1. L’impasse capitaliste
La publication de Quel projet de société ? intervient pendant ce qui est certainement la plus forte contraction de l’économie mondiale depuis les années 1930. En 2018, l’économie se dirigeait vers une récession plus grande encore que celle de 2007-2009. La crise a finalement été précipitée et aggravée par la pandémie de Covid-19. Un effondrement total n’a été évité que par l’injection de plusieurs milliers de milliards de capitaux fictifs dans les circuits économiques – au prix d’une croissance exponentielle de l’endettement – ce qui n’a pas empêché une très forte baisse d’activité économique et une dégradation brutale des conditions de vie de centaines de millions de travailleurs à travers le monde.
En Europe, les conséquences sociales de la récession sont extrêmement graves. Depuis des décennies, déjà, la classe capitaliste et les gouvernements à son service se sont efforcés – avec l’appui de l’Union Européenne de démanteler les conquêtes sociales du mouvement ouvrier. La crise actuelle a provoqué une forte accélération de cette régression sociale. En France, des centaines de milliers d’emplois ont été détruits. Pour les capitalistes, leurs propres intérêts passent avant tout. Ce qui n’est pas rentable pour eux – entreprises, emplois, métiers, services – doit être détruit. Alors que tout est fait pour protéger les intérêts des riches, les dégâts économiques et sociaux de la crise sont imposés aux travailleurs et aux couches sociales dites « inférieures ». Les personnes les plus pauvres, précaires et vulnérables sont forcément les plus durement touchées. La « question sociale », qui se réduit, en fin de compte, à celle de savoir qui – ou plus précisément quelle classe sociale – doit avoir la maîtrise des ressources économiques du pays, se pose de façon plus brutale et plus urgente que jamais.
Cette situation a des implications importantes pour le mouvement ouvrier et pour tous ceux qui sont engagés, d’une façon ou d’une autre, dans la lutte contre l’injustice sociale, car elle impose une révision radicale des prémisses programmatiques et des objectifs qui caractérisent depuis longtemps leurs luttes. Les mobilisations successives du mouvement ouvrier et de la jeunesse du pays, depuis au moins une quarantaine d’années, se sont déroulées sous le signe de la « lutte contre l’austérité ». Ces luttes n’ont pas été pour rien. Sans elles, la régression aurait été beaucoup plus grave encore. Et pourtant, d’une part, il est évident que nous avons cédé beaucoup plus que nous n’en avons gagné sur ce terrain. D’autre part, les revendications immédiates qui impulsent les mobilisations ne comportent aucun danger à l’égard du système capitaliste. On lutte contre telle ou telle politique gouvernementale et capitaliste, mais le pouvoir des capitalistes, leur domination de l’économie – et donc, inévitablement, de l’appareil étatique et gouvernemental – ne sont pas remis en question.
Selon la vision vaporeuse du « réformisme » politique, telle qu’exprimaient autrefois les milieux dirigeants du Parti Socialiste, ou, de nos jours, ceux du PCF, il serait possible de parvenir à un « dépassement » graduel du capitalisme et à l’émergence d’une société plus juste, plus égalitaire et plus « humaine » par le biais d’une succession de réformes progressistes. Mais force est de constater que c’est plutôt l’inverse qui se produit. Depuis les réformes du gouvernement socialiste-communiste de 1981, pratiquement aucune réforme sociale significative (à l’exception de la loi sur les 35 heures une quinzaine d’années plus tard) n’a été obtenue. Au contraire, la plupart des mesures progressistes du passé ont été minées ou supprimées depuis. Notons au passage que cette politique de contre-réforme a commencé sous le même gouvernement socialiste-communiste précédemment mentionné, qui, à peine une année après son élection, a abandonné sa politique de réforme pour adopter une politique d’austérité. Derrière cette « trahison », il y avait une réalité objective, qui est encore plus incontournable aujourd’hui que dans les années 1980 : à notre époque, le capitalisme ne peut fonctionner rentablement que par la remise en cause permanente des conditions de vie de la masse de la population. Aujourd’hui, le mouvement ouvrier a besoin d’un programme et des objectifs de lutte qui tiennent pleinement compte de cette réalité, sous peine de se rendre impuissant et obsolète.
Dénoncer les conséquences sociales du système, faire grève, manifester, protester, c’est une chose. Mais tant que le système lui-même reste intact, tant que les capitalistes conservent le contrôle de l’économie, la loi du profit finira nécessairement par s’imposer. Plus que jamais, la lutte pour la défense et l’extension des conquêtes est indissociable de la nécessité d’en finir avec le système fondé sur cette loi, à savoir le capitalisme. Et si, au contraire, nous restons cantonnés à une contestation du système dans les limites de ce dernier, nous subirons à jamais la régression sociale, les inégalités flagrantes, l’exploitation et les oppressions qui lui sont inhérentes.
Alors que faire ? Disons d’emblée que nous ne résoudrons pas ce problème avec des « phrases révolutionnaires ». Se déclarer contre le système, « anticapitaliste » ou même révolutionnaire ne règle rien. Quelle est, concrètement, l’alternative au capitalisme ? Est-il vraiment possible d’organiser la société sur de nouvelles bases, sans les capitalistes ? Et si oui, comment ? Répondre à ces questions ne nous oblige pas à présenter un schéma minutieusement détaillé de l’ordre social post-capitaliste. Mais il faudrait tout de même définir ses caractéristiques essentielles afin de démontrer comment il permettra d’en finir avec l’exploitation et de subvenir aux besoins de tous sur la base d’une véritable démocratie nous permettant de conduire la société vers un niveau supérieur de civilisation humaine, dans laquelle « liberté, égalité, fraternité » ne sera plus une simple devise, mais une réalité sociale vivante et vécue. Ce projet de société, nous l’appellerons le socialisme, malgré des divers phénomènes – que ce soit de type « social-démocrate », « stalinien », ou autre – qui ont sali la réputation du socialisme au cours de l’histoire. On ne va pas réinventer la roue. Sous le capitalisme, les capitalistes dominent la société et possèdent l’essentiel de ses ressources économiques. Le terme socialisme nous paraît toujours approprié parce qu’il implique que le pouvoir politique et la maîtrise de l’économie reviennent, au contraire, à la société dans son ensemble. Mais au-delà du nom, c’est le contenu du projet qui compte le plus.
Le projet de société ici présenté ne prétend pas être une œuvre définitive et achevée. En plus des questions du fonctionnement général d’une économie socialiste, de la planification économique et la gestion démocratique de la production, le texte, ne pouvant pas traiter tous les aspects de l’organisation sociale, se limite à quelques idées générales concernant la santé publique, l’éducation et le logement. C’est un projet qui se présente en toute humilité comme une base de discussion et s’adresse sans distinction à tous ceux qui aspirent à une société plus juste. C’est avant tout une invitation à la critique constructive et à la proposition. Pour que la discussion porte sur le projet lui-même, nous serons obligés de présumer d’un contexte historique favorable à sa réalisation. Il est évident que le renversement du capitalisme impliquera des événements grandioses et tumultueux, un affrontement décisif entre forces sociales aux intérêts diamétralement opposés. Les capitalistes ne quitteront pas la scène de l’histoire sans résistance et la construction d’une société nouvelle dans des conditions stables et paisibles ne deviendra possible que lorsque les luttes indispensables à sa réalisation auront connu une conclusion victorieuse. Pour mettre toutes les chances de succès de notre côté dans les luttes à venir, soyons aussi clairs que possible sur ce pour quoi nous nous battons. Si Quel projet de société ? contribue à promouvoir une discussion sérieuse dans le mouvement ouvrier sur une alternative possible au capitalisme, il aura accompli sa tâche.
2. L’idéologie capitaliste a marqué des points
Il y a une trentaine d’années, l’effondrement sans gloire des dictatures bureaucratiques prétendument « communistes » en URSS et en Europe de l’Est a préparé le terrain d’une puissante offensive idéologique dont le but était d’expurger de la conscience humaine l’idée qu’il pouvait y avoir une alternative viable au système capitaliste. À l’expérience historique des régimes prétendument socialistes s’ajoute celle des gouvernements qui, malgré leurs étiquettes socialistes, ont appliqué des politiques d’austérité dans l’intérêt des capitalistes. En Europe et à travers le monde, les dirigeants des partis de gauche et des syndicats de masse se sont empressés de se dissocier du socialisme et de la planification économique – même en tant qu’objectifs lointains – au nom des réalités de l’économie de marché. Les programmes des partis de gauche ont fait l’objet de révisions successives pour purger leur contenu socialiste. La réaction idéologique a accrédité le préjugé selon lequel la « nature humaine » est en contradiction avec l’établissement d’une société socialiste.
Ainsi, il y a dans l’opinion publique un grand scepticisme quant au socialisme comme système alternatif au capitalisme et une acceptation plus répandue de l’économie de marché comme la seule base possible de la civilisation moderne. Le socialisme dans sa définition classique, c’est-à-dire une société démocratique sans classes antagoniques reposant sur une économie socialisée et planifiée, est majoritairement considéré comme un projet utopique qui n’est pas réalisable, ou même souhaitable.
Le « nouvel ordre mondial » annoncé par les grandes puissances occidentales en 1991 inaugurait, selon ses propagandistes, une ère de progrès, d’harmonie sociale, de démocratie et de paix. Mais ces perspectives ne se sont jamais réalisées. Et la lutte des classes continue. Aujourd’hui, les ravages du système de profit, la « marchandisation » à outrance et la régression sociale, provoquent une contestation vive, des grèves massives, des révoltes, et même des insurrections. L’avenir même de notre écosystème est menacé. Et pourtant, sur le plan idéologique, nous vivons encore dans l’ombre de l’échec des économies planifiées, dont la chute est généralement comprise comme celle du socialisme. Chez les militants du mouvement ouvrier, on constate une perte de confiance dans la possibilité d’en finir avec le capitalisme.
Cette réaction idéologique a considérablement compliqué la lutte contre le capitalisme, qui est aussi – on pourrait même dire surtout – une lutte d’idées. Compte tenu de l’expérience historique du « stalinisme » et le rétablissement du capitalisme dans presque tous les pays qui se présentaient comme communistes, il ne suffit plus de prôner la socialisation des grands leviers de l’économie ou de se réclamer de la planification. Aujourd’hui, ces mots d’ordre soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Ils ont besoin d’être étayés par des explications plus détaillées.
3. Le capitalisme et les prémisses objectives du socialisme
Indépendamment de la psychologie sociale d’une époque donnée, certaines vérités objectives existent. Il ne sera pas possible de briser le pouvoir de la classe capitaliste sans l’exproprier. Le socialisme signifie que le contrôle et la direction de l’économie et de l’État passent aux mains des travailleurs, des travailleuses et de l’ensemble de la « classe productive » afin d’instaurer, à la place du marché capitaliste et des critères de rentabilité, une planification démocratique des ressources et des moyens de production. Cela permettrait une organisation rationnelle et démocratique de la production répondant aux besoins de la société et non plus d’une minorité d’exploiteurs. Mais est-ce vraiment possible ? Comment cette nouvelle organisation économique et sociale fonctionne-t-elle et avec quelles conséquences pour les différentes classes sociales ?
Pour répondre à ces questions, il ne convient certainement pas de procéder à la manière de ce que Karl Marx et Friedrich Engels appelaient les « socialistes utopistes », c’est-à-dire en imaginant un nouvel ordre social « idéal » à partir de considérations morales ou philosophiques abstraites. La grande contribution de ces grands penseurs était de chercher les ressorts essentiels d’un nouvel ordre social non pas dans le monde des idées ou, comme on dit aujourd’hui, dans des « valeurs », mais dans l’étude des processus matériels contradictoires qui sont déjà à l’œuvre, devant nos yeux, sous le capitalisme. Depuis Marx et Engels, les traits essentiels du socialisme ne sont plus à inventer, mais à découvrir dans le fonctionnement interne et l’évolution de la société capitaliste existante. C’est ainsi que le socialisme est devenu une science d’analyse objective plutôt qu’un éventail d’utopies subjectivement élaborées par des moralistes visionnaires. C’est en cela que le socialisme de Marx et d’Engels pouvait se qualifier de « scientifique », cherchant à découvrir dans la réalité objective du système capitaliste les leviers essentiels de la transformation révolutionnaire de la société et le passage au socialisme.
Les racines du capitalisme remontent loin dans l’histoire. Les éléments d’un mode de production capitaliste existent en Europe depuis la « révolution commerciale » du 11e siècle, avec l’émergence d’une classe de négociants. Mais les bases matérielles du capitalisme moderne – depuis celui qui fut l’objet du Capital de Karl Marx – remontent à la révolution industrielle qui a commencé en Grande-Bretagne dans la première moitié du 18e siècle. Le capitalisme industriel se caractérise par une socialisation sans cesse croissante du processus productif, une augmentation de la productivité du travail humain par le biais d’innovations technologiques (augmentation de la composition organique du capital) et par conséquent la recherche et l’exploitation de nouvelles ressources et de nouveaux marchés, la concentration et internationalisation du capital et une baisse tendancielle du taux de profit. Tous ces processus sont inextricablement interdépendants.
La socialisation du processus productif signifie l’interdépendance croissante des diverses branches de production impliquées dans la fabrication de biens. L’accomplissement de tâches distinctes ou de procédés de fabrication distincts fait partie d’une division de travail coordonnée et interdépendante, reliant des sites de production les uns aux autres et imposant à tous une organisation de travail coordonnée. Aujourd’hui, avec l’émergence de puissantes corporations multinationales, la socialisation du travail est devenue plus sophistiquée et plus mondialisée que jamais, reliant des centaines de millions de personnes dans des processus productifs et des circuits de distribution interdépendants.
4. Un exemple concret de socialisation capitaliste
Pour se faire une idée concrète de ce que nous entendons par la socialisation du processus productif, prenons l’exemple d’Airbus (EADS). Environ 130 000 personnes travaillent pour cette entreprise. Au milieu des années 1990, elle a lancé le projet de construction de ce qui allait devenir le gros-porteur, l’A380 (deux niveaux et plus de 500 passagers), estimant son coût de développement à environ 8 milliards d’euros. Ce n’est que plus d’une décennie plus tard, en 2007, que l’A380 a réalisé son premier vol commercial.
La fabrication de composants pour l’A380 se répartit parmi des installations de l’entreprise à travers l’Europe. Les sections de fuselage proviennent de Hambourg, en Allemagne et de Saint-Nazaire, en France. Les ailes sont fabriquées à Broughton, au Royaume-Uni. L’empennage horizontal est fabriqué à Cadix, en Espagne. Les différents éléments de l’avion tels que les moteurs ou l’électronique embarquée proviennent d’entreprises spécialisées (Safran, Thalès…) qui elles-mêmes font appel à des sous-traitants à travers le monde entier. Au total, l’avion est composé d’environ quatre millions de pièces individuelles produites par 1 500 entreprises situées dans une trentaine de pays différents. L’acheminement des ailes, des sections de fuselage et des autres éléments les plus massifs vers la chaîne d’assemblage final – une usine spécialement conçue à Toulouse-Blagnac – est une opération logistique de grande envergure et étroitement orchestrée. Il nécessite, entre autres, une flotte de trois navires spécialement conçus avec l’élargissement des routes vers Toulouse pour les adapter aux convois transportant les composants des avions.
L’exécution de l’ensemble de ces opérations – la conception du projet, la fabrication des millions de pièces individuelles pour chaque avion, l’assemblage final et la mise en service – requiert un très haut degré de qualification des travailleurs et de planification s’étalant sur une longue période. Rien n’est laissé au hasard. L’organisation de ce travail et tout ce qui se passe au sein de ce vaste réseau industriel n’a rien à voir avec le rapport entre l’offre et la demande ou « la main invisible du marché ». Impliquant des dizaines de milliers de salariés d’Airbus et des dizaines de milliers d’autres dans de nombreuses entreprises sous-traitantes, il s’agit d’un exemple de socialisation du processus productif et aussi de planification de matériels et de ressources humaines à grande échelle. Ici, ce n’est pas le marché qui détermine l’allocation des moyens matériels et des ressources humaines, mais un plan consciemment élaboré et consciemment mis à exécution en fonction des besoins. Ce processus de production fait partie du système capitaliste. Il commence dans une optique de concurrence capitaliste et de conquête de marchés. Le projet d’A-380 n’a pas été élaboré et mis en chantier de manière démocratique, par les salariés et la population, comme ce serait le cas sous le socialisme. La recherche de rentabilité maximale détermine l’organisation du travail à tous les niveaux. Le processus aboutit, enfin, à la production d’une marchandise. Ce que nous voulons dire ici n’est pas que ce dispositif industriel est un exemple de « socialisme », mais seulement que le processus productif lui-même est socialisé et planifié et forme de ce fait un élément matériel constitutif d’une économie socialiste planifiée, qui relierait de tels éléments entre eux pour permettre une coordination de l’ensemble de l’industrie aéronautique, d’abord au niveau national et ensuite international.
5. La planification pour le marché : profit, rivalité et conflit
La planification de la production chez Airbus est caractéristique de toutes les grandes entreprises capitalistes qui dominent le marché mondial à notre époque. On retrouve cette planification, aux échelles correspondantes, dans pratiquement toutes les entreprises capitalistes, non seulement dans la fabrication des biens, mais aussi dans la distribution commerciale et les services. Chez les géants de la distribution comme Amazon, la planification est d’une sophistication et d’une envergure impressionnante. Et même la logistique des boutiques de n’importe quelle rue commerçante, les centrales d’achat, les dispositifs d’entreposage et les systèmes de réassortiment automatique des points de vente relèvent d’un degré de socialisation et de planification que les clients ne soupçonnent pas. Même s’il y a toujours, au sein d’une entreprise, une comptabilité interne pour pouvoir suivre et analyser le montant et l’évolution des coûts des différentes opérations et composantes du processus, ceci ne signifie pas que les transferts de produits d’une composante à l’autre constituent des ventes. Dans les limites d’une entreprise donnée, ce n’est donc pas un marché. C’est un plan.
Ainsi, on s’aperçoit que la planification en soi n’est pas spécifiquement socialiste. Dans une large mesure – et nous en verrons plus loin les limites et les contradictions qui en découlent – l’économie capitaliste moderne est une économie planifiée. Lorsque les porte-parole du capitalisme raillent la planification ou tournent en dérision les « économies planifiées », ils ne visent en réalité que la planification dont la finalité n’est pas le profit capitaliste. Ils sont pour une planification à outrance lorsque cela permet de supprimer des emplois, augmenter le taux d’exploitation de la force de travail et maximiser les profits. Cependant, ils sont hostiles à une planification répondant aux besoins de la société.
La planification pour le profit, c’est-à-dire sous le règne de la propriété capitaliste des entreprises, n’est pas et ne pourrait jamais être une planification complète du système économique. Il s’agit d’une planification limitée au cadre d’une seule entité industrielle, financière ou commerciale dont le but n’est autre que de rendre l’entreprise plus rentable et plus compétitive par rapport à ses concurrents. Airbus est une entité hautement planifiée qui a pour but de concurrencer Boeing, par exemple. La concurrence entre capitalistes empêche une planification d’ensemble. Une entreprise doit être assez performante et rentable pour priver ses concurrents de marchés et si possible les absorber ou les détruire. Ainsi, des entités planifiées se livrent une guerre impitoyable pour la domination des marchés, pour affaiblir et éliminer des entités rivales, pour le contrôle des matières premières. La socialisation du processus productif et la planification capitaliste sont faites dans une logique de concurrence et de conflit, dressant les entreprises les unes contre les autres. La rivalité entre les capitalistes et entre les États produit une situation d’instabilité, de conflit et de violence à l’échelle mondiale.
6. La socialisation dans Anti-Dühring
La socialisation et la planification sous le capitalisme sont, de nos jours, bien plus développées qu’à l’époque de Marx et Engels, mais ils avaient bien analysé et identifié la contradiction, telle qu’elle a émergée historiquement, entre la socialisation du processus productif et la propriété privée de l’autre. Dans son Anti-Dühring (1880), Engels écrit : « Dans la production marchande telle qu’elle s’était développée au Moyen Âge, la question ne pouvait même pas se poser de savoir à qui devait appartenir le produit du travail. En règle générale, le producteur individuel l’avait fabriqué avec des matières premières qui lui appartenaient et qu’il produisait souvent lui-même, à l’aide de ses propres moyens de travail et de son travail manuel personnel ou de celui de sa famille. Le produit n’avait nullement besoin d’être approprié par lui, car il lui appartenait d’emblée. […] C’est alors que vint la concentration des moyens de production dans de grands ateliers et des manufactures et leur transformation en moyens de production effectivement sociaux. Mais les moyens de production et les produits sociaux furent traités comme si, après comme avant, ils étaient les moyens de production et les produits d’individus.
Si, jusqu’alors, le possesseur des moyens de travail s’était approprié le produit parce que, en règle générale, il était son propre produit et que l’appoint du travail d’autrui était l’exception, le possesseur des moyens de travail continua maintenant à s’approprier le produit bien qu’il ne fût plus son produit, mais exclusivement le produit du travail d’autrui. Ainsi, les produits désormais créés socialement ne furent pas appropriés par ceux qui avaient mis réellement en œuvre les moyens de production et avaient réellement fabriqué les produits, mais par le capitaliste. Les moyens de production sont devenus essentiellement sociaux, mais on les assujettit à une forme d’appropriation qui présuppose la production privée d’individus, dans laquelle donc chacun possède et porte au marché son propre produit. […]
Dans cette contradiction qui confère au nouveau mode de production son caractère capitaliste gît déjà en germe toute la grande collision du présent. À mesure que le nouveau mode de production arrivait à dominer dans tous les secteurs décisifs de la production et dans tous les pays économiquement décisifs, et par suite évinçait la production individuelle jusqu’à la réduire à des restes insignifiants, on voyait forcément apparaître d’autant plus crûment l’incompatibilité de la production sociale et de l’appropriation capitaliste. […]
La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se reproduit comme antagonisme entre l’organisation de la production dans la fabrique individuelle et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société. »
Aujourd’hui, l’attribution directe des ressources à des activités productives spécifiques est beaucoup plus importante qu’à l’époque d’Anti-Dühring. Le développement des services publics y a contribué, mais la raison principale réside dans l’accumulation et la concentration du capital – avec la création d’entreprises de plus en plus grandes – qui s’inscrivent dans la logique même du mode de production capitaliste. Quel que soit le niveau d’organisation au sein des entreprises capitalistes, dont le fonctionnement interne est planifié, son produit est destiné au marché et soumis aux récessions périodiques inhérentes au mode de production capitaliste. Pour reprendre notre exemple de l’A380, il n’a pas résisté longtemps aux pressions du marché. Son échec commercial a mené à l’arrêt définitif de sa production en mai 2020.
La planification d’une activité économique ne signifie pas qu’il y a une allocation parfaite des ressources. Des erreurs sont possibles et même, dans une certaine mesure, inévitables. La planification signifie seulement qu’il y a une allocation consciente de ressources et un processus décisionnel « en amont » pour déterminer la qualité, la quantité, la destination et l’utilisation des produits et pour organiser la force de travail en fonction des tâches à accomplir. Les mécanismes du marché, en revanche, constituent une correction post facto et « inconsciente », agissant rétroactivement sur une masse de ressources matérielles et humaines préexistantes. Personne n’a décidé que l’A380 serait un échec commercial. Personne ne décide qu’une récession se produira. Ce sont les processus objectifs liés au mode de fonctionnement du système capitaliste qui déterminent ce qui se passe, dans le dos de l’humanité, pour ainsi dire. La planification et le marché sont donc deux formes d’allocation fondamentalement différentes, même si elles peuvent parfois se combiner marginalement, notamment par des tentatives de « manipuler » un marché artificiellement.
Nous avons vu que la planification capitaliste vise à maximiser le taux d’exploitation des salariés et s’arrête aux limites des entités économiques individuelles, qui sont ensuite lancées les unes contre les autres dans une guerre concurrentielle. Comme le disait Engels, l’organisation de la production dans une fabrique individuelle s’inscrit dans un système d’ensemble chaotique – dont les travailleurs font les frais. Le socialisme signifie la résolution de la contradiction entre le mode de production socialisée et l’appropriation privée. Si nous retraçons le schéma historique des grandes étapes du processus productif que nous présente Engels, on pourrait le formuler ainsi :
Au « Moyen Âge » = Production privée, appropriation privée
Capitalisme = Production sociale, appropriation privée
Socialisme = Production sociale, appropriation sociale
Par l’expropriation des capitalistes, le socialisme résoudra la contradiction entre le mode de production et la forme d’appropriation et supprimera, de ce fait, le profit capitaliste comme critère suprême de l’activité économique en général. La planification – c’est-à-dire la coordination et l’harmonisation du processus productif – ne sera plus limitée aux confins de chaque entreprise individuelle, mais s’étendra sur l’ensemble de l’industrie ou de l’activité économique concernée, puisqu’elle ne sera plus divisée entre groupes capitalistes rivaux. À la place de la concurrence capitaliste, la planification qui existe aujourd’hui dans le cadre de chaque entreprise sera réorganisée sur des bases démocratiques et étendue à l’ensemble du secteur d’activité concerné, intégrée dans un plan de production nationale.
Les capitalistes sont pour la planification lorsqu’elle augmente leurs profits, leur pouvoir et leurs privilèges. Ils ont horreur de la planification de type socialiste précisément parce qu’elle n’est plus sous leur contrôle. Sous le socialisme, la production ne sera plus utilisée à des fins de profit, mais pour la satisfaction des besoins de la société. Sous le socialisme, les planificateurs ne seront plus les serviteurs de l’avarice rapace des capitalistes, mais des responsables directement élus ou nommés par d’autres élus, en rapport avec les salariés sur le terrain, dans les entreprises, qui auront un pouvoir démocratique de contrôle concernant la validation des orientations proposées. Le contrôle et la direction de l’économie et de l’État seront organisés par la collectivité et pour la collectivité. Sans la division de l’économie par la propriété capitaliste, les ressources de la Nation peuvent être réunies et mises au service de la société. La Bourse, dont la fonction concerne l’achat et la vente d’actions et d’autres « produits financiers » selon le rendement qu’elles procurent aux investisseurs, n’aura plus aucune raison d’être et sera donc supprimée. La plus-value générée par l’industrie et le commerce, tous secteurs confondus, ira désormais dans un « pot commun », à savoir une Caisse centrale qui remplacera les groupes bancaires capitalistes, et c’est à partir de ces fonds que se réaliseront la rémunération des salariés et les investissements nécessaires pour l’économie, pour la protection et la rénovation environnementales, pour la santé, l’éducation, la culture, des sports, etc.
La manière de produire, la nature même des produits et les conditions de travail pourront désormais se déterminer selon des critères de bien-être de l’humanité, de protection de l’environnement et de préservation des équilibres écologiques. La production de certains biens et certains procédés liés à la commercialisation des marchandises seront abandonnés. Le « marketing » et la publicité concurrentielle, par exemple, ne seront d’aucune utilité, pas plus que le gâchis et l’escroquerie de « l’obsolescence programmée ». Les ressources matérielles, financières et humaines que ces activités consomment sous le capitalisme pourront être consacrées à des fins plus intéressantes.
7. La gestion de la complexité
Parmi les objections émises par les partisans du capitalisme, il y a celle qui consiste à dire que l’économie contemporaine est bien trop complexe et trop sophistiquée pour être planifiée et que le marché constitue le seul moyen possible de distribuer les dizaines de millions de produits différents en circulation. Les moyens de production et la masse de produits qui en résulte sont tout simplement trop grands pour être gérés consciemment et démocratiquement.
Regardons cette objection de plus près. Dans les premières lignes de son Capital, Karl Marx écrit : « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandises » et, en effet, la quantité et la variété de marchandises sont beaucoup plus importantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à son époque. Cependant, la première chose à dire par rapport à tous les arguments qui mettent en doute de la capacité des travailleurs et, plus largement, de tous les citoyens, à gérer l’économie sans les capitalistes, c’est que, sous le capitalisme, ils la gèrent déjà ! Le socialisme ne part pas de rien dans ce domaine. Que font les capitalistes, exactement ? Où sont-ils ? Est-ce qu’on les voit, eux, dans les entreprises ? Les capitalistes jouent un rôle incontournable dans le système actuel uniquement parce qu’ils possèdent et contrôlent le capital, et donc les investissements. Or, ce capital, d’où vient-il ? Le capital n’est qu’une accumulation de richesses créées précédemment par le travail. Si la classe capitaliste est expropriée et si leur système politique est remplacé par une forme de gouvernement démocratique et réellement au service de la population, ce « capital » – une accumulation de plus-value sociale – existera toujours, mais son utilisation ne sera plus déterminée en fonction des intérêts égoïstes de capitalistes, mais selon les intérêts de la société dans son ensemble. Parmi les problèmes prioritaires que la société socialiste devra résoudre, il y a la protection des équilibres écologiques de la planète et la protection de l’environnement.
N’oublions pas que, sous le système actuel, même les projets d’investissement des capitalistes sont organisés et réalisés par des salariés. Le capitaliste, lui, ne fait que les accepter ou les rejeter, en fonction de ses intérêts propres. Ainsi, de nos jours, la contradiction entre la socialisation de l’organisation économique et l’appropriation privée de la plus-value dont parle Engels dans Anti-Dühring a été poussée à un degré qu’il n’aurait sans doute jamais imaginé à son époque.
Sous le socialisme, il ne s’agira pas de gérer la production et la distribution des biens individuels, mais de gérer la production et la circulation de diverses catégories de biens, catégories qu’il conviendra de hiérarchiser selon leur destination. Ils incluent une proportion considérable de biens intermédiaires et de pièces détachées, ainsi que toutes sortes d’équipements que le public ne consomme pas en tant que produit final. Les biens de cette catégorie typiquement ne « circulent » pas, car ils sont spécifiquement fabriqués pour répondre à un besoin particulier permettant de fabriquer une autre marchandise, par exemple le moteur de l’A380. Leur distribution dans le cadre du processus productif n’est pas forcément déterminée par le marché. Ils peuvent être fabriqués sur commande et faire l’objet d’une allocation directe aux branches d’activité concernées.
Le marché prédomine surtout dans le domaine des biens de consommation courante, et encore, compte tenu de la sophistication technologique de la grande distribution moderne, que ce soit dans les hypermarchés ou sur des plateformes de vente en ligne, il s’agit d’un marché nominalement « libre », mais très largement organisé et encadré dans les faits. Là aussi, dans le domaine de la distribution des « millions de marchandises », tâche dont l’ampleur est censée nous intimider et nous convaincre de l’impossibilité d’une approche planifiée, force est de constater que le socialisme ne partira pas de rien. La gestion de la distribution des produits de consommation courante est actuellement gérée d’un bout à l’autre par des salariés. S’ils sont capables de faire ce travail sous le capitalisme, ils le peuvent sous le socialisme également, mais avec d’autres instances de décision et de contrôle et d’autres critères de sélection des produits. Dans le domaine alimentaire, les produits dits « biologiques » deviendront la norme et ne seront plus réservés à ceux qui peuvent payer plus cher. L’industrie agroalimentaire ne sera plus organisée selon des critères de rentabilité capitaliste, mais comme un service public avec pour mission de mettre des produits alimentaires sains à la disposition de l’ensemble de la population.
Il n’y a aucune raison qu’une économie planifiée – pourvu qu’elle le soit de façon démocratique – soit moins souple ou moins réactive que l’économie de marché en ce qui concerne les besoins ou les envies des citoyens. Dans ce domaine, l’industrie distributive sous le capitalisme moderne fait que nous ne partons pas de rien. Le discours sur l’extrême complexité du marché des biens de consommation courante est exagéré. Même dans une société moderne comme celle des États-Unis ou la France, où l’on peut considérer qu’il y a plus de choix que dans les pays moins développés, les citoyens n’achètent couramment qu’une fraction des marchandises qui sont produites. Par ailleurs, le capitalisme rend le marché plus complexe que nécessaire par l’abondance de marchandises qui ne se distinguent les unes des autres que par des détails insignifiants ou l’emballage. Comme nous l’avons vu, une certaine proportion de l’ensemble des produits ne leur est pas du tout destinée, étant fabriquée que sur commande à des fins spécifiques. Le « consommateur » privé n’achète finalement que quelques milliers de biens différents au cours de sa vie. Il (ou elle, bien sûr) n’a ni le temps, ni le besoin, ni l’envie de consommer des « millions » de produits différents.
Évidemment, la production des biens de consommation évolue en fonction de l’apparition de nouveaux produits et de la disparition de produits devenus obsolètes. L’idée véhiculée par les théoriciens libéraux selon laquelle les changements de l’offre répondraient, grâce aux mécanismes du marché, à des « signaux des consommateurs » est un mythe. Les citoyens qui nettoyaient leurs foyers à coups de balai n’ont pas exigé des aspirateurs électriques, pas plus que les utilisateurs de stylo-plume et des machines à écrire n’ont réclamé des micro-ordinateurs et internet. Ce sont les innovations techniques et les nouveaux produits qui en résultent qui créent la demande.
Dans la propagande capitaliste, la « loi de l’offre et de la demande » constitue le cœur de « l’économie de marché ». Et pourtant, le capitalisme n’est manifestement pas capable, même dans les pays les plus riches, de répondre aux « demandes » les plus élémentaires d’une partie importante de la population, en matière de salaires, de logements, de nourriture saine et adéquate, de santé, d’éducation, etc. En vérité, la loi qui régit le système actuel n’est pas celle de la « demande effective », mais celle du profit capitaliste.
La socialisation de l’activité économique déjà présente sous le capitalisme fait que la production de biens de consommation courante se base sur des techniques bien rodées (mais toujours améliorables) et répond dans l’ensemble à des habitudes de consommation qui sont relativement stables et prévisibles. Grâce au rôle de la technologie informatique et l’intelligence artificielle, nous disposons de données aussi vastes que précises sur le comportement et les habitudes des consommateurs, qui sont par ailleurs remarquablement constants d’un pays à l’autre, dès lors qu’ils sont d’un niveau de développement économique similaire. Nous ne parlons pas ici de données concernant la consommation individuelle des citoyens (que certaines entreprises capitalistes enregistrent abusivement), mais de statistiques générales concernant la qualité et la quantité des biens consommés. Ceci ne veut pas dire qu’une économie socialiste planifiée ne se heurtera pas à des problèmes et des imprévus, mais, jusqu’à présent, aucun argument convaincant n’a été avancé indiquant que ces problèmes seraient insurmontables. À l’aide de la technologie informatique de notre époque, la gestion de la distribution des produits de consommation courante ne posera pas de problème majeur sous un système libéré de l’emprise capitaliste.
Nous ne nous attarderons pas ici sur la question de savoir combien de produits différents intéressent un consommateur au cours de sa vie. Cela n’a pas une très grande importance. À titre indicatif, un hypermarché (ayant par définition une surface de plus de 2500 m2) d’enseignes telles qu’Auchan, Carrefour ou Leclerc ont une offre commerciale allant de 20 000 à 35 000 références. Les employés parviennent à organiser l’ensemble de l’activité de ces enseignes, dans toute sa « complexité » et il n’y a donc aucune raison de penser que l’activité de la grande – et moins grande – distribution sera hors de notre portée sous le socialisme, d’autant plus que les salariés seront libérés de la précarité, l’exploitation, le harcèlement et les bas salaires qu’ils connaissent actuellement et qu’ils seront directement impliqués dans les processus décisionnels concernant la gestion de l’industrie, qui deviendra, sous le socialisme, un service public.
Jusqu’à présent, nous avons surtout traité la nouvelle organisation productive et distributive à grande échelle. Mais il existe également des milliers de petites entreprises familiales. Il n’y aura pas besoin d’exproprier les propriétaires de celles-ci. De manière générale, l’amélioration du niveau de vie de la population devrait permettre aux entreprises familiales de s’en sortir plus facilement qu’avant. Il y aura, naturellement, des règles sociales (dont l’interdiction de dépasser les horaires et des différentiels salariaux légalement et démocratiquement autorisés), sanitaires et sécuritaires à respecter, comme pour toute autre entreprise, mais le choix de se maintenir en tant qu’entités indépendantes ou de se coaliser dans des structures coopératives sera sans doute laissé aux propriétaires concernés.
8. Sortir progressivement des transactions monétaires
Après une période plus ou moins longue de transition, le nombre de biens et de services qui peuvent être mis à la disposition du public en dehors de toute transaction financière grandira et le nombre de biens et services qui devront encore être vendus baissera. Pour autant que nous puissions prévoir ce genre de chose, une société socialiste devrait pouvoir sortir du champ monétaire tous les produits et services de première nécessité, dont par exemple les aliments et vêtements de base, l’eau courante et l’électricité, les télécommunications, l’éducation, la santé, etc. Dès lors que la société parvient à un état de suffisance dans ces différents domaines, le « rationnement » par le paiement monétaire deviendra superflu. La gestion de la mise à disposition de biens et de services aux citoyens deviendra plus simple – et beaucoup plus égalitaire – du fait de sortir du champ des transactions monétaires. Progressivement, les biens répondant aux nécessités de base cesseront d’être des « marchandises » et seront tout simplement à la disposition de la population, de façon raisonnable.
Bien évidemment, chaque citoyen aura ses centres d’intérêt, ses ambitions et ses envies propres. Et donc forcément, l’argent jouera un rôle dans l’acquisition des biens qui ne peuvent pas être considérés comme étant de première nécessité. Mais c’est précisément en libérant les citoyens de la précarité concernant leurs besoins les plus élémentaires que la société socialiste favorisera l’épanouissement culturel et la créativité de chacun. Avec le temps, la satisfaction des besoins les plus évidents et incontournables des citoyens deviendra banale, naturelle. Le salaire monétaire servira à la satisfaction des envies et vocations au-delà des besoins essentiels. Au fur et à mesure que les biens cessent d’être des marchandises, les conditions objectives d’un dépérissement de l’économie de marché et du pouvoir de l’argent se mettront progressivement en place. Cela ira de pair avec une modification correspondante des comportements, de l’état d’esprit et des valeurs des citoyens, puisque la conscience sociale sera graduellement refaçonnée par les nouvelles conditions d’existence de l’humanité.
9. Réduction du temps du travail
La théorie économique de Karl Marx nous apprend que la source du profit capitaliste réside dans la différence entre la valeur de la force de travail du salarié (son salaire) et la valeur du produit son travail : ce que Marx appelle le « travail nécessaire », c’est-à-dire nécessaire à la reproduction de la force de travail du travailleur et la valeur du « surtravail » réalisé au-delà de cette période qui constitue le profit capitaliste. De là, on comprend aisément que le capitaliste a intérêt à prolonger le plus possible la journée du travail, puisque c’est la dernière partie de la journée qui lui apporte son profit. On comprend tout aussi aisément que tout ce qui peut augmenter la valeur créée par chaque heure de travail – pressions morales et psychologiques, mais surtout innovations techniques et organisationnelles – sert à augmenter la rentabilité du travail fourni. La lutte des classes, réduite à sa plus simple expression sur le plan économique, n’est autre que la lutte pour le partage entre le capitaliste et le salarié de la valeur créée par le travail de ce dernier.
Pour le capitaliste, la technologie permet d’extraire la même quantité de valeur, ou même une plus grande quantité de valeur, avec moins d’heures de travail à payer. Là où cinq travailleurs effectuaient une tâche donnée, une nouvelle machine permet de l’effectuer à trois. Deux travailleurs perdent leur emploi, le profit augmente. Au niveau d’un pays, la force de travail se divise en des millions de chômeurs d’un côté, et des travailleurs surexploités de l’autre. Les capitalistes, qui, eux, ne créent aucune valeur, s’enrichissent davantage. La propagande capitaliste prétend que le travailleur apporte son travail et le capitaliste apporte son capital, son investissement. Mais d’où vient le capital ? Ce n’est que le fruit du « surtravail » social accumulé.
L’expropriation révolutionnaire de la classe capitaliste mettra fin à ce système d’exploitation, et de ce fait, à la division de la société en classes sociales aux intérêts diamétralement opposés. Le pouvoir de la classe capitaliste sera remplacé par le pouvoir des producteurs. La propriété capitaliste des moyens de production (dans lesquels incluons-nous, ici, tous les rouages essentiels de l’économie) sera remplacée par la propriété sociale. Dès lors, le rôle de la technologie et de la recherche, les critères du temps de travail et la nature du rapport entre les citoyens et l’économie changeront du tout au tout.
10. Technologie, santé publique, culture et environnement
La technologie augmente la capacité productive du travail humain, et augmente le pouvoir de l’humanité sur son environnement. Elle a été mise en accusation pour la destruction environnementale et écologique, la destruction des emplois et la pauvreté, entre autres. Cependant, en soi, la technologie n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de comment et dans quels intérêts elle est utilisée. En enlevant le contrôle de la technologie à la classe capitaliste, elle pourra devenir un puissant levier d’émancipation sociale et aussi de protection de l’environnement. L’une des tâches les plus urgentes de la société socialiste sera d’arrêter le saccage de la planète pour le profit et de réparer les dégâts qui ont déjà été faits à cet égard.
Sous le système de production actuel, les machines, la technologie informatique et l’ensemble des ressources scientifiques qui permettent une augmentation de la productivité du travail humain, c’est-à-dire de travailler moins pour produire autant, voire plus, sont au service des capitalistes. Ils sont autant de moyens pour se débarrasser d’un maximum de salariés, augmenter le taux d’exploitation de ceux qui restent et augmenter la rentabilité. Mais dès lors que l’économie sera libérée de l’emprise capitaliste, ces mêmes moyens permettront de réduire le temps de travail pour tous.
Ceci aura des conséquences extrêmement positives pour la santé physique et mentale de la population, pour les conditions dans lesquelles grandissent les enfants, pour l’épanouissement culturel de tous et dans tous les domaines. Actuellement, les citoyens passent neuf ou dix heures par jour au travail ou en déplacement pour aller au travail et en revenir. Imaginons, par exemple, une semaine de travail « normale » de 20 heures par semaine. Les citoyens, en disposant de plus de temps, pourront mieux grandir en tant qu’êtres humains, participer à vie démocratique et sociale, étudier, s’investir dans les arts et d’autres activités culturelles, penser davantage à comment mieux façonner le présent et le futur de l’aventure humaine. La nouvelle organisation économique et sociale sera au service de la collectivité, mais aussi des individus qui la composent. Les prémisses matérielles de l’égalité sociale permettront la réalisation des potentialités individuelles à une échelle inconcevable sous le capitalisme.
A la source de pratiquement tous les phénomènes graves qui menacent l’environnement et les équilibres écologiques de la planète, on trouve la soif insatiable des capitalistes pour le profit. C’est vrai pour le réchauffement climatique, la sécheresse, la fonte des glaces, le déclin de la biodiversité, la baisse de la qualité organique des sols, la déforestation, la pollution de l’air, des rivières, des mers et des océans, et bien d’autres phénomènes du même ordre. Les intérêts égoïstes de la classe capitaliste vont directement à l’encontre de ceux de l’humanité et de la préservation planétaire. Tant que les capitalistes et leurs représentants politiques conservent leur pouvoir, ils soumettront le monde à leurs priorités ignobles. L’une des tâches les plus urgentes de la société socialiste sera de mettre fin à la dégradation des équilibres écologiques et assainir l’environnement. L’« écologisme », pour être vraiment conséquent, passe nécessairement par le renversement du capitalisme à l’échelle planétaire.
11. Répartition égalitaire des richesses
Pour les capitalistes, le socialisme se présente surtout comme une tyrannie indicible. Ils ne voient que de l’injustice dans un système qui les priverait du droit de posséder, rien que pour leur usage personnel, des bateaux de luxe, des hélicoptères, des « flottes » de voitures et des châteaux. En vérité, leurs craintes à cet égard sont sans doute très largement justifiées ! L’extravagance débridée des super-riches et le gâchis de ressources qu’elle entraîne ne seront certainement pas tolérés dans une société qui s’efforce d’installer un ordre social plus démocratique et égalitaire. Cependant, le plus important, à vrai dire, sera l’abolition de la source de l’enrichissement des super-riches, à savoir l’exploitation de l’homme par l’homme, la propriété capitaliste des moyens de production et d’échange et la spéculation financière. Quant à leurs comptes bancaires et leurs jouets extravagants, la société décidera ce qu’il faut en faire en fonction de ses objectifs de justice sociale et de marche vers l’égalité.
La quasi-totalité des taxes, notamment la TVA et l’impôt sur le revenu ne seront plus nécessaires, puisque les besoins financiers de l’administration publique seront prélevés directement sur les ressources provenant de la propriété publique de l’économie planifiée. Cependant, pendant un certain temps, la fiscalité pourra servir d’outil auxiliaire de redistribution des richesses et de réduction des inégalités. Le socialisme ne signifiera pas un nivellement par le bas. Son but est d’aller progressivement vers une plus grande égalité sociale tout en améliorant le niveau de vie de la masse de la population. Il ne s’arrêtera pas à l’élimination de la pauvreté et la satisfaction des besoins élémentaires. La maîtrise sociale des richesses nationales apportera une amélioration des conditions d’existence de l’immense majorité de la population.
L’expropriation de la classe capitaliste est la condition indispensable de la réorganisation de la société sur de nouvelles bases, ouvrant la voie à l’élimination de l’exploitation de l’homme par l’homme. La classe capitaliste n’est pas une classe nombreuse. Son pouvoir immense, qui lui permet de soumettre l’ensemble de la société à ses intérêts propres, provient de sa possession des moyens de production et d’échange et de pratiquement tous les rouages de la vie économique du pays. Et puisque la politique est l’expression concentrée du système économique, la classe qui contrôle l’économie contrôle aussi les organes du pouvoir étatique. L’éradication du pouvoir politique de la classe capitaliste est inconcevable sans l’éradication de la propriété privée capitaliste. Mais ceci ne signifie pas que le socialisme porte atteinte à toutes les formes de propriété privée. Au contraire, il vise à protéger et sécuriser la propriété privée des travailleurs et, de manière générale, de tous les citoyens à l’exception des capitalistes. La « propriété privée » des citoyens (leurs biens personnels) sera inviolable. En ce qui concerne les super-riches, cependant, il faudra voir dans quelle mesure cette inviolabilité peut s’appliquer à eux. Peut-on accepter, par exemple, dans une société soucieuse de réduire les inégalités et de protéger l’environnement et éviter le gâchis de ressources, que des individus disposent de jets privés, de super-yachts, de vastes terrains privatifs, etc. ? Il y a de fortes chances que les citoyens d’une société socialiste future répondent par la négative à cette question.
12. La démocratie dans les entreprises
Le renversement de l’ordre social provoquera une profonde modification de l’organisation interne des entreprises. Après s’être soulevée pour changer la société, la masse de travailleurs ne pourra plus supporter d’être dirigée par des « chefs » despotiques qui prennent des décisions sans aucune concertation et balaient d’un revers de main toute idée de démocratie. Le socialisme instaurera la gestion démocratique des entreprises. Les organisations collectives et démocratiques des salariés auront un rôle déterminant dans la planification et la réorientation de l’économie par le fait qu’elles ont la connaissance de l’outil productif et du tissu industriel de leur secteur d’activité.
La question des rapports hiérarchiques dans les entreprises revêt un caractère très particulier, car c’est le lieu où s’exprime avec le plus d’acuité la division de classe de la société capitaliste. Elle est le reflet de l’ordre social à travers différentes classes et les couches sociales qui la composent. Sous le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et d’échange forme la colonne vertébrale autour de laquelle s’organise la société. Les capitalistes forment les propriétaires de ces moyens de production et d’échange et les travailleurs possèdent leur force de travail, qu’ils louent aux capitalistes. Cela induit une population composée d’une minorité de propriétaires de capital industriel et financier et d’une majorité de travailleurs dépourvus de cette propriété, avec des strates intermédiaires qui viennent s’intercaler entre ces deux classes sociales principales.
La production est vue par le capitaliste non comme le moyen de subvenir aux besoins de la société, mais comme le moyen de créer de la richesse, et a fortiori la sienne, qu’il extorque sur le dos du travailleur salarié. Le travailleur est ainsi dépossédé de son activité qu’il met à profit pour la production, créant ainsi une plus-value qui se transforme en profit pour le capitaliste. Ce rapport de domination des uns sur les autres se décline en une structure hiérarchique au sein de l’entreprise. C’est là la grande escroquerie – ou plutôt une des nombreuses escroqueries – de la « démocratie » dans laquelle nous vivons actuellement. Le salarié, qui vend sa force de travail pour subvenir à ses besoins, n’est qu’un acteur très relatif de son contexte de travail. Cela joue un rôle dans sa motivation.
Certes, malgré toutes les contraintes, certaines activités conservent un intérêt, car elles permettent un sentiment d’utilité sociale ou d’épanouissement personnel. Toujours est-il que les décisions importantes concernant l’entreprise sont prises par une minorité dont la responsabilité est de générer le maximum de profits pour le « patron » ou pour les actionnaires. Il y aura besoin de changer en profondeur les pratiques. Le socialisme aura pour tâche de diminuer la séparation entre décideurs et exécutants, en rendant les premiers démocratiquement comptables envers les derniers. Il faudra créer de nouvelles formes d’organisation démocratiques sur les lieux de travail, à la place des « chaînes de commandement » actuelles. C’est de cette manière que l’économie sera entre les mains de ceux qui sont sur le terrain, de ceux qui produisent la richesse.
La démocratie capitaliste s’arrête au choix d’élire nos représentants parmi les candidats qui nous sont présentés qui, une fois élus, « fouleront aux pieds le peuple au Parlement » selon l’expression de Karl Marx. Le pouvoir économique et la propriété capitaliste sont les pouvoirs dominants avec lesquels le pouvoir politique vient se conformer. Dans les entreprises, ce n’est pas la « démocratie » qui règne mais une organisation pyramidale avec des chefs et des exécutants, le tout pour servir les intérêts du capital. Cette hiérarchisation, avec une chaîne de commandement à sens unique, n’est pas seulement l’apanage des entreprises privées, elle se retrouve également dans la Fonction publique, car elle aussi est le reflet de la société telle qu’elle est construite actuellement. La « liberté » et la « démocratie » tant vantées par les porte-parole du capitalisme ne sont qu’une grande supercherie.
Si l’ensemble des salariés étaient associés aux décisions concernant leurs entreprises respectives, ils imposeraient d’autres critères que la rentabilité. Les syndicats comme la CGT mettent en avant le rôle que pourrait jouer la décision collective dans le processus décisionnel dans les entreprises, mais leurs propositions et revendications en ce sens sont systématiquement écartées par les employeurs. Pour ces derniers, la motivation du salarié est mieux stimulée par la compétition, l’individualisme, et la course aux « avancements », au risque de polluer les relations entre les travailleurs, les dresser les uns contre les autres. Or, le socialisme – le départ des patrons ! – signifiera justement l’instauration de droits et de pouvoirs très étendus à l’ensemble des salariés dans le but de transformer radicalement non seulement le rapport entre les producteurs et leur produit, mais aussi le rapport entre les producteurs et leur environnement de travail dans son ensemble. Le travail ne se réduira plus à créer des valeurs – que ce soient des marchandises ou des services – qui sont aussitôt accaparées par une minorité capitaliste, mais deviendra une activité répondant aux besoins de la société, participant à son développement culturel, scientifique et artistique, au progrès social en somme.
Rappelons une nouvelle fois qu’il ne s’agit pas ici de présenter les schémas rigides de ce que devrait être une société communiste, mais simplement des pistes de réflexion. Sur chaque lieu de travail, selon l’organisation du travail et selon le nombre de salariés concernés, les modalités démocratiques et les pouvoirs décisionnels ne seront pas forcément les mêmes. Cependant, le but essentiel du socialisme dans ce domaine sera d’effectuer un transfert du pouvoir effectif aux travailleurs et travailleurs à tous les niveaux de l’économie et de « l’administration des choses » en général. Quelles décisions devront être prises par les collègues d’un service donné, avec ceux d’un site ou d’une branche d’activité ? Comment et à quel niveau faire intervenir des représentants de la population dans les orientations prises ? Ce ne sont assurément pas des questions simples. Les pratiques coopératives ne sont pas plus « naturelles » que celles de la compétition. Elles nécessiteront un apprentissage. Les générations actuelles sont façonnées par une société où les principes économiques sont ceux de la concurrence, qui imprègnent plus ou moins tous les champs de la vie sociale. La délégation des pouvoirs au plus proche des lieux de production ne pourrait peut-être que se faire progressivement. Sans doute qu’une certaine souplesse sera nécessaire dans ce domaine, pour laisser la place à des expérimentations possibles.
Prenons l’exemple d’un site regroupant moins d’une vingtaine de salariés. Dans le domaine qui leur est propre, le lieu de décision des affaires courantes pourrait être des réunions d’équipe périodiques. L’équipe pourrait décider de la répartition du travail, d’améliorations de procédure, de la définition d’objectifs. Une direction collégiale pourrait être mise en place, dotée de pouvoirs spécifiques déterminés par l’ensemble de l’équipe.
Ces propositions ne sont pas fantaisistes. En France, elles décrivent à peu près le fonctionnement de centres de santé communautaire, comme celui d’Échirolles, qui prévoit l’inclusion des bénéficiaires mais pas, ou peu, les institutions. Il s’agit d’un lieu de « production » de soins, mais ce même type d’organisation pourrait s’adapter à d’autres secteurs. L’histoire sociale de France et d’autres pays regorge d’expériences similaires. Dans une société capitaliste, des expérimentations de ce genre se développent dans un contexte social et économique défavorable. Dans une société socialiste, cependant, elles pourraient compter sur l’appui et l’encouragement des pouvoirs publics. Selon le secteur d’activité concerné, de telles initiatives devront s’inscrire dans un plan d’ensemble, car un maillage rationnel et coopératif global ne pourrait résulter d’initiatives privées éparses et totalement indépendantes.
Les processus décisionnels interviendront forcément à de multiples échelons, loin de la caricature centralisatrice et bureaucratique associée aux dictatures « staliniennes ». Les grandes orientations d’une branche économique seraient forcément définies par les programmes politiques gouvernementaux. Dans le secteur énergétique, par exemple, le débat de la poursuite ou non de l’activité d’une centrale nucléaire ne saurait dépendre du pouvoir exclusif des salariés du site en question. De manière générale, la séparation entre les questions économiques et les questions sociales tendra à s’effacer. De nos jours, le pouvoir politique est soumis aux impératifs de ceux qui détiennent le pouvoir économique. Plutôt que de s’en remettre à la « main invisible » du marché, l’espèce humaine pourra enfin mettre l’économie à son service au moyen d’un plan rationnel et démocratique.
Progressivement, c’est le statut même du salariat et le mode de rémunération du travail qui changeront. Le travailleur ne sera plus au service du capital et de sa recherche de profit maximum. Il aura un rôle émancipateur et au service du bien commun. « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », selon la formule célèbre, se déclinera dans l’organisation du travail. Chacun apportera son savoir-faire et ses connaissances dans le but de pourvoir aux besoins du développement de la société, qui en retour pourra satisfaire les besoins individuels de tous, peut-être sous la forme d’un « salaire à vie », et ce, quel que soit le niveau de qualification du citoyen. Ainsi le travailleur ne serait plus soumis aux lois du marché et des besoins – ou manque de besoins – de l’entreprise où il travaille. Ce serait la fin de la rémunération à l’emploi le début de l’émancipation par le travail. Pour reprendre les termes du Manifeste Communiste, publié en 1848 : « À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »
13. Santé publique
La Sécurité Sociale figure parmi les plus grandes conquêtes sociales du mouvement ouvrier français. Elle a permis d’atténuer l’inégalité sociale dans le domaine de la santé, sans toutefois l’abolir. Les riches sont mieux soignés que les pauvres. La santé demeure un champ d’activité extrêmement lucratif pour les entreprises capitalistes du secteur, qui drainent les caisses de la Sécurité Sociale et réalisent des milliards de bénéfices par l’exploitation de pratiquement tous les aspects de la provision sanitaire, allant de la production de produits pharmaceutiques, aux services hospitaliers ou aux maisons de retraite. Le socialisme devra intégrer tout ce qui concerne la santé au domaine public. La santé de la population ne sera plus une source de profit pour une minorité.
Pour commencer, toute l’industrie pharmaceutique, dans toutes ses ramifications, sera nationalisée et réorganisée en une seule entité industrielle publique au service de la population. Sans aucun doute, la publication des « secrets d’affaires » pour dévoiler le cynisme, les subterfuges et la corruption des anciens propriétaires suffira à convaincre tout le monde qu’ils ne méritent aucune indemnisation. La publication des secrets industriels apprendra aux peuples du monde comment le capitalisme profite des problèmes sanitaires pour s’enrichir. Ceci énervera passablement « Big Pharma » à l’échelle mondiale, mais peu importe ! En donnant libre accès aux connaissances scientifiques relatives à la production pharmaceutique, nous briserons le monopole, bien au-delà de nos frontières, des entreprises géantes qui dominent l’industrie à l’échelle mondiale, nous permettant de mettre à disposition des médicaments à un prix très inférieur à ceux pratiqués par les capitalistes. Pour ne donner qu’un exemple parmi des milliers d’autres, il serait possible – dès lors que le profit capitaliste n’entre plus en ligne de compte – de mettre à disposition un produit comme le Sofosbuvir, qui traite l’hépatite C, pour un prix d’environ 200 euros la cure, au lieu de près de 30 000 euros, comme c’est le cas en France actuellement. Ceci n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.
Le service public de santé sera remanié en profondeur. Il ne s’agira plus de « rembourser » les soins – ce qui n’est fait que partiellement, actuellement – mais d’instaurer la prise en charge directe, à partir des ressources de l’État, de tous les soins médicaux. Tous les établissements de la santé, les maisons de retraite et toutes les institutions ayant un rapport avec la santé publique seront intégrés dans un service national de santé publique et de prévention, dotés de financements à la hauteur des besoins de la population.
Actuellement, la prestation de soins médicaux est principalement une production privée garantie par un financement public. Nous pourrons résoudre cette contradiction par la création d’un service public de santé, incluant le développement, la production et la distribution du médicament. Progressivement, la « médecine libérale » cédera la place à un maillage territorial de médecins salariés employés par le service de santé national. L’augmentation du nombre de médecins est une nécessité évidente. Leur répartition sur le territoire national l’est également.
L’augmentation du nombre de médecins ira donc de pair avec une régulation publique imposant une distribution équitable de la population médicale. La concurrence médicale craint la pléthore, car la pénurie est rentable. Mais dans le cadre d’un service public entièrement libéré des critères de rentabilité et disposant des moyens à la hauteur de sa mission, l’accès aux soins sera garanti pour tous. Et pour les professionnels, cela permettra de diminuer leur charge de travail.
Les avancées en matière de santé publique figureront parmi les nombreux arguments puissants pour convaincre les peuples d’autres pays de nous emboîter le pas vers la transformation révolutionnaire et socialiste de la société. Au fur et à mesure que le socialisme s’étendra vers d’autres pays, libérant la santé publique du profit et de la concurrence, il sera possible de mettre en place une véritable coopération internationale et mutuellement bénéfique dans ce domaine d’une importance sociale vitale.
14. L’éducation
L’Éducation Nationale représente un acquis social majeur. Cela va sans dire. Mais elle est constamment sous pression en termes de ressources humaines et financières. Les gouvernements cherchent sans cesse à « dégraisser le mammouth », selon l’expression tristement célèbre d’un ancien ministre de l’Éducation. Même si les enseignants mettent un point d’honneur à former chez les jeunes un esprit critique, les préparer à la citoyenneté, les intéresser à la culture, le projet de l’élève prend forme, en fin de compte, en vue d’un métier. L’orientation et l’évaluation de l’élève se font dans la perspective des débouchés économiques et des filières de formation qui existent dans la société actuelle.
La classe capitaliste a besoin d’une population relativement éduquée, ne serait-ce que pour avoir des employés suffisamment formés et instruits pour générer des profits, mais ne s’intéresse guère à éduquer la population au-delà de ce besoin. Pour les jeunes, le système ressemble à un tri social, où la question du métier futur se pose dès lors qu’apparaissent les difficultés scolaires. Les enfants des couches sociales les plus défavorisées ont moins de chances d’accéder aux études supérieures, et ce sont les enfants des couches sociales les plus favorisées qui, en faisant le plus d’études, coûtent le plus d’argent à l’État. Si jamais l’élève d’une classe favorisée connaît un parcours scolaire compliqué, il pourra sans doute compter sur les aides de la famille et des réseaux de celle-ci, des cours particuliers, des stages dans un pays étranger, une entrée dans une école dont le prix peut paraître prohibitif. En un mot, le système scolaire est nécessairement lié à l’ordre social existant, et tend à reproduire la hiérarchie sociale qui lui est inhérente. Pour que le système éducatif débouche sur une réelle « égalité des chances », il faut éliminer les causes profondes de l’inégalité sociale par un changement de la société dans son ensemble. La société socialiste aura besoin de revaloriser le système éducatif, optimiser les conditions d’accueil et d’enseignement, et lui garantir les moyens financiers et les équipements nécessaires à sa mission, pour que chaque jeune puisse s’épanouir et réaliser son potentiel au maximum, pour son propre bien et pour celui de la société dans son ensemble. On peut imaginer que la société socialiste future cherche aussi à décloisonner le système éducatif en l’ouvrant davantage à la société qui l’entoure, et notamment vers les générations plus âgées, pour que l’éducation cesse d’être réservée à la seule jeunesse et s’ouvre également aux adultes en activité. Tout citoyen devrait pouvoir se former, approfondir ses connaissances et en acquérir de nouvelles, à n’importe quel moment de son existence. Ainsi pourrons-nous élever la société dans son ensemble à un niveau supérieur de développement humain.
15. Le logement
Le socialisme ne signifie pas l’abolition de toutes les formes de propriété privée. Il ne supprimera que la propriété privée des moyens de production et d’échange, de l’industrie et du commerce. La propriété personnelle des citoyens sera protégée et valorisée. De nombreux travailleurs ont acheté ou essayent d’acheter leur propre logement. Parfois il provient d’un héritage familial. Les citoyens concernés n’ont rien à craindre du socialisme. Bien au contraire, l’industrie du bâtiment, le système bancaire et le processus d’achat et de vente de logements seront transformés en autant de services publics, libérés des requins capitalistes qui les contrôlent actuellement. L’idée étant de sortir le logement de la population de l’emprise des profiteurs et des spéculateurs.
La question du logement figure parmi les grands problèmes que le socialisme devra résoudre. Les ressources permettant de le faire proviendront de la concentration de la plus-value nationale entre les mains de l’administration publique. Les conditions de logement sont bien évidemment un élément primordial de la qualité de vie de la population. Actuellement, en France, le prix des propriétés à l’achat et le montant des loyers sont déterminés par un marché prétendument « libre », mais en réalité truqué par les intérêts des capitalistes et des propriétaires loueurs. Alors que trois millions de logements sont inoccupés, la pénurie de logements sur le marché arrange les loueurs privés, qui peuvent ainsi exiger des loyers exorbitants pour des logements souvent négligés et vétustes. La crise du logement frappe 15 millions de personnes d’une façon ou d’une autre – risques sanitaires, menaces d’expulsion, surfaces exiguës, humidité ou vétusté. En 2018, plus de 36 000 personnes ont été expulsées de leur logement par des forces de l’ordre. Chaque année, un grand nombre de personnes meurent dans la rue. Selon les estimations de l’Institut de veille sanitaire, entre 2012 et 2016, le nombre de décès parmi les sans-abris serait de 13,371, soit plus de 3000 par an. Pour les couches sociales les plus pauvres et fragilisées, la fin du règne capitaliste est un enjeu littéralement vital.
Le plus rapidement possible, l’économie planifiée devra garantir à tous les citoyens les moyens de vivre dignement dans des logements de qualité, qu’ils soient locataires ou propriétaires. Cela passera par un ensemble de mesures pour éradiquer les causes de la crise actuelle. Premièrement, la mise en œuvre d’un programme massif de construction de logements de qualité, appartenant à la collectivité et entretenus à partir de fonds publics. L’existence d’un parc grandissant de logements qualitatifs à des loyers modérés ferait couler le marché des loueurs privés abusifs. Le raidissement des lois concernant les obligations des loueurs privés et l’imposition d’un barème de loyers limitatif agirait dans le même sens. L’encadrement plus strict des conditions de location et la « concurrence » du secteur public incitera beaucoup de propriétaires à céder les logements en question à l’administration publique concernée (sans doute la mairie), qui pourra ensuite les remettre à niveau et les intégrer au dispositif local de logement public. D’autres mesures sont envisageables pour limiter l’activité de loueurs privés, par exemple l’interdiction d’acquisitions immobilières privées qui ne seront pas occupées par les acquéreurs ou leurs proches. Une loi de ce genre est actuellement en vigueur au Danemark, par exemple.
16. Nouvelle société, nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité.
À la veille de la Révolution française, l’Abbé Sieyès écrivait que le « tiers état », considéré comme « rien » par les tenants de l’Ancien Régime, était en fait « tout » dans la société. Aujourd’hui, nous pouvons dire avec infiniment plus de justification que le salariat est « tout », dans la société. Sans lui, rien ne peut se faire.
La planification socialiste de l’économie sous contrôle et direction démocratiques donnera une impulsion formidable à la recherche scientifique et à l’innovation technique. Les idéologues du capitalisme considèrent que le profit et la concurrence constituent la force motrice de l’innovation et que par conséquent la suppression de l’économie de marché marquera la fin du progrès. Cependant, ce point de vue est complètement dépourvu de fondement historique et scientifique. De la maîtrise du feu et des techniques d’architecture primitives, jusqu’aux travaux des innombrables chercheurs scientifiques désintéressés de notre ère, toute l’histoire de l’humanité est jalonnée de grandes découvertes et innovations sans aucun rapport avec le marché ou une quelconque soif de gain financier. Au contraire, l’assujettissement de la recherche au secteur privé tend à restreindre le champ de recherche à des domaines procurant un intérêt économique à court terme. Sous le socialisme, les universités et les milieux scientifiques en général poursuivront leur travail dans de meilleures conditions qu’à présent. Cependant, le progrès scientifique et technique ne servira plus à générer des profits pour des capitalistes, à aggraver l’exploitation, à dénaturer la planète ou à faire la guerre.
Il n’y a aucune raison de penser que l’égalité sociale serait un obstacle au progrès scientifique et à l’innovation technique. Nous avons évoqué les travaux de chercheurs « désintéressés ». Mais peut-être que ce terme n’est pas le plus heureux. L’engagement dans la recherche scientifique et l’innovation technique est toujours « intéressé » en ce sens qu’il y a toujours une motivation. Mais cette motivation n’est pas nécessairement monétaire et marchande. Il y a le désir de contribuer au bonheur humain, à la santé de la planète, à un avenir meilleur, en somme. Il y a la soif du savoir, d’une meilleure compréhension du monde et de l’univers. Voilà ce qui motivait Lavoisier, Laplace, Curie, Pasteur, Jenner et Einstein. Et voilà ce qui motivera, également, les chercheurs et ingénieurs de l’avenir. Il en va de même pour l’ensemble des citoyens, dès lors qu’ils s’habituent à pouvoir consciemment et collectivement façonner l’organisation de la vie économique et sociale. Ils toucheront un « dividende » non sous la forme d’un profit pécuniaire personnel, mais sous la forme d’un « dividende » social, d’un « mieux vivre » collectif et individuel. Libérées des intérêts capitalistes, la recherche et l’innovation feront avancer la société socialiste et porteront l’humanité vers un niveau civilisationnel plus élevé.
La société socialiste devra adopter une organisation démocratique combinant efficacité économique et justice sociale. Il est probable que les organes du pouvoir qui auront permis de renverser l’ordre capitaliste ne pourront répondre à ce besoin que très partiellement. Il serait présomptueux – et plutôt inutile – de tenter de définir les formes organisationnelles et leur mode de fonctionnement sous la future démocratie socialiste. Disons seulement qu’il n’y a aucune raison de penser que la mise en place d’instruments de contrôle et de direction populaires sera hors de portée de la société. L’expérimentation produira sans doute des erreurs et des imperfections, mais l’expérience collective devrait permettre de corriger le tir, pourvu que les contrôles démocratiques nécessaires soient imposés aux instances de décision. Sous une forme rudimentaire et dans un contexte historique particulier, les Communards de 1871 ont tracé les grandes lignes d’un régime politique sain et démocratique. Malgré l’évolution de la société depuis le 19e siècle, il nous semble pertinent de ne pas perdre de vue les grands principes élaborés par les Communards et l’esprit profondément démocratique et révolutionnaire qu’ils exprimaient. Les personnes occupant des postes de responsabilité, disaient les Communards, devaient être directement élues ou nommées par des personnes élues. Aucun « officiel » ne devait toucher plus que le salaire moyen d’un travailleur, avec l’idée que ceux et celles qui représentent le peuple doivent vivre comme le peuple. Les postes de responsabilité devraient être occupés à tour de rôle, avec des mandats de durée limitée, afin de prévenir la cristallisation d’une caste bureaucratique permanente. Enfin, les Communards se déclaraient hostiles à la création de corps armés permanents, séparés du peuple et contre le peuple. Quelle que soit la forme exacte des institutions démocratiques du suffrage universel socialiste, il faudra qu’elle constitue une traduction moderne de ces aspirations anciennes.
Une société divisée entre exploiteurs et exploités, régie par le profit et le pouvoir de l’argent, et minée par l’inégalité sociale requiert un appareil administratif, juridique et policier beaucoup plus lourd qu’une société telle que nous voulons la construire. Sous le capitalisme, les citoyens sont « égaux » – du moins dans les textes – devant une loi qui encadre l’ordre social existant et incarne, en conséquence, l’inégalité. Sous le capitalisme, les citoyens sont « égaux » – du moins dans les textes – devant une loi qui encadre l’ordre social existant et incarne, en conséquence, l’inégalité. « La loi, dans un grand souci d’égalité, interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain.» C’est ainsi qu’Anatole France a parfaitement résumé l’hypocrisie capitaliste à cet égard.
Lorsque la nouvelle organisation sociale aura placé le contrôle de toutes les ressources et des richesses produites entre les mains de la collectivité, abolissant le pouvoir de la classe capitaliste, les citoyens seront enfin égaux devant une loi qui incarne l’égalité sociale. Une partie des lois actuellement en vigueur conservera sa validité dans la société nouvelle, mais il sera nécessaire de purger l’ensemble des dispositions légales de tout ce qui entérinait les rapports de propriété, de pouvoir et d’exploitation propres au système capitaliste, et de mettre la loi en conformité avec les rapports sociaux et économiques post-révolutionnaires.
L’allégement du poids de l’État et l’évolution de l’encadrement de la société davantage vers « l’administration des choses » correspondraient aux prévisions théoriques formulées par Marx et Engels, qui postulaient un dépérissement graduel de l’appareil étatique. Il faut garder à l’esprit que Marx et Engels parlaient ici de l’État en tant qu’appareil militaire, policier et répressif, uniquement. Historiquement, l’émergence d’un organe spécial de répression – de « détachements armés » – coïncidait avec la division de la société en classes antagoniques. La suppression de cette division devrait rendre cet « organe spécial » obsolète, à terme. Cependant, la réalisation de cette perspective théorique dépendra nécessairement de la situation nationale et internationale à laquelle la France socialiste sera confrontée.
Une société authentiquement démocratique est bien évidemment inconcevable sans la liberté d’expression, de publication ou d’association et sans le suffrage universel. La liberté d’expression ne saurait être qu’individuelle. Elle doit s’étendre à l’ensemble des partis, des courants d’opinion et aux formes d’association diverses. Il n’est pas question d’imposer un régime de « parti unique ». Le droit d’expression politique doit s’étendre non seulement aux citoyens favorables à la nouvelle organisation sociale, mais aussi à ceux qui s’y opposent, à l’exception des organisations – de type fasciste ou terroriste, notamment – qui chercheraient à parvenir à leurs fins par la force des armes.
La liberté de pensée doit également s’étendre aux convictions religieuses. Parmi les citoyens, il y en aura qui pensent que l’humanité est la création d’un dieu, et d’autres qui pensent, au contraire, que les dieux sont une création de l’humanité. Les citoyens qui ont des croyances religieuses doivent être libres de vivre selon leurs convictions, à condition que celles-ci ne se traduisent pas, dans la pratique, par des oppressions et des actions violentes. La religion est une affaire privée, une question de conscience individuelle. En conséquence, toute l’activité de l’administration publique – dont le système éducatif – doit être libre de toute connotation religieuse. L’école transmettra non pas des croyances, mais le savoir.
Le niveau de développement des forces de production et de la division internationale du travail à notre époque rend impensable l’établissement d’une économie nationale durablement autonome. Le « socialisme dans un seul pays » est – comme il l’a toujours été – une utopie irréaliste. En même temps, l’idée d’une transformation socialiste simultanée dans le monde entier ou même à l’échelle d’un continent est tout aussi invraisemblable. Une transformation socialiste dans un pays donné pourra réaliser de grandes avancées démocratiques et sociales dans le cadre de ses frontières, mais la consolidation des nouvelles conquêtes sociales dépendra de l’extension, dans un laps de temps relativement court – de quelques années, tout au plus – de la transformation révolutionnaire qui les aura rendues possibles. L’internationalisme ne signifie pas une révolution simultanée dans tous les pays. Le mouvement sera inégal, décalé. Mais en tout cas, il faudra bien commencer quelque part. Autant que ce soit, comme à la fin du 18e siècle, en France. Une France révolutionnaire et socialiste aura des ennemis puissants, à ne pas en douter. Pour les vaincre, elle devra compter sur la sympathie, la solidarité et la capacité révolutionnaire des travailleurs de l’Europe et du monde. Le sort de la France sera, en fin de compte, déterminé par l’extension de la révolution au-delà de ses frontières.
Ce sont des questions de perspectives pour l’avenir. Nous n’en sommes pas encore là. Pour le présent, le plus important est de combler le vide programmatique actuel et de définir, ne serait-ce que dans ses grandes lignes, un projet de société, une alternative sérieusement réfléchie au capitalisme. Nous luttons au quotidien contre les capitalistes et leurs représentants politiques, mais nous avons aussi besoin d’ouvrir la perspective d’une nouvelle société, une société égalitaire et juste qui ne connaîtra ni exploitation ni misère, une société dans laquelle tous les citoyens, indépendamment de leur couleur, nationalité, sexe, orientation sexuelle ou convictions philosophiques et religieuses, puissent enfin vivre en paix, où l’épanouissement de chacun fera le bonheur de tous. C’est dans ce but que nous soumettons ce texte à une discussion que nous souhaitons aussi large, fraternelle et constructive que possible.
Boris Campos, Gauthier Hordel, Sylvain Roch, Fabien Lecomte, Laurent Gutierrez, Eric Jouen, Rafik Baraket, Allain Duguet, Geoffroy de Villepin, David Noël, Greg Oxley, Manuel Joriatti, Sébastien Roumet, Vinko Markov.