La France sous Macron

L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République a été acclamée par les marchés financiers. À l’annonce du résultat, la Bourse de Paris a fait un bond. Angela Merkel, Jean-Claude Juncker et tous les partisans de l’« austérité » européenne sont ravis. Le  fait que les représentants de l’ordre établi accueillent Macron avec autant d’enthousiasme arrache d’emblée l’emballage médiatique le présentant comme un homme « nouveau » destiné à bouleverser le statu quo. Ministre de l’Économie et des Finances sous François Hollande et conseiller privilégié de ce dernier, sa politique, loin d’être nouvelle, s’inscrit dans les sillons bien creusés par Hollande, Chirac et Sarkozy.

Sentant que la politique d’Hollande allait aboutir à une débâcle électorale, Macron a habilement adopté une posture critique, se positionnant sur la droite de l’exécutif. Malgré l’attitude servile de Hollande et de Valls à son égard, la classe capitaliste considérait qu’ils n’allaient ni assez loin ni assez vite dans la satisfaction de ses exigences. Macron promettait une politique plus agressive. Quand les chances de succès de Fillon étaient minées par ses pratiques corrompues, il est devenu une solution de rechange. Ensuite, avec la complicité de l’industrie médiatique,  il s’est présenté à l’électorat comme candidat du « centre ». Or, le problème avec le centre, en politique, et surtout à notre époque, est qu’il n’existe pas. Un gouffre de plus en plus large sépare les classes sociales. La société est dominée par une classe pour laquelle la destruction de tout ce qui entrave la rentabilité du capital est devenue un enjeu vital. Cette réalité ne laisse aucune place aux compromis et aux demi-mesures. Tous les partis et politiciens doivent donc choisir leur camp. Le choix de Macron est fait depuis longtemps. Ainsi, le mythe de son « centrisme » explosera rapidement. Dans ses toutes premières mesures, il donnera un signe tangible d’allégeance aux capitalistes par la suppression des clauses du Code du Travail qui ont survécu à la loi El Khomri. En 2012, la popularité de son prédécesseur s’est effondrée en quelques semaines. Celle de Macron connaîtra sans doute une descente tout aussi brutale.

Le déclin du capitalisme français polarise la société. D’un côté, les capitalistes défendent leur pouvoir et leurs profits au détriment des travailleurs qui, de leur côté, subissent de plein fouet la régression sociale et le chômage de masse. Les classes moyennes forment une sorte de tampon entre ces deux camps, et, tant qu’elles adhèrent à l’ordre établi, contribuent grandement à sa stabilité. Cependant, les bases économiques des revenus et des attentes des classes moyennes sont en train d’être rongées. Ordinairement, les classes moyennes soutiennent les partis ouvertement capitalistes comme Les Républicains, ou alors la social-démocratie « modérée », dont les programmes sont quasiment identiques. Macron , justement, incarne cette fusion entre la droite « classique » et la droite du Parti Socialiste, et les classes moyennes constituent le socle essentiel de ses soutiens électoraux. Les résultats de l’élection présidentielle indiquent un début de glissement des couches sociales intermédiaires vers les deux « extrêmes », au profit de la droite nationaliste, d’une part, et de la gauche, sous la direction de Jean-Luc Mélenchon, de l’autre. Il est tout à fait probable que cette tendance s’affirme pendant le mandat de Macron. Sa politique répond exclusivement aux intérêts du grand capital et signifie non seulement une aggravation des conditions de vie des travailleurs, mais aussi des classes moyennes.

La présidence de Macron sera en toute probabilité plus faible et instable que celle de Hollande, surtout si son propre parti n’est pas majoritaire dans la nouvelle Assemblée Nationale. Dans ce cas, il devra composer avec des forces politiques dont le soutien politique ne sera pas gratuit et ne sera accordé que dans leurs propres intérêts. Dans un premier temps, il sera sans doute possible de former un gouvernement de coalition. Mais une majorité de circonstance risquerait de se disloquer à l’épreuve des événements. Même si des députés LR acceptent de collaborer avec Macron dans un premier temps, ils auront intérêt à se retourner contre lui plus tard. À l’instabilité sociale s’ajoutera une instabilité gouvernementale.

Avec l’affaiblissement de sa position mondiale, le déclin de son appareil industriel, la perte de ses parts de marché dans le monde, en Europe, et même sur le marché intérieur, les problèmes auxquels le capitalisme français se trouve confronté sont trop profondément ancrés dans les réalités géopolitiques de notre époque pour être résolus par des changements d’ordre institutionnels. Hollande, comme Sarkozy avant lui, a échoué dans sa tentative de relancer l’économie nationale. Macron échouera à son tour. Parmi les premiers revers qu’il subira, il y aura celui que lui infligera la chancelière allemande. En 2012, Hollande a promis une renégociation de la politique européenne avec Berlin. Macron promet la même chose. C’est que, sur bien des questions, les intérêts de l’Allemagne et ceux de la France sont divergents. C’est le cas, par exemple, de la valeur de l’euro. Merkel n’a fait aucune concession significative à Hollande. Macron n’en obtiendra pas davantage. Les intérêts vitaux du capitalisme allemand sont en jeu. Et l’Allemagne est de très loin – et encore plus qu’en 2012 – la puissance dominante au sein de l’Union Européenne. L’excédant du commerce international (paiements courants) de l’Allemagne était, en 2016, de 278 milliards d’euros. C’est l’excédant le plus élevé au monde, y compris la Chine. La même année, la balance commerciale de la France était massivement déficitaire de 49 milliards d’euros. L’écart entre les deux pays se creuse, toujours au détriment de la France.

L’Union Européenne a commencé à se disloquer. Selon ses propagandistes, elle devait assurer la croissance économique et le progrès social. C’est tout le contraire qui se passe. Les économies de pratiquement tous les pays membres stagnent. La précarité de l’emploi et  le chômage de masse ne cessent de s’aggraver. L’ouverture des frontières et le libre commerce, perçus désormais comme une menace économique et sécuritaire, ont provoqué une réaction qui ne peut que renforcer les tendances nationalistes et protectionnistes dans les Etats membres. Le développement ultérieur de ces tendances pourrait provoquer l’éclatement de l’Union Européenne. En France, la droite nationaliste monte en puissance depuis des années, passant de 5 525 034 de voix au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 à 10 638 475 en 2017. Le Front National progresse au sein des couches sociales intermédiaires, chez les commerçants, avocats, médecins et autres professions libérales. Mais il progresse également dans les milieux ouvriers qui sont exaspérés par la précarité de l’emploi et le chômage.

C’est que dans les profondeurs de la société, loin du monde des politiciens professionnels et des « experts » préférés de l’industrie médiatique, les masses sentent que les rouages de l’ordre social existant opèrent contre eux, et cherchent une avenue possible de changement. La propagande « anti-système » des nationalistes, tranchante et catégorique, résonne auprès d’une couche sociale de plus en plus large. Sous Macron, dont la politique tendra à dégrader davantage les conditions de vie du plus grand nombre, le Front National va certainement progresser davantage. L’idée que Macron fera barrage au Front National est manifestement fallacieuse. Il ne fera que donner une nouvelle impulsion à son développement.

La nature ne tolère pas le vide, et le vide créé par les difficultés du PCF est en train d’être comblé par France Insoumise. Pendant que Pierre Laurent perdait son temps dans la recherche d’un « rassemblement » chimérique avec le Parti Socialiste, Jean-Luc Mélenchon a engagé une campagne de grande envergure, mobilisant des dizaines de milliers de militants. Ses discours percutants inspiraient et motivaient de vastes foules et son score au premier tour était en nette progression par rapport à 2012. Il ne lui manquait que 600 000 voix pour arriver au deuxième tour. Certes, l’évolution future de France Insoumise est encore une question ouverte, car, au fond, son programme reproduit les mêmes carences que celui du PCF. Il n’aborde pas la question, fondamentale à nos yeux, de la propriété capitaliste des grands moyens financiers et productifs du pays. Si Mélenchon avait gagné l’élection présidentielle, il aurait déclenché une réaction furieuse de la part de la classe capitaliste, en France et à l’échelle internationale. Elle aurait tout fait pour saborder l’action du nouveau gouvernement. Et  malgré sa tonalité radicale, le programme de France Insoumise, comme celui de Tsipras en Grèce, ne donne aucune indication de comment surmonter une telle offensive réactionnaire. Il se limite à des réformes politiques et sociales qui laissent intact le pouvoir des capitalistes.

La question du programme du mouvement ouvrier s’avérera être d’une importance décisive dans les années à venir. Bien des travailleurs et bien des gens appartenant aux couches sociales intermédiaires qui ont été attirés par la fausse radicalité du Front National pourraient être gagnés aux idées et au programme du socialisme. La posture essentiellement défensive du réformisme, son refus de frapper la classe capitaliste à la racine de son pouvoir, laisse une marge de manœuvre aux nationalistes et à la réaction capitaliste en général. En définitive, s’il n’y aucune alternative au capitalisme, il va bien falloir faire avec. C’est ainsi que se crée, dans des conditions de régression et d’exaspération sociale, un terrain favorable au poison du racisme et de la « préférence nationale ».

Les tâches devant nous sont désormais clairement identifiables. Nous devons renforcer nos organisations syndicales et politiques et balayer les rivalités bureaucratiques qui divisent le mouvement. Tout en luttant contre la régression sociale, nous devons jeter les bases programmatiques de la réorganisation de la société sur de nouvelles bases socialistes. L’expropriation des capitalistes ouvrira la voie à une planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de tous. Unissons-nous autour d’un programme pour la transformation révolutionnaire de la société.

Greg Oxley, PCF Paris 10

 

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