La récente mise à mort par balles de 16 Palestiniens désarmés à Gaza par l’armée israélienne soulève le problème de la politique honteuse de l’état d’Israël vis-à-vis de Gaza. Mais ce tragique évènement pose aussi la question du leadership du mouvement national palestinien. Nous republions ici un article provenant du site Asian Marxist Review, tenu par des révolutionnaires marxistes au Pakistan. Il traite principalement de la situation difficile vécue par la population gazaouie et l’état de délabrement dans lequel se trouve actuellement la direction du mouvement national palestinien.
Par Lal Khan, rédacteur en chef.
Article original : Palestine’s Arduous Struggle for liberation
Le premier ministre Hamdallah, qui est à la tête du gouvernement de l’Autorité Palestinienne basée à Ramallah en Cisjordanie, a été attaqué à la bombe lors de sa dernière visite à Gaza, une zone gouvernée par le Hamas. Cet incident montre à nouveau le caractère compliqué et semé d’embûches de la lutte de la majorité du peuple Palestinien pour mettre fin à l’occupation israélienne et s’émanciper économiquement.
Le peuple palestinien ne souffre pas uniquement de l’oppression brutale qu’exerce sur lui l’état d’Israël et ses soutiens impérialistes. Il subit aussi d’une manière indirecte les conséquences des politiques de la ‘communauté internationale’, des Nations-Unies et des dirigeants plus ou moins dictatoriaux des pays arabo-musulmans. La lutte fratricide qui fait rage entre les deux partis palestiniens dominants dans les territoires occupés n’est rien de moins qu’un obstacle dans la lutte pour l’indépendance. L’explosion du 13 mars est survenue peu de temps après que le convoi de Hamdallah soit passé à travers le checkpoint israélien d’Erez, connu par les Palestiniens sous le nom de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza.
Hamdallah a déclaré aux reporters qui l’interrogeaient que cette attaque « n’est pas représentative du patriotisme. C’est un acte lâche qui ne représente ni notre peuple, ni la population de Gaza ».
Son parti, le Fatah, qui gouverne la Cisjordanie via l’Autorité Palestinienne, a qualifié cet incident d’« attaque terroriste » et en a attribué la responsabilité au Hamas. « Cette attaque représente une tentative de tuer tous les efforts de réconciliation. C’est une démarche dangereuse visant à semer le désordre et les luttes intestines au sein de notre peuple », selon un communiqué du Fatah. Ce même communiqué ajoute que « le Hamas a complètement échoué à assurer la sécurité à Gaza, tout comme il a échoué à fournir une vie décente à notre peuple dans ce territoire [qu’il dirige] ».
Le Hamas et le Fatah ont signé un accord de ‘réconciliation’ en octobre dernier au Caire, supposément pour mettre fin à la division datant d’une décennie, avec deux gouvernements parallèles dirigeant respectivement la bande de Gaza et la Cisjordanie. L’accord devait garantir la formation d’un gouvernement d’union, mais il se révèle sous son vrai jour, à savoir une nouvelle tentative ratée de réconciliation.
Répondant à ces accusations, le porte-parole du Hamas, Iyad al-Buzom, a déclaré que « ce blâme porte des dimensions politiques. Ici à Gaza, nous prenons toutes les précautions en termes de sécurité pour accueillir tous les convois et les délégations et particulièrement celle du premier ministre lorsqu’il est entré dans la bande de Gaza. Plusieurs suspects ont été arrêtés il y a peu de temps et une enquête est en cours pour trouver qui était derrière l’explosion ». Moustapha Ibrahim, un analyste politique basé à Gaza, a déclaré que « les deux protagonistes essaient de tirer parti de cette explosion … Nous allons entendre le Fatah déplorer que certains membres du Hamas ne tiennent pas à la réconciliation, et de la même manière, nous allons entendre le Hamas dénoncer que [cet attentat] pourrait avoir été fabriqué de toutes pièces par les services de sécurité du Fatah ».
La dure réalité est que le Fatah et le Hamas représentent l’élite palestinienne uniquement. Avec une économie palestinienne qui n’existe quasiment pas, l’ensemble de la vie sociale et économique dépend totalement d’Israël. Cependant, les cliques aux manettes sont financées par différents régimes de la région et les puissances mondiales qui ont cyniquement utilisé la question palestinienne comme un pion parmi d’autres au service de leurs raisons d’état respectives, comme cela a été fait durant des décennies. Dans une certaine mesure, le conflit entre le Hamas et le Fatah est aussi une conséquence des contradictions très dures qui existent entre les financeurs respectifs des deux protagonistes et de leurs intérêts antagonistes. Le conflit opposant d’un côté l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis et de l’autre le Qatar en est un parfait exemple, alors que ces trois pays comptent parmi les principaux pourvoyeurs de fonds à destination des élites palestiniennes.
Le mouvement national palestinien des sept dernières décennies montre que ni les accords diplomatiques ni la soi-disant ‘lutte armée’ – à coups de guérillas urbaines et d’attaques à la bombe – n’ont réussi à faire avancer d’un pas l’aspiration du peuple palestinien à l’autonomie. Les attentats terroristes à caractère religieux ont porté dommage à la cause palestinienne. En réalité, le but à atteindre semble s’être éloigné après ces sept décennies. La diplomatie de Mahmoud Abbas et d’autres leaders de l’Autorité Palestinienne, faite d’opportunisme et de magouilles avec les principales puissances capitalistes n’a fait que donner aux colons israéliens davantage d’espace et de temps pour imposer leurs règles et accélérer les confiscations de terres et l’implantation de colonies.
Sans le soutien secret et parfois manifeste de la part de l’état d’Israël, ces élites palestiniennes ne dureraient pas. L’état d’Israël est heureux de voir le Hamas lancer des roquettes inefficaces sur des parties désertes du territoire israélien, pour s’en servir comme prétexte pour accentuer l’oppression brutale qu’il exerce sur le peuple palestinien. Alors que ces élites palestiniennes s’engagent dans une surenchère de condamnations de l’occupation israélienne, l’état d’Israël se révèle parfois de mèche avec elles, réprimant la jeunesse et les masses palestiniennes à leurs côtés lorsque la colère de la rue menace de se transformer en une nouvelle intifadha.
Les présidents successifs des Etats-Unis ont été les principaux soutiens de l’état d’Israël dans la perpétuation de l’occupation de la Palestine. L’Organisation des Nations-Unies a prouvé au reste du monde qu’elle n’est pas uniquement un pion entre les mains des puissances mondiales. De nombreuses résolutions ont été votées par l’Assemblée Générale sur le sujet de la Palestine. Cependant, aucune de ces résolutions n’a réussi à apporter quelque répit que ce soit à l’oppression nationale et sociale que subissent les masses palestiniennes.
L’occupation israélienne de la Palestine est la plus longue occupation dans l’histoire moderne et, tragiquement, elle semble sans fin. Aujourd’hui, 80% de la population des Territoires Occupés reçoivent de la nourriture via l’aide humanitaire ; la moitié de la population vit dans une situation d’insécurité alimentaire et seulement 10% jouit d’un accès adéquat à l’eau courante. La crise de l’électricité qu’a connu la population de Gaza signifie que le courant électrique n’était pas disponible pour une durée allant jusqu’à 20 heures par jour en 2017. L’état d’Israël et l’Autorité Palestinienne ont tous les deux le pouvoir de couper le courant électrique à destination de Gaza. Le chômage qui sévit parmi la jeunesse de Gaza dépasse les 60%, et 25% des Palestiniens vivent actuellement dans un état de pauvreté absolue. Le territoire assiégé de Gaza est assimilé à la plus grande prison à ciel ouvert dans le monde.
La Cisjordanie a été déchirée et morcelée par le monstrueux ‘Mur d’Occupation’ construit par l’état d’Israël. Ce mur a mis encore plus d’entraves aux mouvements des familles palestiniennes dont les membres vivent dans des villes différentes, les empêchant de se réunir et à toute personne de mener une vie sociale normale. Selon un rapport de l’organisation Human Rights Watch, « la fermeture par Israël de la bande de Gaza, et particulièrement les restrictions sur les déplacements des personnes et des biens, continue de faire subir de sévères conséquences à la population civile, séparant les familles, restreignant l’accès aux soins, à l’éducation et aux opportunités économiques, perpétuant le chômage et la pauvreté. Environ 70% des 1,9 millions de personnes vivant à Gaza ne peuvent compter que sur l’aide humanitaire. Le passage du poste frontière d’Erez, celui qui permet de passer de Gaza à Israël, à la Cisjordanie et au reste du monde est limité aux ‘patients en urgence médicale’ et bien sûr aux ‘hommes et femmes d’affaires d’importance’ ».
L’approche impérialiste de l’Europe consistant en une empathie de façade envers le peuple palestinien est hypocrite. En réalité, l’impérialisme européen a tacitement soutenu le régime sioniste. Quant aux politiques des élites russes et chinoises, elles sont fondamentalement déterminées par leurs intérêts économiques particuliers, leurs objectifs stratégiques de concurrencer l’impérialisme occidental et de gagner une position hégémonique sur le plus long terme. Le ‘soutien’ de ces dernières n’a pas amélioré plus que cela la situation des masses palestiniennes.
L’attitude des régimes arabes et des pays musulmans est peut-être la plus honteuse. Ces tyrans ont usé et abusé de la ‘question palestinienne’ pour des raisons de politique interne. Ils se sont servi de cette cause pour divertir les masses qu’ils dirigent et d’écraser la dissidence, manipulant la sympathie générale qu’éprouvent les masses de ces pays pour le peuple palestinien. Dorénavant, leurs relations avec les dirigeants israéliens sont mises à nu.
La répression des couches populaires du peuple palestinien par le Hamas et les fondamentalistes musulmans à Gaza et par le Fatah en Cisjordanie est perfide. Ces deux autorités palestiniennes ont restreint la liberté d’expression, torturent et maltraitent des personnes détenues. Le Fatah et le Hamas arrêtent et répriment les activistes qui critiquent leur corruption et leur duplicité.
La jeunesse palestinienne et les masses ont prouvé leur résilience face à cette situation. Ce sont les deux mouvements de masse des deux Intifadhas depuis les années 80 qui ont bousculé l’état d’Israël et l’ont forcé à lâcher quelques concessions. Mais une fois ces mouvements de masse essoufflés, l’oppression économique et militaire s’est faite plus cruelle encore. La cause palestinienne a bénéficié d’un plus grand support régional et international lorsqu’elle était représentée par des forces radicalement progressistes, et qu’elle n’était pas teintée de sectarisme religieux et de diplomatie affairiste avec les grandes puissances. De manière incongrue, dans les années 70 et 80 ce sont les services secrets israéliens via le Mossad qui ont financé des groupes fondamentalistes pour saper la résistance palestinienne alors franchement progressiste. Désormais, le Fatah et le Hamas dominent l’ensemble du champ politique dans les territoires occupés. Pour le succès de leur lutte pour une émancipation nationale et sociale, les masses palestiniennes ne peuvent compter que sur le soutien des classes et des peuples opprimés dans la région et au-delà. Les élites dirigeantes et les états ne feront que se servir de leur cause pour leurs intérêts particuliers.
Paradoxalement, une révolte plus large des masses palestiniennes peut servir de catalyseur dans la lutte des classes dans l’ensemble de la région. De tels mouvements peuvent briser le sectarisme religieux, en finir avec les divisions ethniques et nationales et unifier les masses opprimées dans une lutte des classes révolutionnaire pour mettre fin à ce système d’occupation, de répression et d’exploitation.
19 mars 2018.