Etats-Unis : Mobilisation de masse contre la violence policière et le racisme

Aux États-Unis, le meurtre de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, aux mains de la police de Minneapolis, a déclenché un mouvement de protestation massif. Des centaines de milliers de manifestants dans plus de 350 villes ont exprimé leur colère face à cette violence policière gratuite. Le policier le plus directement responsable de la mort de George Floyd – ses trois collègues ont participé à l’agression et l’ont laissé faire – s’appelle Derek Chauvin. Il l’a maintenu plaqué au sol en s’agenouillant sur son cou. Pendant près de neuf minutes, George Floyd disait à répétition qu’il ne pouvait pas respirer. Puis il ne bougeait plus. Il ne parlait plus. Et pendant près de 3 minutes encore Chauvin a maintenu la pression sur sa gorge. Pendant ces 12 minutes, des passants lui ont imploré de lâcher prise, lui disant qu’il allait le tuer. Chauvin ignorait leurs supplications.

Initialement, la charge retenue contre Chauvin n’était que pour meurtre « au troisième degré », c’est-à-dire « homicide involontaire » ! Aucune charge n’était retenue contre ses trois collègues. Par ailleurs, le bilan de l’autopsie officielle prétendait que le décès n’était pas une conséquence directe du comportement des policiers. Selon le communiqué du médecin légiste en charge de l’autopsie, il n’y avait pas de « preuves physiques soutenant un diagnostic d’asphyxie traumatique ou d’étranglement ».

La famille de la victime a immédiatement contesté la charge d’homicide involontaire et a fait pratiquer une deuxième autopsie – indépendante des autorités judiciaires, cette fois-ci – qui a déterminé ce qui était déjà, une évidence pour tout le monde : George Floyd a été tué par asphyxie et en conséquence directe de la façon dont Derek Chauvin a plaqué sa tête contre le sol. Le mercredi 3 juin, après une semaine de manifestations, les charges contre Chauvin ont enfin été requalifiées en homicide volontaire, et ses trois complices sont accusés d’homicide involontaire. C’est une première victoire – du moins sur le plan juridique – mais le problème de fond, beaucoup plus difficile à résoudre, reste intact. Ce problème, c’est le comportement brutal et raciste de certains éléments des forces de l’ordre aux États-Unis, comportement qui est lié, bien évidemment, à un contexte politique et historique plus général.

Les circonstances qui ont mené à la mort de George Floyd sont d’une grande banalité. Dans un magasin, il présente un billet de 20 dollars que le caissier considère comme un faux. Suivant le protocole en vigueur, le caissier appelle la police. George Floyd est dans la rue, tout près du magasin. Une caméra de surveillance et les vidéos réalisées par des témoins de la scène montrent clairement qu’il n’oppose aucune résistance à son arrestation. Rapidement il est menotté et – sans la moindre nécessité – plaqué au sol. Savait-il que le billet était un faux ? Nous ne le savons pas à l’heure actuelle. Mais même s’il le savait, cela ne mérite pas la peine de mort.

La police américaine tue beaucoup de personnes, dont un nombre très élevé de Noirs, et depuis longtemps. Le mouvement Black Lives Matter créé en 2013 a attiré l’attention du public et des médias sur le problème du racisme dans les forces de l’ordre et le nombre très élevé de Noirs tués par la police. En 2014, plusieurs mois de manifestations ont suivi le meurtre de Michael Brown Jr. A Ferguson, Missouri.

Et pourtant, le nombre de victimes augmente d’année en année. En 2018, 228 civils ont été tués par la police. En 2019, le nombre de victimes passe à 1099 et dans les trois premiers mois de 2020, déjà, le nombre de morts aux mains de la police est de 228. En moyenne, sur l’ensemble de cette période, 24% des victimes sont des Noirs, alors qu’ils ne représentent que 13% de la population. Sur la période 2013-2019, 17% des Noirs tués par la police n’étaient pas armés, contre seulement 12% des Blancs. Alors que le taux de mortalité par meurtre, pour l’ensemble de la population américaine, est de 5 pour 100 000, il se trouve que le nombre de Noirs tués par la police dépasse ce taux dans 8 villes américaines : 12,1 pour 100 000 à Reno, 8,5 à Oklahoma City, 8 à Santa Ana, 7,0 à Saint Louis City, etc.

Les statistiques nationales indiquent également que le nombre de personnes tuées par la police n’est pas une fonction de la criminalité. Par exemple, à Buffalo, dans l’État de New York, où 50% de la population sont des Noirs avec un taux de crimes violents de 12 pour 1000, la police n’a tué aucun civil entre 2013 et 2019. À Orlando, Floride, avec une population presque identique à Buffalo, un taux de crimes violents de 9 pour 1000, et une moindre proportion de Noirs (42%), la police a tué 13 personnes sur la même période. [Voir https://mappingpoliceviolence.org/] La différence de résultats entre les villes s’explique par des différences de politique et de mentalité. Par exemple, certaines autorités locales exigent que tous les moyens de contrainte soient essayés avant de faire usage d’une arme à feu, alors que d’autres ne demandent qu’une simple sommation avant d’ouvrir le feu.

Donald Trump a annoncé le déploiement possible de « milliers de soldats lourdement armés » pour mettre un terme à ce qu’il appelle des « émeutes ». Dénonçant aussi ce qu’il qualifie de « terrorisme de l’intérieur », il a exigé que les gouverneurs d’État agissent vite pour reprendre le contrôle des rues, en précisant : « Si une ville ou un État refuse de prendre les décisions nécessaires pour défendre la vie et les biens de ses résidents, je déploierai l’armée américaine pour régler rapidement le problème à leur place. »

Trump a personnellement mis ses menaces à exécution le 1er juin, lors d’une manifestation pacifique contre la violence policière. Le rassemblement était devant la Maison Blanche, sur la place qui se trouve entre l’église Saint-Jean et le parc Lafayette. Subitement et sans raison apparente, la Garde Nationale et la police des parcs ont commencé à repousser violemment les manifestants, à coups de matraques et de gaz lacrymogène. Ce n’est que plus tard que le motif de l’agression est devenu clair. Trump voulait se rendre à l’église, suivi d’un groupe de journalistes. S’arrêtant brièvement devant l’église – et les caméras – et brandissant une Bible, il n’a prononcé que quelques phrases : « Nous avons le plus grand pays du monde. Protégeons-le ! » L’attaque contre les manifestants a eu lieu immédiatement après le discours de Trump dans lequel il s’est décrit comme « le président de la loi et de l’ordre et exigé que les gouverneurs se servent des forces de répression pour « dominer la rue ».

Comme partout dans le monde – y compris la France, bien sûr – les pillages et dégradations qui sont parfois perpétrés en marge des manifestations sont exploités par l’administration américaine pour discréditer le mouvement. Certains groupes politiques peuvent applaudir les pillages, sous prétexte que ce sont des enseignes capitalistes qui sont visées. Mais ceci est une attitude insensée, du point de vue du mouvement de protestation. Parmi les policiers, il y a, certes, des éléments racistes et proches de l’idéologie de l’extrême droite américaine. Comme Trump, ils cherchent le moindre prétexte pour se servir de la violence contre les manifestants. Les pillages leur fournissent ce prétexte. Même pour les policiers qui n’ont rien contre les manifestants ou qui se sentent solidaires avec eux, les pillages et dégradations les mettent dans une position difficile. Le droit de manifester, le droit d’assemblée, est un droit constitutionnel clairement défini aux États-Unis, et les policiers doivent protéger les personnes qui l’exercent. Mais lorsqu’il y a des pillages, ils n’ont pas d’autre choix que d’intervenir, dans une situation souvent confuse. Ces derniers jours, les policiers et même des chefs de police ont publiquement proclamé leur solidarité avec les manifestations.

Le dimanche 31 mai, dans la ville de Lexington, dans le Kentucky, les agents de police vêtus en équipements anti-émeutes se sont mis à genoux devant les manifestants, allant dans certains cas jusqu’à leur ouvrir les bras en les embrassant pour montrer leur solidarité. La scène de fraternisation a été filmée et de nombreuses vidéos concernant l’événement sont disponibles sur internet. L’attitude des manifestants était un exemple à suivre, même si la tactique ne marche sans doute pas dans tous les cas. Au lieu de partir de l’idée que tous les policiers sont des racistes ou des « fascistes », ils tendaient une main fraternelle envers eux en les invitant à les rejoindre. Le chef de la police de Lexington, Lawrence Weathers, a été l’un des premiers à se mettre à genoux.

Le jeune militant et artiste hip-hop Devine Carama, qui était parmi les manifestants, interrogé par CNN, a décrit la scène : « C’était beau à voir. De toute évidence, les manifestants étaient là pour protester contre la violence policière et montrer la valeur, à leurs yeux, de la vie des Noirs. C’était comme si les policiers de Lexington voulaient montrer leur solidarité avec les manifestants, au lieu de lancer une bataille. Je ne pense pas que c’était forcément ce à quoi les manifestants s’attendaient. » La fraternisation entre la police et les manifestants à Lexington est loin d’être la seule instance du soutien de la police. À Camden, New Jersey, le chef de police Joseph Wysocki, n’imaginait pas faire autre chose que de marcher coude à coude avec les citoyens : « C’est une communauté. Nous en faisons partie. Ce n’est pas la police d’un côté et la communauté de l’autre. Nous sommes tous ensemble. » Lors de la marche, Wysocki portait une banderole qui se lisait : « À vos côtés en solidarité ! » Des événements du même ordre se sont produits à Santa Cruz en Californie, à Norfolk, Virginie, à Houston, Texas, Coral Gables en Floride, et bien d’autres villes.

Cette immense vague de protestation et de colère contre la violence policière se déferle dans le contexte d’une profonde récession économique qui inflige une autre forme de violence contre les travailleurs américains. Depuis le début du mois de mars, le nombre de chômeurs enregistrés a augmenté au rythme de deux ou trois millions par semaine, pour atteindre actuellement plus 40 millions, c’est-à-dire un travailleur sur quatre. Ce chiffre – déjà énorme – est considéré comme une sous-estimation, parce que beaucoup de travailleurs n’ayant pas droit à des indemnités ne s’enregistrent pas. Le taux de chômage est de 14,7%, mais pourrait atteindre 20% prochainement. Ceux qui ont conservé leur emploi ont, le plus souvent, subi des pertes de revenu. Le virus Covid 19 crée une crise sanitaire, mais la transformation de celle-ci en catastrophe économique et sociale est la conséquence du capitalisme, c’est-à-dire d’une société où le profit est la seule justification de l’emploi. Alors que la Réserve Fédérale achète des titres et obligations à hauteur de 2 000 milliards de dollars afin de maintenir les valeurs boursières, les capitalistes jettent les travailleurs dans la rue par millions.

La question raciale est avant tout une question sociale qui remonte loin dans l’histoire de l’Amérique du Nord. L’esclavage, aboli en 1865 à la fin de la guerre civile, a tout de même jeté son ombre sur toute l’histoire ultérieure du pays. Les Noirs ont formellement obtenu le droit de vote en 1870. Mais dans la pratique, les obstacles dressés devant l’exercice de ce droit n’ont été levés qu’en 1965, et avec la persistance de pratiques discriminatoires, l’égalité sociale n’existe toujours pas. Aujourd’hui, les préjugés réactionnaires contre les Noirs, les Latinos et d’autres minorités sont formulés, encouragés et légitimés par le Président Trump. Mais l’opposition monte en puissance. Les jeunes sont déjà largement acquis aux idées du « socialisme ». Les Noirs sont en révolte contre la discrimination et la violence policière. Sous l’impact dévastateur de la crise sociale et économique, on les verra prendre place dans une lutte sociale et politique plus vaste et plus puissante, qui ne pourra atteindre ses objectifs de justice sociale qu’en mettant fin à l’emprise des grandes corporations capitalistes. L’Amérique socialiste n’est pas qu’un rêve. C’est une nécessité impérieuse pour l’épanouissement et l’émancipation sociale des travailleurs américains.

Greg Oxley, PCF/La Riposte

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