vague Gilets Jaunes avec aucune façon de la saisir par quelque bout que ce soit. Ceci n’est pas acceptable pour la confédération.

L’autre problème pour la CGT est que très rapidement chacun a senti le potentiel révolutionnaire ou du moins insurrectionnel des Gilets Jaunes. Sans organisation, sans structure, certains des Gilets Jaunes ont commencé à ravager samedi après samedi le mobilier urbain et certaines enseignes des Champs Élysées, le pied de l’Arc de Triomphe, les abords l’Assemblée Nationale,  policiers, CRS et généralement tout ce qui représentait l’ordre capitaliste (voitures de luxe, le Fouquet’s, les banques, etc.). Loin de discréditer le mouvement, comme habituellement, l’idée que « c’est le seul moyen de se faire entendre » s’est répandue comme une traînée de poudre. Loin de discréditer le mouvement, 60% des Français approuvent les Gilets Jaunes et 38% comprennent les violences (sondage BFMTV du 10 janvier 2019). Lancer les forces militantes de la CGT dans la bataille sur une grève reconductible revenait à risquer l’insurrection. Or la direction de la CGT est tout sauf révolutionnaire. Depuis de nombreuses années, il n’existe aucun programme politique de changement de société dans les textes de la CGT. La Confédération a pour objectif d’améliorer les conditions de travail des travailleurs, pas de leur donner le pouvoir. Les revendications sont les 32 heures, l’entrée des salariés dans les instances dirigeante des entreprises etc. mais jamais l’expropriation des capitalistes, jamais la prise de pouvoir et jamais la révolution et encore moins une insurrection incontrôlable.

Pour comprendre cette vision, il faut remonter en 1992 avec l’élection de Louis Viannet à la tête de la CGT. Suite à la baisse d’adhérents, ce dernier entame un virage radicalement réformiste comme le fait en même temps le PCF.  En 1995, lui et son équipe font sortir la CGT de la FSM communiste pour rejoindre la CFDT et FO à la CES. Aujourd’hui la CGT est toujours à la CES. A l’époque, Viannet quitte le bureau national du Parti Communiste et entame une séparation stricte entre la politique et le syndicalisme. Bernard Thibault continuera directement dans la même optique malgré les contestations de certaines fédérations. Passant outre le fait qu’ils étaient tous les deux au PCF, ils font rentrer la Confédération dans une vision fermée en séparant strictement la politique et le syndicalisme. Philippe Martinez, héritier de cette vision, suit ce même chemin sans prendre en compte les tensions et contestations internes qui sont de plus en plus fortes. Entre temps, Le Paon a fait un rapide séjour à la tête de la Confédération et il aura été la victime directe de ces tensions. La séparation des idées n’est pas une bonne chose pour la lutte, car le gouvernement sait que les forces de la CGT ne seront jamais engagées pour un changement de politique par la force. Il suffit donc d’attendre que l’orage passe et les réformes gouvernementales reprendront leur chemin. C’est exactement ce qui se passe. La conséquence de ces trente années dirigées par des réformistes est que la CGT ne se mêle pas des changements politiques, elle se contente d’améliorer les conditions de travail. Elle ne réalise plus de grève reconductible, mais seulement des journées éparpillées sur plusieurs mois. La réalité des faits est que cette stratégie est incapable de stopper l’hémorragie du régime imposé par les gouvernements depuis Chirac. Nous ne parlons même pas de gagner des revendications. Pire que cela, la Confédération reste en retrait lors d’un des plus importants mouvements sociaux des trente dernières années. Les conséquences de ces choix politiques seront très lourdes dans l’avenir, car plus le temps passe et plus la CGT (et les syndicats d’une façon générale) est discréditée.

 Nous sommes bien loin de la vision marxiste du syndicalisme. En effet, chez Marx, les syndicats transforment la masse informe des travailleurs en unité soudée et révolutionnaire : profiter des luttes diverses et variées pour travailler à la convergence politique en vue du changement de société. Cette vision a été abandonnée. « Dans la réalité, les prolétaires ne parviennent à cette unité qu’au terme d’une longue évolution, où le fait de revendiquer leurs droits joue aussi un rôle. Cette revendication n’est d’ailleurs qu’un moyen de les changer en « Ils » avec un grand I, d’en faire une masse révolutionnaire et unie. » (Idéologie allemande, Karl Marx). Chez les marxistes, gagner les revendications est beaucoup moins important que de créer cette unité des masses. Or avec les Gilets Jaunes, c’est tout un pan de la population qui est attiré par la lutte, par les manifestations, mais ignoré et délaissé par la CGT. Il est intéressant de voir que pour une bonne partie d’entre eux, ils n’ont jamais participé à des manifestations de la CGT que ce soit contre la loi travail en 2016 comme contre les retraites en 2010. Ils sont amenés dans notre camp par leurs revendications. Leurs revendications primaires se radicalisent de plus en plus jusqu’à devenir révolutionnaires. Le syndicat qui a pour tâche révolutionnaire (la CGT) de créer l’union boude les mobilisations et se désolidarise des Gilets Jaunes. À l’heure actuelle, nous ne mesurons pas encore quelles seront les conséquences à long terme des choix de la direction de la CGT, mais nous pouvons déjà affirmer que c’est un énorme gâchis et que parmi les Gilets Jaunes, l’hostilité à l’égard de la CGT est parfois palpable. À qui la faute ?

Sur le plan politique, le constat n’est pas beaucoup plus glorieux. De nombreux camarades du Parti Communiste ont travaillé localement à l’union entre les Gilets Jaunes et le Parti Communiste. C’est une excellente chose. Cependant, de la même manière que la CGT, aucune action coordonnée ni aucune stratégie n’a été mise en place par le PCF nationalement. N’interdisant rien, n’encourageant rien non plus, la direction du PCF est restée dans un silence inquiétant. Ce positionnement est très néfaste, car le contexte social est très favorable pour faire revenir le PCF sur les rails. Pourquoi un tel silence ? On ne peut que le regretter. Certains se félicitent de ne pas avoir fait de récupération, ils ont tort sur toute la ligne. Il faut absolument récupérer politiquement ce mouvement dit apolitique sous peine de le laisser à l’extrême-droite. Que nous agissions ou non, les Gilets Jaunes trouveront un débouché politique. Et c’est ce qui se passe. D’abord d’un point de vue stratégique, si le PCF fait preuve de pudeur de gazelle, d’autres partis ont beaucoup moins de scrupules : le RN d’abord a lancé ses hordes fascistes dans les rangs des Gilets Jaunes. Ils récoltent largement les fruits du mouvement. Électoralement, ils seront probablement le premier parti de France aux élections européennes. Pour le futur, ils ont réalisé des dizaines de milliers de contacts dans les rangs des Gilets Jaunes qui n’étaient pas politisés. En un mot, ils ont occupé le terrain et fait le travail que le Parti Communiste n’a pas fait (sauf quelques exceptions locales). Les militants de l’UPR ont aussi fait ce travail, bien que plus modestement.

D’un point de vue politique et philosophique. « Les communistes ne se distinguent des autres partis prolétariens que sur deux points : d’une part, dans les diverses luttes nationales des prolétaires ; ils mettent en évidence et font valoir les intérêts communs à l’ensemble du prolétariat et indépendant de la nationalité ; d’autre part, aux divers stades de développement que traverse la lutte entre le prolétariat et bourgeoisie, ils représentent toujours l’intérêt de l’ensemble du mouvement. » (Karl Marx, Manifeste du Parti communiste). Nous sommes très loin de la vision marxiste qui devrait être celle du parti communiste. Inaudible, il n’est pas inscrit dans le mouvement. Invisibles, très peu de cortèges de Gilets Jaunes ont vu les nouveaux drapeaux du PCF. 60% de la population ont prévu de ne pas aller voter aux élections européennes : ce sont eux qui nous intéressent. Certains ne seront pas d’accord avec cette vision de la politique. Selon eux, nous ne devons pas récupérer les mouvements que nous n’avons pas engendrés. C’est une grossière erreur, chaque lutte nationale appartient au Parti Communiste dans le sens où l’intérêt commun des travailleurs s’y exprime. Il a le rôle historique de mettre de la politique là où il n’y a que des revendications sectorielles. Or s’il reste en dehors des mouvements sociaux d’ampleur, comment peut-il le faire ? Dans les luttes nationales, c’est le Parti Communiste qui doit représenter l’intérêt de l’ensemble du mouvement. Or aujourd’hui le PCF au niveau national ne participe même pas au mouvement social, tout au plus avec un point fixe sur une manifestation. Il n’y a ni discussion, ni stratégie, ni action en vue d’entrée au cœur des GJ. Sommes-nous à ce point complètement perdus ?

Dans les luttes précédentes, que ce soit la loi travail ou celle de la SNCF, le PCF était présent physiquement dans les cortèges, mais inaudible politiquement, laissant la place totale à la CGT. Or l’importance de développer la conscience de classe passe essentiellement dans les luttes revendicatives. Lorsque les cheminots luttent pour sauver la SNCF, c’est l’intérêt général des travailleurs qu’ils défendent. Ce sont bien les capitalistes qui ont un intérêt de classe de privatiser les lignes pour leurs profits tandis que les travailleurs veulent un service public du rail performant, qui desserve l’ensemble des gares et qui soit peu coûteux. C’est toujours la lutte des classes qui s’exprime entièrement dans une lutte locale. C’est au PCF d’expliquer les nécessités d’un changement politique et du projet communiste. C’est à la CGT d’expliquer que derrière des revendications sectorielles, il y a une lutte d’intérêt de classe contre classe et que la solution est politique. La lutte des classes marche sur deux jambes. D’une part syndicale qui amène les travailleurs vers la lutte politique, d’autre part politique qui amène les travailleurs à la prise de pouvoir. Si les deux ne sont pas coordonnées, la révolution ne peut pas marcher.

L’avenir sourira aux audacieux

Depuis la crise économique de 2008, l’économie mondiale  peine à reprendre une croissance à deux chiffres. Selon les rapports de l’OCDE, de la Banque Centrale Européenne et du FMI, tous prévoient un krach du type 2008/2009 en plus grave d’ici 2020-2021. Pourtant toutes ces institutions nous ont habitués à un optimisme sans faille pour ne pas affoler les marchés, mais cette fois elles préfèrent prévenir faute de pouvoir guérir. Si l’on prend les USA, pays qui représente 20% de l’économie mondiale avec une croissance de 4,5% par an, le dernier trimestre n’a été que de 2,5%. Quant à l’UE sur la dernière année, la croissance était de 1,6% et le dernier trimestre seulement de 0,3%. L’Allemagne, navire amiral de l’UE n’a eu que 0,2% de croissance sur l’année et dernier trimestre, 0%. L’Italie est en récession pour la 5e fois en vingt ans. Le Japon est proche de la récession. La Chine responsable de 34% de la croissance mondiale est aujourd’hui à 6% sur l’année. C’est le plus petit taux depuis 1990. Seule l’Inde semble mieux s’en tirer. À côté de cela, les indicateurs économiques montrent une contraction du volume des échanges mondiaux. Le niveau d’endettement des états, des ménages et des entreprises est plus important que la veille de la crise de 2008. Les banques nationales et internationales essaient de pousser pour faire remonter les taux d’intérêt historiquement bas afin d’éviter leur effondrement. Cependant le taux de profit des entreprises ralentit, réduisant leurs marges de manoeuvre pour l’octroi de nouveaux crédits. Sans crédit, il n’y a pas d’investissement et sans investissement il n’y a pas de croissance. Cet état de fait nous rapproche inéluctablement d’une  crise économique mondiale de grande ampleur.

Ce qu’a montré le mouvement des Gilets Jaunes, c’est que le peuple français est pour partie mûr pour un changement politique radical. Le régime d’austérité et le matraquage fiscal appliqué aux travailleurs depuis 2009 est arrivé à son bout. L’immense majorité des Français réclame plus de justice fiscale, un allégement des impôts, des hausses des salaires généralisées à commencer par les plus bas et un travail qui permet de vivre dignement. Ainsi, un tiers des ouvriers pensent qu’il est nécessaire de changer radicalement de société. Ce taux monte à 50% chez les 15-25ans. Les problèmes climatiques joueront aussi un rôle de plus en plus grand dans cette volonté de changer de société. En cas de récession économique, le gouvernement Macron n’aura pas d’autre choix que de revenir sur les conquis sociaux et concessions fiscales afin de redresser la barre économique et sauver les entreprises les plus solides. Sa priorité ne sera pas d’investir dans les réductions d’émission de gaz polluants, car cela représenterait un investissement trop coûteux pour les capitalistes en période de crise. Le cocktail entre des Français excédés et une crise économique majeure peut être explosif si les organisations révolutionnaires sont prêtes à l’exploiter. Rappelons qu’il n’existera jamais de crise économique fatale au capitalisme s’il n’y a aucune force révolutionnaire pour exploiter ces moments particuliers. Cela dit en cas de crise il y aura une destruction massive des forces productives, en d’autres termes un chômage massif. Aujourd’hui nous assistons à une montée généralisée des nationalismes dans toute l’Europe et ceci n’est pas le fruit du hasard. Avec l’éclatement prévisible de la crise économique, nous pouvons nous attendre à une accentuation des nationalismes européens. Les organisations de la gauche traditionnelle sont en totale déconfiture et divisées comme jamais. Le plus dramatique est qu’elles restent en retrait des mouvements sociaux quand elles ne les dirigent pas. Mais que dirigent-elles encore ?

Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. Si le mouvement des Gilets Jaunes s’est créé en dehors des organisations politiques et syndicales c’est uniquement pour la raison que ces dernières ne jouent plus leur rôle depuis de trop nombreuses années et comme nous venons de le voir, elles ne sont pas parties pour changer. Pourquoi le Parti Communiste n’est pas capable d’organiser des mobilisations lorsque l’on sent la mayonnaise prendre sur une revendication particulière ? Car il est faible et sans force. Pourquoi est-il faible et sans force ? Pour de mauvais choix passés évidemment, mais aussi parce que lorsqu’il y a des mouvements d’ampleur nationale, il n’y joue pas son rôle. Pourquoi la CGT n’est pas à la tête des Gilets Jaunes ?  Car elle ne gagne plus de lutte depuis près de trente ans, car elle ne porte plus de lutte offensive depuis des temps immémoriaux à l’échelle d’une vie, car elle s’est limitée aux luttes revendicatives en oubliant totalement son rôle politique. La lutte des classes s’exprime avec ou sans les organisations de travailleurs. Si elles ne jouent plus leur rôle, elles s’en trouvent discréditées, mais les travailleurs ne peuvent pas rester sans outil dans cette lutte. Si les leurs sont défectueux, s’ils n’y trouvent pas ce dont ils sont besoin, alors ils les créent. Voilà comment est né le mouvement des Gilets Jaunes. Les travailleurs désorganisés politiquement et sans aucune expérience syndicale pour la plupart ont créé un outil qu’ils n’ont pas réussi à trouver ailleurs. Il ne faut pas chercher plus loin.

C’est extraordinaire de voir que les masses qui sont capables de créer en quelque mois les outils utiles à la leurs luttes. S’organisant petit à petit sur les réseaux sociaux, faisant l’expérience des luttes physiques, organisant manifestations et rassemblements, se réunissant pour parler société, avenir, revendications. C’est extraordinaire de voir qu’en partant d’une revendication très peu ambitieuse comme la baisse des taxes carburants, ils finissent par en conclure sur des revendications  communistes les plus radicales : tout le pouvoir aux travailleurs ou la nationalisation des entreprises en s’en prenant aux multinationales (Vinci sur les autoroutes ou plus récemment contre la privatisation des Aéroports de Paris). Bien sûr, les plus grincheux y trouveront à redire, car tout n’est pas parfait. Tout ceci n’est pas totalement abouti philosophiquement et politiquement, mais ils ont fait ce chemin seul. Et si tout n’est pas abouti, à qui la faute ? Le PCF et la CGT doivent se ressaisir. Ils ont un rôle historique à jouer. Il est primordial qu’ils y jouent leur rôle. Le PCF n’est pas là pour avoir quelques députés et la CGT n’est pas là pour gagner des revendications sectorielles. Il faut reprendre la direction des organisations de masse aux réformistes actuellement en place sous peine de voir disparaître des structures de plus de 120 ans d’histoire, souvent glorieuses et parfois égarées.

FL

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