Grève des hospitaliers du 14 novembre : vrai sursaut contre fausses réponses

Photo Stéphane de Sakutin. AFP

Par Olivier T, PCF Paris

En obtenant entre autres choses des revalorisations salariales sous forme de primes on ne peut plus partielles et partiales, la revalorisation de l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) hospitalier à hauteur de 2,5 % pour 2020 et une reprise pour un 1/3 de l’endettement des hôpitaux par l’État comme annoncé le 20 novembre par le Premier ministre Edouard Philippe. Ces annonces ont été enrobées d’incantations politiques pleines de bonnes intentions qui seront forcément suivies pour partie de dérobades institutionnelles en cascade. Au moins, la grève du 14 novembre aura permis de forcer le gouvernement et les parlementaires à reconnaître la gravité de la situation de l’Hôpital et plus largement celle de la santé en France. Malgré ces annonces, une nécessaire jonction sociale et politique autour de la santé doit s’opérer, y compris avec le mouvement des gilets jaunes, mais d’abord avec les grandes organisations syndicales et politiques de masse des travailleurs, à commencer par la CGT et le PCF associés à leurs alliés.

Le Sénat a en effet suspendu dès ce jeudi 14 novembre ses travaux sur le projet de budget de la Sécurité Sociale après l’annonce par le Président Macron que des « décisions fortes » seraient présentées par l’exécutif le mercredi 20 novembre. Il répondait ainsi à la colère des hospitaliers descendus en nombre dans la rue malgré l’obligation de continuité de service jeudi 14 novembre (au moins 10 000 manifestants à Paris selon les organisateurs et quelques milliers en province selon l’AFP). Le groupe CRCE (Communiste, Républicain, Citoyen et Ecologiste) a su faire traduire une telle annonce comme étant du « mépris » du chef de l’État pour un Parlement supposé en effet voter la veille le projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2020. Cette mobilisation et ce report constituent une petite avancée bien réelle au demeurant si l’on en juge d’après la manière dont on en est arrivé là comme d’après la « gravité » de la situation que le Président Macron s’est efforcé de reconnaître verbeusement. Si la manifestation du 14 novembre a pu être unitaire pour l’essentiel au niveau socioprofessionnel et mobiliser l’ensemble du secteur hospitalier, elle est venue d’abord du secteur des urgences et plus particulièrement du Collectif Inter-Urgences. Ce collectif a été initié par les paramédicaux dès le 11 septembre. Ce jour-là, ceux-ci se sont mobilisés avec des linceuls et des fumigènes à l’annonce d’un « pacte de refondation » des urgences proposé la veille par la Ministre de la Santé, Madame Agnès Buzin. La ministre avait annoncé un pacte où elle lâchait 750 millions d’euros suite à leur colère explosive durant l’été après la survenue de différents drames, et ce après déjà un premier début de mouvement en juin ayant obligé le gouvernement à concéder 20 millions d’euros en guise de miettes. Or, ces montants n’avaient une fois de plus été alloués que par redéploiement de crédits à budgets constants pour les hôpitaux, et ce afin seulement d’endiguer le mouvement.

Mais dans le domaine de la santé, la communication ne suffira pas et ne pourra plus suffire à l’épreuve de la réalité de telles contradictions héritées de trop longue date

L’extension réussie du mouvement s’est ensuite produite via la création connexe d’un Collectif inter-Hôpitaux élargi à tous les soignants de l’Hôpital, c’est-à-dire avec aussi des médecins. Le pouvoir de négociation et d’organisation interne aux hôpitaux dont bénéficient les  nouveaux venus est depuis longtemps entré en collusion avec leur impuissance économique. Ils  sont tributaires des directions d’hôpitaux qui elles-mêmes voient leur ministre de  tutelle devant se plier aux arbitrages de Bercy. Ainsi le montrent les arbitrages qui étaient prévus jusqu’à ce jour pour l’ONDAM et le PLFSS 2020. Le Parlement commence à saturer d’être réduit à la chambre d’enregistrement vassalisée d’un gouvernement ultra-capitaliste s’y dédouanant de sa propre pratique d’austérité économique telle qu’il l’a décidée et dont il se décharge selon les circonstances vacillantes de son style de gouvernement délétère. Cette brutalité dans la direction des  affaires de l’Etat est celle en jeu sur le plan budgétaire 2020 puisqu’il s’agit pour le gouvernement de faire transférer les charges inhérentes aux mesures fiscales arrachées de haute lutte par le mouvement des gilets jaunes sur les budgets sociaux et sanitaires. Ces derniers demeurent les dernières vaches à lait restantes aux yeux d’un gouvernement au service du Capital et dont la politique vise à rendre la société civile soit captive de celui-ci (pour les classes moyennes et leurs fractions subalternes au sein des classes populaires) soit contrôlables (pour les autres fractions des classes populaires et pour le sous-prolétariat). Or, l’ampleur de tels enjeux est potentiellement porteuse d’une véritable crise organique du bloc historique dit néo-libéral issu du début des années 70 dont est l’héritier volontariste le gouvernement Macron qui se porte  en sauveur du capitalisme.

Mais dans le domaine de la santé, la communication ne suffira pas et ne pourra plus suffire à l’épreuve de la réalité de telles contradictions héritées de trop longue date. Ainsi, même la Ministre Agnès Buzin en concordance avec le Président Macron a été forcée de reconnaître récemment la nécessité de mettre fin au modèle du « Tout T2A » (Tarification à l’Activité génératrice de recettes budgétaires et de productivisme concurrentiel dissocié des besoins de soins de proximité de l’ensemble de la population d’un territoire) et celui de « l’hôpital-entreprise ». Dans un tel contexte, ce sont bien vingt années de réformes que de nouvelles et énièmes réformes doivent supplanter en urgence et en apparence tout en conservant l’équilibre structurel d’intérêts antagonistes. Ce processus se déroule dans un champ sanitaire et médico-social indexé à l’ensemble des secteurs économiques et sociaux rendus ingouvernables dans le contexte d’un capitalisme mondialisé actuellement en crise.

C’est toute l’économie de la santé qu’il s’agit de politiser sans marchandisation

Un tel mouvement se doit dès lors d’appréhender lucidement les stratégies en bloc qu’un tel gouvernement ne peut que conduire. Celui-ci va alterner l’urgence avec l’atermoiement au niveau de « mesures » ne reprenant que la bonne mesure des intérêts du Capital à garantir face à ceux du Travail. Il n’en aura que faire des personnels asservis à un productivisme inhumain tant pour les soignants que pour les soignés. De nouveaux outils de gestion et de rationalisation ne peuvent que venir s’imposer autrement par la suite, au nom de l’innovation « disruptive » et de la technophilie de l’élite. Des professionnels sont formés à organiser la pénurie de soignants par mutualisation de compétences et responsabilités déchargées vers le bas à moindre coût sur le dos des salariés (cf. nouvelles fonctions d’infirmier praticien et projets de refonte des missions des aides-soignants par rapport aux infirmiers). Indirectement, des patients captifs sont portés en caution pour de tels changements menés sur fond de divisions catégorielles savamment entretenues.

A cela s’ajoutent les déplacements des soins vers le domicile et une société civile enjointe à faire preuve d’une solidarité impossible, par défaut de réouverture de lits d’hôpitaux fermés et par l’insuffisance économique « coupable » des familles vis-à-vis de leurs proches (cliniques privées, restes à charge, frais d’hébergement et dépendance en EHPAD…).

C’est toute l’économie de la santé qu’il s’agit de politiser sans marchandisation, ce qui passe par sa nationalisation, la fin de la liberté d’installation des médecins libéraux et du secteur tarifaire n°2, la création d’un 5ème risque « dépendance » (vieillesse – handicap) de la sécurité sociale, etc. C’est qu’il faut en revenir à ce qu’est la santé pour une société jusque dans son économie, santé foncièrement incompatible avec le régime capitaliste, à plus forte raison celui d’aujourd’hui.

Pour rappel, le médecin et philosophe Georges Canguilhem (Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 1966, 2015) définissait judicieusement la santé non comme un « état normal » référé à une moyenne ou à une statistique, mais comme une capacité d’adaptation normative visant à l’intensifier par de nouvelles possibilités de vie, même les plus infimes et les plus ténues, au lieu de seulement chercher à la maintenir. C’est pourquoi selon lui la pathologie est une « normativité restreinte ». Or, dans ce sens, toutes les réformes technocratiques ayant eu cours depuis le début des années 2000 n’ont effectivement fait que préparer le « cauchemar de l’hôpital du futur » pour reprendre l’analyse de Frédéric Pierru (article Le cauchemar de l’ « hôpital du futur », D’où vient la crise des urgences ?, Le Monde diplomatique, n°787, 6ème année, Octobre 2019). Ce cauchemar commun nous attend tous déjà malgré toute la cosmétique des mesures superficielles annoncées en urgence, car ce cauchemar s’est déjà préparé en contraignant et contrôlant sans cesse les professions médicales à l’hôpital et les ressorts de leurs pratiques organisées fonctionnellement sur une base produisant une technostructure d’ensemble, véritable « contre-valeur vitale » à laquelle il s’agit enfin de mettre démocratiquement un point d’arrêt, à rebours de toutes les privatisations rampantes qui vont continuer à être savamment instillées par le gouvernement.

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