Élections municipales : quelle stratégie pour le PCF ?

 

S’il y a bien une élection qui déchaîne les passions compte tenu de ses enjeux au Parti Communiste, ce sont bien les élections municipales. Les prochaines auront lieu en mars 2020. Le PCF possède un grand maillage d’élus locaux à travers la quasi-totalité des départements et ces élections sont d’une importance vitale en ce qui concerne les finances du parti. En effet,  si l’on se réfère à la documentation qui est envoyée aux adhérents, ses sources de financement sont issues à 43% de la contribution des élus, c’est à dire qu’ils reversent en totalité ou en partie les indemnités qu’ils perçoivent en tant qu’élus, alors que les cotisations des adhérents ne représentent que 23%.

A l’heure où le PCF voit l’érosion de ses adhérents année après année et se trouve dans une situation toujours plus difficile du point de vue électoral, il n’est pas difficile de comprendre que les enjeux financiers pèsent lourd dans le débat sur la stratégie à adopter à chaque élection municipale. Les dirigeants nationaux et locaux, sous couvert de « large rassemblement », ont souvent adopté la stratégie du rassemblement d’appareils permettant d’augmenter les chances de remporter les élections afin d’obtenir le maximum d’élus. Pour eux, il s’agit d’une question de survie du parti, quitte à faire des alliances en mettant l’aspect programmatique au second plan. Une alliance peut être nécessaire pour représenter une force plus conséquente et écarter un adversaire de droite ou d’extrême droite. En plus de la question du programme, ce sont les circonstances dans lesquelles elle peut se dérouler et ce sur quoi elle débouche qui peut poser problème. Est-elle profitable pour faire valoir les idées du PCF, est-elle utile dans la lutte contre l’austérité ?

La position vis-à-vis du PS est une question qui divise. Entre 2012 et 2017, le gouvernement dit « socialiste » de François Hollande a mené une politique pro-capitaliste, aggravant les conditions sociales des travailleurs, comme la loi El Khomri remettant en cause le code du travail. Ce gouvernement a fait la démonstration qu’il était incapable d’avoir une politique indépendante des intérêts des capitalistes, qui réclament toujours plus de flexibilité en ce qui concerne les droits des travailleurs. Il ne s’est en rien distingué du gouvernement précédent en poursuivant les réformes rétrogrades. Par la même occasion, il a lancé une créature qui a échappé à son contrôle : Emmanuel Macron. De fait, comme beaucoup de partis dans l’exercice du pouvoir, si celui-ci ne peut apporter une réponse à la dégradation des conditions de vie, il se retrouve dans une position très affaiblie. C’est la voie qu’a empruntée le PS.

Dans de nombreuses municipalités, le PCF est dans la majorité avec le PS, quand bien même sur le plan national les communistes ont vivement critiqué la politique de l’ancien gouvernement. Il va sans dire que cette position « schizophrène » est devenue intenable vis-à-vis d’un PS local qui ne tirerait pas publiquement un bilan sans concession de son récent passage gouvernemental. Nombre de militants engagés dans ces majorités locales se sont battus pour mener une politique en adéquation avec leurs convictions, diminuer les effets de l’austérité notamment à travers l’arbitrage budgétaire, mais au bout duquel il faut respecter cette majorité. Peut-être d’autres n’ont pas cette même force de conviction et placent le mandat d’élu comme un objectif au-dessus des autres ou mettent en sourdine leur voix pour ne pas mettre en difficulté la majorité. A l’heure où le PS a fait la démonstration de son caractère pro-capitaliste, il est nécessaire de clarifier la nature des alliances. Le PCF a une longue tradition de lutte, il a marqué les conquêtes sociales qui ont jalonné le 20e siècle. Or aujourd’hui, il manque d’audace et d’idées qui tranchent radicalement avec le système capitaliste. Il a abandonnée l’idée du projet communiste au profit d’une politique basée sur la défense des conquis sociaux et de propositions d’améliorations sociales en tous genres mais qui ne remettent pas en cause fondamentalement la propriété capitaliste. Lorsqu’il évoque le communisme dit «de nouvelle génération », il est difficile d’en comprendre les contours. Il en résulte une stratégie d’alliance confuse avec le PS qui contribue à brouiller les cartes.

La question de la position du PCF avec le PS peut aussi se poser vis-à-vis d’autres organisations, notamment avec Europe Écologie Les Verts qui n’hésitent pas à s’engouffrer dans la mode des mouvements tels que LREM ou LFI, qui rompent en parole avec la forme parti, bien que ces derniers aient des programmes qui ne défendent pas les mêmes intérêts. Yannick Jadot n’hésite pas à proclamer suivre la voie du pragmatisme en n’étant ni de droite ni gauche. Par cela, il alimente la confusion générale.

Ainsi le contexte national posé, les situations doivent s’observer au cas par cas avec comme stratégie commune que les communistes ne devraient jamais s’engager dans des alliances qui pourraient porter atteinte à leur intégrité politique, c’est-à-dire compromettantes, mais sans s’engager dans la voie du sectarisme. C’est la raison pour laquelle la question programmatique est fondamentale. Les discussions devraient être conditionnées par cet aspect. Quel programme défend localement le PCF ? Quelles autres organisations sont susceptibles de partager tout ou partie de ce programme ? Auquel cas, quels compromis pourraient être acceptables sur le plan programmatique ? Avec comme condition sine qua non la libre expression et critique du PCF. La répartition sur les listes électorales vient en second plan. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour ce dernier aspect mais l’ordre décrit précédemment est fondamental. S’il n’est pas respecté, cela contribuera à présenter le PCF comme un parti « qui ne se distingue pas des autres avec l’objectif commun de la lutte des places » comme on peut l’entendre régulièrement. Le PCF a besoin de sortir de l’ornière dans laquelle il se trouve, la stratégie qui consiste à sauver des places d’élus à court terme sous prétexte que s’ils disparaissent le parti se rendrait invisible est un mauvais calcul à long terme ; à l’inverse, c’est cette stratégie qui a participé à son affaiblissement.

Partant de ce principe cela ne signifie pas qu’il faut rompre toute discussion avec le PS par exemple, mais une telle alliance doit avoir la garantie d’une marge de manœuvre du PCF indépendante en cas de victoire. C’est pourquoi la première des conditions, en cas d’alliance, est la libre expression de chacune de ses composantes. En effet, même si sur le plan programmatique le compromis pourrait être acceptable, le PS a plus d’une fois prouvé qu’une fois au pouvoir il était capable de tourner le dos à ses promesses de campagne, voire de mener une politique de régression sociale. Le PCF aurait alors le droit et le devoir de critiquer l’attitude de son “allié”.

L’intérêt d’une campagne électorale ne se limite pas au résultat du scrutin.  C’est avant tout l’occasion de présenter un programme, d’exprimer des idées, c’est une estrade. De ce point de vue, présenter un programme qui dénonce les sources même de la faillite du capitalisme et  du réformisme  permettrait de trouver un écho parmi les travailleurs à la recherche d’une solution qu’ils ne trouvent plus dans les grandes organisations traditionnelles, mais cela implique une réflexion profonde sur la nature du programme du PCF. De cette stratégie nous pourrions espérer que le PCF puisse se renforcer en termes de militants cotisants et pourrait de nouveau avoir l’audace d’une politique indépendante de la simple nécessité de survie de son appareil.

Les limites de la gestion « communiste » de la municipalité

Par la force des choses cette échéance électorale mobilise les militants qui se trouvent en première ligne, leur offrant l’occasion de prendre les affaires de la ville en main. De nombreuses villes sont détenues par les communistes mais la situation devient de plus en plus compliquée. Le capitalisme croule sous le poids de ses propres contradictions. Les forces productives ont fait un bond de géant depuis l’avènement de ce système, mais force est de constater que depuis les années 70, du point de vue économique, le capitalisme européen est un système de crises perpétuelles. Il en résulte l’application de plans d’austérité sur plans d’austérité afin de revenir à un équilibrage budgétaire. Tout ça pour tenter d’enrayer l’augmentation de la dette publique qui atteint, en France, pas loin de 100% du PIB. Le résultat de cette politique est la baisse des dotations versées aux municipalités et des moyens donnés aux fonctionnaires et contractuels territoriaux. L’austérité nationale se  traduit inéluctablement en austérité municipale. C’est tout un tissu local qui en est affecté, à la fois les services publics mais aussi les associations qui interviennent dans le champ de la cohésion sociale de la ville. Les communistes, tout en voulant fournir un service public de qualité pour leurs habitants, en viennent inéluctablement à exercer une pression sur leurs agents pour fournir le même niveau de prestations mais avec des moyens en moins, indépendamment de leur volonté ou au détriment de l’augmentation de la dette municipale. Dans ce dernier cas, cette dernière offrirait l’occasion au préfet de mettre sous sa tutelle la commune, ce qu’il ne manquerait pas  de faire s’il s’agissait d’une ville communiste. La seule alternative à ce genre de situation serait la mobilisation de ses habitants contre toute forme de tutelle. Si une telle situation était possible et se déroulait, alors elle enverrait un signal fort à l’ensemble des travailleurs dans la lutte contre le capitalisme.

Il faut ajouter à ce contexte difficile la métropolisation qui empiète allègrement sur les prérogatives et les compétences de la municipalité. Si les habitants élisent leurs maires et conseillers municipaux, ils n’ont que peu de prise en ce qui concerne la métropole, qui dépossède la commune d’une bonne partie de ses moyens d’action.

L’élu local doit œuvrer à construire la démocratie locale à laquelle nous aspirons, en construisant des structures qui permettent l’intervention des habitants dans la gestion de leur quotidien au sein de leur quartier, de leur ville. Cela ne le dispense pas d’être soumis à la démocratie interne de notre organisation, notamment vis-à-vis de sa section à qui il doit en grande partie son élection. Les affaires d’importance qui sortent du cadre du programme municipal sur la base de duquel il a été élu concerne l’ensemble des militants de la section. Celle-ci doit donc être consultée dans la mesure du possible – et si elle ne l’est pas, elle est en droit de le demander. Dans le cas où les circonstances ne permettent pas le temps de la consultation, un rapport de décision devrait être présenté. De la même façon,  les élus devraient présenter un bilan de leurs actions périodiquement. Renforcer la connexion des élus avec la base est indispensable pour améliorer la démocratie interne du PCF, vitrine du programme que nous défendons.

La gestion municipale du PCF se distingue en mettant en avant des mesures sociales et solidaires dans la lutte contre les inégalités, défendant la démocratie et le libre accès à la culture, etc. Cela se traduit par un arbitrage budgétaire orienté dans ce sens. Mais dans le fond, même communiste, une gestion municipale n’en reste pas moins une gestion de l’austérité. On ne peut établir un îlot communiste entouré du capitalisme, qui plus est dans le contexte que nous connaissons. Il faut être clair sur ce point : le meilleur programme communiste aux municipales n’inversera pas le cours des événements, il pourra tout au plus atténuer les effets d’un système économique qui engendre injustices et inégalités. Ce sont là les limites d’une politique municipale. Nos élus doivent les exprimer ouvertement. On peut « redonner goût à la politique » en expliquant la réalité de la situation : l’émancipation et la transformation profonde de nos conditions d’existence nécessitera l’organisation et la mobilisation de la population dans des luttes extra-électorales, dirigées contre le capitalisme et ses conséquences. Le combat communiste dépasse largement l’objectif d’une victoire ou de quelques conseillers municipaux.

Gauthier HORDEL PCF ROUEN

3 thoughts on “Élections municipales : quelle stratégie pour le PCF ?

  1. Une longue analyse qui rassemble beaucoup de vérités voire d’évidences. Je suis d’accord pour souhaiter une meilleure communication entre nos élus et les gens. Encore faut il qu’il y ait des élus assez nombreux. Attention au niveau du lexique de ne pas encore parler des « ouvriers » puisque il faut englober les chômeurs, les retraités ou autres auto entrepreneurs ou libéraux qui peuvent très bien être de gauche et communistes.
    Bien sûr votre analyse et bien étayée. J’ai partagé ce point de vue pendant longtemps en étant d’avantage sectaire sur le fonctionnement des constitutions de listes électorales municipales. Force est de constater que les choses evoluent( pas toujours en bien) et que nos « stratégies «  doivent s’adapter.
    Au plan national je me réjouis des conclusions du dernier congrès. Les conséquences toutes pragmatiques au niveau de la population française ont été de faire apparaître de nouveaux responsables, plus jeunes, plus adaptables,empathiques et donc susceptibles d’être attractifs pour une nouvelle génération.
    Bien sûr c’est considérer plus la forme que le fond, me direz-vous, mais à l’heure des réseaux sociaux et de la médiatisation à outrance, l’adaptabilité me paraît indispensable.
    Personnellement mes idées n’ont pas changé mais la façon de les faire aboutir doivent commencer par être moins ambitieuses qu’avant.
    PS: je suppose que je reçois ce message de la riposte de Rouen via Allain d’Alès. À ce propos je veux faire remarquer qu’à l’époque de Roger Roucaute, maire communiste il y a plus de trente ans, la municipalité comportait également des PSU et des socialistes. Ils ont travaillé en bonne entente et jamais notre ville n’a été aussi bien dotée au niveau culturel.
    Bonsoir et bon travail militant.
    Lise Maniel Barbour.

  2. Salut camarades,

    Excellent article et clair du camarade Gauthier Hordel !

    La tactique et la stratégie électorale c’est de la haute voltige, attention aux chutes…

    Que le PCF ne se perde pas en alliance ou compromission avec des partis qui ont trahi les intérêts de la classe ouvrière, attachons – nous au programme communiste, un programme ouvrier qui doit renouer avec le marxisme, les travailleurs regardent et attendent, ils nous jugeront sur pièce…

    Bien fraternellement,
    Laurent Gutierrez, du PCF de Côte d’Or

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