Dans les médias occidentaux, le Pakistan est régulièrement représenté comme un repaire de terroristes assoiffés de sang, de kamikazes, d’obscurantistes religieux et d’une population conservatrice. Ce qui est généralement oublié, c’est la lutte des travailleurs opprimés, exploités et démunis contre les classes dirigeantes de ce pays. Il y a eu d’innombrables luttes de masse contre ce système d’exploitation, mais cette histoire a été effacée par l’État afin de priver la classe ouvrière de son passé et la décourager de lutter contre la classe dominante.
La création du Pakistan est la conséquence de la partition, sur des critères religieux, du sous-continent indien, en août 1947. Cette partition a déchiré une civilisation vieille de 5000 ans pour donner naissance à un nouveau pays, sur la base d’une « théorie » de « nation islamique ». Elle a mené à des migrations sanglantes, provoquant la mort de 3 millions de personnes. Ainsi, le régime colonial britannique, en quittant le pays, a laissé derrière elle une ligne de démarcation religieuse, pour réduire le risque de nouvelles révoltes dans cette partie du monde.
Peu de temps après sa création, le Pakistan est entré dans une crise profonde sur tous les plans. La classe dirigeante s’est révélée totalement incapable de mener à bien la moindre des réformes démocratiques dont le pays avait besoin. Pour sauvegarder les intérêts de cette classe, le maréchal Ayub Khan a imposé la loi martiale en 1958. À l’époque, le capitalisme occidental était dans une phase de croissance économique. Peu de temps après la prise en main du pays par les militaires, Ayub Khan a lancé un plan de modernisation du Pakistan et tentait de consolider l’État capitaliste, sous l’autorité et avec l’aide de l’impérialisme américain, notamment pour endiguer la vague révolutionnaire qui, dans la foulée de la révolution chinoise, menaçait de se répandre dans les pays voisins.
La Révolution de 1968-69
Bien que le Pakistan ait connu des taux de croissance relativement élevés pendant l’ère Ayub, les bénéfices économiques de cette croissance ont été accaparés par les 22 familles les plus riches du pays. L’essor économique n’a fait qu’attiser les contradictions au sein de la société, creusant l’écart entre les classes. En septembre 1965, le Pakistan a lancé une guerre de 17 jours contre l’Inde, aggravant encore plus la détresse des masses populaires. Lénine disait que « la guerre est souvent la sage-femme des révolutions » et la guerre entre l’Inde et le Pakistan en était un exemple. Au lendemain de la guerre, les prix de la farine, du sucre et d’autres produits alimentaires de base ont augmenté massivement. Le chômage qui touchait une large partie des classes professionnelles et des diplômés universitaires. La révolution de 1968-69 a été déclenchée par un incident mineur à Rawalpindi. Un groupe d’étudiants, revenant vers Rawalpindi après un voyage d’études, a été arrêté par la police des douanes. Leurs biens ont été confisqués pour motif de contrebande. Des confrontations entre les étudiants et la police ont eu lieu. Les étudiants de l’université Gorden et de l’université d’Etat Asghar Mall, à Rawalpindi, ont organisé des manifestations. Le 7 novembre 1968, lors d’une manifestation de deux mille étudiants de l’université Gorden, l’un d’eux a été tué par la police. Le lendemain, 60 personnes, dont deux dirigeants étudiants, ont été arrêtées à Karachi. Les établissements scolaires ont été fermés à Hyderabad, Lahore, Peshawar et Karachi. Les soldats encadraient les quartiers de Rawalpindi, imposant un couvre-feu. Le 13 novembre, le dirigeant du PPP (Parti du Peuple Pakistanais), Zulfikar Ali Bhutto, et onze autres dirigeants politiques ont été arrêtés. Le 15 novembre, une grève générale touchant de nombreuses villes, dont Peshawar et Karachi, s’est déclenchée. À Dacca, des étudiants et des avocats ont manifesté contre la répression au Pakistan occidental. Le 8 décembre, des affrontements ont eu lieu au Pakistan oriental (devenu Bangladesh depuis), où deux personnes ont été tuées par les forces de l’ordre. À Chittagong, la police a ouvert le feu sur une foule de plusieurs milliers de personnes. Le 13 décembre, sept personnes étaient tuées et quatorze blessées par des tirs de police à Dacca.
Le comité d’action étudiante de Dacca a décidé de se joindre aux autres mouvements de l’opposition pour faire du 17 janvier 1969 une « journée de revendication ». C’était la première fois qu’une telle action coordonnée était entreprise à la fois au Pakistan occidental et oriental. Des manifestations de masse eurent lieu à Dacca, Lahore, Karachi, Rawalpindi et dans d’autres grandes villes.
D’intenses batailles de rue se déroulèrent le 25 janvier à Karachi, la plus grande ville industrielle et la région, comportant la plus grande concentration de prolétariat urbain du pays. La bataille dura huit heures. Travailleurs, étudiants et chômeurs ont brulés des bus, tramways, stations essence, terminaux pétroliers et bâtiments gouvernementaux. Ils se sont attaqués à des banques, sortant les coffres-forts dans la rue pour les faire sauter. Des centaines de personnes ont été blessées et plus de cinq cents arrêtées. Le gouvernement pensait qu’en neutralisant les dirigeants des étudiants ils pourraient mieux contrôler le mouvement. En fait, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Dans un quartier de Karachi, plus de mille étudiants se sont rassemblés devant le domicile d’un membre éminent de la Ligue Musulmane d’Ayub qui, voyant la foule approcher, a ouvert le feu, blessant grièvement un étudiant. Le lendemain, dix mille étudiants sont revenus sur les lieux. Une unité de l’armée était stationnée à l’extérieur, commandée par un jeune officier. Il a demandé aux étudiants ce qu’ils venaient faire. Ils ont répondu qu’ils venaient incendier la résidence. Après avoir expliqué leurs griefs, l’officier a ordonné le retrait de son unité. La résidence a été réduite en cendres.
Les masses étaient voulaient renverser la dictature militaire d’Ayub. Mais pendant ces journées décisives, les dirigeants des partis communistes staliniens et maoïstes ont malheureusement trahi le mouvement. Ayub Khan entretenait une relation étroite avec le dirigeant chinois Mao Zedong. En conséquence, les dirigeants maoïstes au Pakistan rechignaient à mener les masses vers une conclusion victorieuse. Le régime en URSS ne voulait pas, non plus, d’une révolution au Pakistan. Ses acolytes dans le pays ont condamné le mouvement comme un complot de la CIA. Le vide créé par ces renoncements a été comblé par Zulfikar Ali Bhutto. Le PPP réclamait la transformation socialiste de la société. La déclaration de principes du parti précisait que « le but ultime de la politique du parti est la réalisation d’une société sans classes, ce qui à notre époque n’est possible qu’à travers le socialisme ». Cette orientation correspondait aux aspirations des masses. Le PPP est devenu le parti dirigeant du mouvement révolutionnaire.
L’agitation sociale s’est propagée dans l’armée. Il y a eu de nombreux cas de soldats ou d’officiers refusant d’obéir aux ordres de leurs supérieurs et refusant de tirer sur les manifestants. Le pays était dans une situation révolutionnaire et le socialisme était à l’ordre du jour. À partir du 17 janvier 1969, le mouvement contre la dictature gagnait en ampleur. Travailleurs et paysans venaient des campagnes environnantes pour participer aux manifestations. Certains d’entre eux amenaient des charrues et des bâtons. Des piquets de grève s’installaient devant les bâtiments gouvernementaux, appelant les fonctionnaires à rejoindre la grève. Les fonctionnaires de la plupart des administrations, comme ceux de l’Autorité de l’Eau et du Développement du Pakistan Oriental, de la Société de Développement Industriel du Pakistan Oriental ou le Bureau de Poste Central, ont répondu favorablement. Mais des troubles ont éclaté devant le Secrétariat du Pakistan Oriental. Lorsque le premier groupe de manifestants se dirigeait vers l’entrée en appelant les employés à se joindre à la grève, les services de sécurité et la police ont fermé les portes. La police a ouvert le feu.
Malgré l’ampleur de ce mouvement extraordinaire de la classe ouvrière, il ne pouvait pas réaliser ses objectifs révolutionnaires en raison de la faillite de ses dirigeants. La direction du mouvement était effectivement entre les mains du PPP, mais Bhutto n’était pas un révolutionnaire. À plusieurs reprises, la situation aurait permis à Bhutto de prendre le pouvoir et procéder à la réalisation d’une société socialiste, mais il n’a voulu en profiter. Finalement, la classe dirigeante s’est décidée à abandonner Ayub Khan pour apaiser la colère des masses. Il a démissionné le 26 mars 1969. Le mouvement de masse s’est dissipé.
Ayub Khan étant renversé, la classe dirigeante a voulu rétablir l’ordre en imposant une nouvelle dictature sous l’autorité du général Yahya Khan. Les élections de décembre 1970 ont porté Bhutto au pouvoir. Il a mis en œuvre une politique de réformes sociales, alors que le capitalisme occidental entrait en crise, marquant la fin des « trente glorieuses ». L’économie pakistanaise a subi les conséquences de cette crise et, dans ce contexte, les réformes radicales de Bhutto ne pouvaient pas élever le niveau de vie des masses de façon significative. La classe dirigeante est passée à l’offensive pour évincer Bhutto par un nouveau coup d’État militaire, dirigé par le général Zia Ul Haq, en juillet 1977. Bhutto a été exécuté par pendaison. Les onze ans de la dictature de Zia Ul Haq étaient la période la plus sombre de l’histoire du Pakistan.
Hasan Jan, Quetta (Baluchistan)