Sans-papiers des Yvelines en lutte – Interview d’Ibrahim Tall

La Riposte a rencontré Ibrahim Tall, jeune Sénégalais, l’un des leaders de la lutte des sans-papiers dans les Yvelines (78). A la tête de plus de 400 militants, lui et ses camarades ont occupé deux agences d’intérim afin d’obtenir des attestations de concordance (déclarant qu’ils ont travaillé un certain nombre d’heures sur le territoire français) et des promesses définitives d’embauche. Ces deux papiers sont les premières étapes dans la longue procédure de régularisation.

La Riposte : Comment a commencé le début de votre mobilisation?

Ibrahim Tall : Nous avons beaucoup appris des conflits des sans-papiers qui ont eu lieu en 2008 et en 2013 et qui se sont soldés par des obligations de quitter le territoire. La majeure partie des leaders des sans-papiers d’aujourd’hui est issue du conflit de 2013. Nous avons attentivement regardé pourquoi ça n’avait pas abouti et tiré les leçons de cette expérience. En 2013, nous étions aidés par la CFDT. Elle nous avait orientés vers l’occupation de la mairie de Carrières-sous-Poissy ainsi que des locaux associatifs. Le principal problème que nous avons eu est que l’occupation ne gênait pas ceux qui nous exploitaient car il n’y a aucun rapport entre le maire de Carrières et ceux qui pouvaient nous donner nos papiers. Le second problème est que seule la CFDT avait rencontré le préfet. A l’issue de cette réunion, le préfet et la CFDT avaient négocié 6 mois d’autorisation de travail sur le territoire et des régularisations au cas par cas. Nous avons alors quitté les locaux mais rien n’a suivi. Nous avons alors voulu mettre le préfet face à ses responsabilités en lui montrant le PV de fin de conflit signé par la CFDT, mais la réalité est que le préfet n’avait jamais dit ça, rien ne figurait sur le PV et la CFDT nous avait menti.

Nous sommes alors partis voir la CGT à l’UL des Mureaux en juillet 2013. Nous étions une centaine à l’époque et nous nous sommes tous syndiqués. A l’époque, on ne savait pas trop comment il fallait s’y prendre et on pensait qu’on n’était pas assez nombreux. Commence alors une longue période de préparation et de mobilisation. Nous sommes revenus 15 jours après et nous étions déjà 200 à nous syndiquer. Je crois qu’à ce moment-là la CGT nous ont vraiment pris au sérieux. L’UL des Mureaux nous a mis en relation avec l’Union Départementale de la CGT 78, puis avec l’UL de Massy-Palaiseau qui avait une plus longue expérience dans ce type de lutte. Enfin, nous avons été mis en contact avec la direction nationale de la CGT à Montreuil. Grâce à la confédération, nous avons appris à bien structurer une lutte. Nous avons créé des listes de camarades avec leurs noms, prénoms, etc. et aussi leurs employeurs. Nous avons fait le tour de tous les foyers de sans-papiers, de nos contacts, et nous avons essayé de convaincre les camarades de nous suivre dans cette longue lutte. En ai 2015 nous étions enfin prêts et nous avions 417 camarades déterminés à se battre.

En regroupant les fiches, nous avons compris que la majorité des travailleurs sans-papiers était employée dans des agences d’intérim : Addeco, Randstat et Manpower. Nous avons alors compris qu’il fallait s’attaquer à eux avant de s’attaquer aux autres comme les entreprises de nettoyage, du BTP ou de la restauration.

La Riposte : C’est à ce moment que vous avez commencé à occuper des locaux ?

Ibrahim Tall : Non, pas exactement. Nous les avons contactés d’abord afin de discuter et de négocier. S’ils avaient accepté nous aurions économisé du temps et de l’énergie mais il été nécessaire de passer par la démonstration de force, comme on dit à la CGT. Ils ont refusé de discuter et ils ont dit qu’ils ne voulaient rien faire, nous sommes alors passés à l’action collective. Nous avons occupé Addeco de Saint Quentin et Randstat à Poissy. Nous sommes rentrés tranquillement dans les agences et nous avons dit aux secrétaires que nous étions en grève, que nous voulions les papiers qu’ils nous devaient et qu’on ne partirait pas avant de les avoir. Nous ne les avons jamais empêché de travailler mais au bout de 3 jours ils ont décidé de partir. Nous étions 200 à nous relayer dans chaque agence.

La Riposte : Combien de temps ça a duré ?

Ibrahim Tall : Le conflit avec les agences d’intérim a duré deux mois. Nous avons créé des groupes qui se relayaient pour l’hygiène, la nourriture, les négociations, la propagande, les actions et les AG. Nous avons fait des AG tous les jours pour tenir les camarades au sommet de leur motivation. C’était très important pour durer. Ce qui a été important, c’est le soutien et la solidarité qui se sont manifestés grâce à la CGT. Grâce à l’UL des Mureaux, de Mantes, Trappes, Vélizy, Poissy et j’en oublie. Nous avons gagné grâce à notre détermination et leur solidarité. Les camarades de Peugeot, de Renault, et de la Poste sont aussi venus nous soutenir. Tous les soirs ou presque les camarades du Parti Communiste Français venaient avec des chariots remplis de nourriture et même aussi le Parti Socialiste. Nous avons aussi réussi grâce à F.Blanche de la confédération, S.Porot de L’UD78 et Mr Wagman de l’USI (syndicat de l’intérim).

La lutte n’a pas été facile, ils ont refusé de négocier pendant longtemps. Dans un premier temps, ils nous ont assignés en justice mais ils ont perdu grâce à nos avocats. Ils ont alors été obligé de négocier. Ils ont fait entre temps deux recours, ils ont perdu le premier et gagné le second mais c’était trop tard, nous avions déjà commencé les négociations. Ils ont finalement accepté nos revendications et nous ont donné les papiers. Je tiens à signaler que normalement ils étaient obligés de nous les donner comme la loi les y oblige. Nous demandions juste la normalité.

La Riposte : Et maintenant, on ne lâche rien ?

Ibrahim Tall : Voilà, maintenant on ne lâche rien ! Pour les intérimaires, nous avons déposé les dossiers en préfecture pour terminer la procédure. Maintenant nous nous attaquons aux entreprises de nettoyage, du BTP et de la restauration, mais nous avons déjà fait le plus dur et la peur a changé de camp. Dans le nettoyage, nous avons plusieurs victoires. Les négociations étaient lentes alors nous nous sommes rassemblés devant la fédération du patronat de la propreté. Ça a étrangement accéléré les négociations. Ceux qui ne coopèrent pas pourraient recevoir notre visite et ils le savent. Dans la restauration nous avons déjà occupé une pizzeria sur Paris avec les camarades de l’UD de Paris et du collectif parisien. Nous nous sommes alors coordonnés pour avoir une réunion avec le syndicat de la restauration traditionnelle. S’il coopère, il n’y aura pas d’occupation. Nous réclamons seulement la justice et nous en avons le droit. On bosse ici. On vit ici. On reste ici.

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