Contre-réforme des retraites, où en est-on, où va-t-on ?

Le piétinement actuel que connaît la lutte que nous menons contre la régression de notre système de retraites est symptomatique d’une culture de la lutte en perte de vitesse dans nos syndicats malgré des bastions encore solides. C’est aussi le revers d’une direction syndicale qui veut dépolitiser le syndicalisme, claire sur les objectifs de la lutte, mais démunie en termes d’alternatives au système capitaliste. Notre atout reste malgré tout l’existence de bases syndicales combatives et résolues, et un Gouvernement aux abois, même plus sûr du soutien du patronat dans son ensemble.

Une mobilisation au milieu du gué

Le mouvement entamé le 5 décembre est inédit, de par sa durée et de par les formes qu’il prend !

Il y a d’abord eu une grève dure et remarquable dans le secteur des transports, cette grève importante fut une petite surprise car, notamment chez les cheminots, la défaite de 2018 était récente et beaucoup s’interrogeaient sur la capacité des cheminots à se relancer dans une grève dure. Pourtant ce fut le cas, avec une intersyndicale large (UNSA et CFDT y ont participé activement malgré leurs directions nationales respectives) et avec des taux de grévistes importants même chez des catégories souvent considérées comme difficiles à mettre en mouvement comme dans l’encadrement. Cette grève a réussi à passer les fêtes de fin d’année, ce qui est en soit extraordinaire ! Malheureusement la grève reconductible n’a pas pris dans d’autres secteurs, du moins pas assez. La CGT n’a pas réussi à faire entrer dans le mouvement de manière massive et reconductible le privé, la participation lors des journées nationales fut importante mais bien peu de secteurs ont été en capacité de « généraliser » la grève, et ceux qui s’y lançaient avait la sensation (injustifiée !) qu’ils n’avaient que peu d’impact et se décourageaient. Cela étant dit, il est notable que la population soutienne encore très majoritairement la mobilisation et les grèves, et qu’elle rejette toujours aussi massivement la contre-réforme !

Le Gouvernement a utilisé le 49.3, et cela a eu pour effet de relancer le rejet des mesures. Et les mobilisations spontanées suite à ce recours démontrent que la combativité des militants reste intacte !

Néanmoins il faut analyser les difficultés qui se font jour. Parce que ce mouvement est inédit et que rien n’est encore joué, il faut en pointer les carences et les points positifs.

Une culture de la lutte en perte de vitesse

Tout d’abord les points faibles. Si l’on ne peut pas reprocher à la Confédération d’avoir était claire dès le début sur le fait qu’il fallait « généraliser » la grève, force est de constater que peu de syndicats ont été en capacité de mettre cette préconisation en œuvre. Cela est un point important, car on ne peut pas reprocher à la direction de la CGT d’avoir freiné la grève, bien au contraire, mais le fait est que la capacité à mener cette grève par les militants est plus faible qu’avant. Seuls les syndicats bien organisés avec une culture de la lutte partagée dans le temps ont réussi, c’est le cas de la fédération des cheminots, de quelques syndicats de territoriaux et de Mines-Energie. Pour les autres, l’organisation d’une simple Assemblée Générale est une épreuve qui leur semble insurmontable ! Beaucoup de syndicats « invitent » leurs collègues à la grève en relayant simplement les mots d’ordre nationaux. Il devient de plus en plus rare de voir de réel piquet de grève, sauf exceptionnellement pour des luttes interne à l’entreprise. Cette incapacité à organiser le débat des salariés pour poser la question de la grève mais surtout de sa reconduction est un réel problème pour notre classe. Pourtant nombre de camarades de la CGT sont volontaires et combattifs, mais ils oublient bien trop souvent que l’important n’est pas simplement leurs investissement mais plutôt notre capacité à faire entrer dans la lutte les collègues ! Mener une grève n’est pas chose aisée, celles et ceux qui prétendent le contraire n’ont jamais eu à en mener !

Pour prendre là où la grève a marché, il faut se rendre compte du travail effectué par les syndicats de cheminots ! Le 5 Décembre, mais surtout la suite, a été préparé longtemps à l’avance, même avant d’avoir une date de départ ! La tradition cheminote fait que le syndicat fait en sorte d’insuffler la colère, l’entretenir et l’orienter vers un objectif en mettant toujours la nécessité de la grève comme moyen ultime d’action. Le fait que les cheminots ont aussi une forte « culture » du service public (il n’y a qu’à voir leurs réactions quand un accident survient, en service ou non ils font tout pour sécuriser et rassurer, même si elles et eux-mêmes sont blessé.e.s) et le travail collectif est important. De plus, en amont du 5 décembre il y a eu ces mouvements dans les technicentres et chez les roulant.e.s avec l’utilisation du droit de retrait qui a renforcé la conviction des salarié.e.s que sans elle et eux rien ne se fait et engrangé encore plus de colère face à leur direction et l’Etat.

En clair, pour que la reconduction d’une grève soit possible, il faut un travail en amont important et une capacité à organiser la grève, notamment par des assemblées générales quotidiennes où chaque salarié.e peut s’exprimer et décider de la reconduction.

Malheureusement ce travail n’a pas été fait partout, et souvent par un manque d’expérience et par des habitudes syndicales trop centrées sur les réunions avec la direction en oubliant trop souvent le lien avec les salarié.e.s. C’est certainement le plus gros problème de l’organisation de la grève générale, le manque d’organisation des syndicats, leur manque de connaissance et de pratique de la lutte interprofessionnelle, l’enfermement dans un « dialogue social » voulant cacher la réalité de la lutte des classes. Mais il y a aussi l’évolution du salariat, la notion de « collectif de travail » et de « culture d’entreprise », par la précarisation, l’atomisation des lieux de production (la mise ne place de structures de production plus petites), tout ça est un frein à l’organisation de la grève, mais un frein qui n’est pas insurmontable loin s’en faut !

Un manque de perspectives politiques

L’autre « frein » à la généralisation de la grève est le manque de perspectives politiques. C’est le plus gros frein à la mobilisation. Intuitivement les travailleur.se.s comprennent que la simple lutte pour éviter la contre-réforme demande de gros sacrifices. Et actuellement elles et ils sont partagé.e.s entre 2 tendances qui ne sont pas celles qui permettront de gagner. Tout d’abord la tendance nait du mouvement des Gilets Jaunes, (nous ne reviendrons pas sur le mouvement des Gilets Jaunes, juste pour dire que ce mouvement est aussi un signe du manque de perspectives politiques !), cette tendance pense qu’il faut bloquer l’économie (c’est déjà un point important) mais par des actions « coup de poing » répétitives et menées souvent avec un groupe. Si l’idée de la grève a progressé chez les Gilets Jaunes, force est de constater qu’elles et ils sont souvent dans l’idée de « blocage », plus que de grève générale ! Ceci est un réel problème, car, si les Gilets Jaunes ont démontré leur combativité, leur abnégation et leur volonté, il n’en reste pas moins qu’elles et ils n’arrivent pas à entraîner avec eux leurs collègues. Leur position est un peu gauchiste car elles et ils misent sur l’action rapide et parfois violente sans vraiment construire au plus large.

L’autre tendance est celle du « parlementarisme », c’est-à-dire que les travailleur.se.s se disent « pourquoi faire grève, on va utiliser notre bulletin de vote ! ». Cette tendance a perdu beaucoup, notamment suite au quinquennat de Hollande, mais elle est encore présente et parfois même parmi des militant.e.s sincères !

Ce qu’il manque cruellement à notre classe, c’est un parti révolutionnaire, avec des perspectives révolutionnaires affirmées et un programme. Le PCF jouait ce rôle avant, mais force est de constater qu’il ne le joue plus, par abandon plus ou moins clair de son caractère révolutionnaire, par des stratégies souvent incompréhensibles (qui laissent penser que les élections seraient l’alpha et l’oméga de tout changement) et une organisation vieillissante qui est encore très présente sur le terrain mais tout de même moins importante qu’il ne le faudrait. Quant à la CGT, elle a abandonné toute « idée » politique depuis un certain temps, considérant que son rôle se bornait à porter des revendications concrètes et immédiates sans faire référence à la nécessité de renverser le capitalisme par une révolution. Ce manque de perspectives est relevé par de nombreux syndicalistes et Gilets Jaunes, laissant augurer d’une réflexion qui se mène et se mènera pour avoir ses perspectives.

Une combativité intacte de la base face à un Gouvernement aux abois

Pour autant, tous ces points négatifs qui font que la mobilisation n’a pas été encore au niveau ne peuvent donner l’issue de la lutte actuelle.

En effet, d’autres points sont, eux, positifs et donnent à voir une possibilité de victoire.

Le premier point c’est la combativité intacte des bases militantes syndicales et d’une partie des salarié.e.s. Ainsi, même si la grève reconductible est arrêtée dans les transports, nombre de travailleur.se.s n’ont pas baissé les bras ni renoncé à la lutte. La motivation, même émoussée par trois mois de lutte, reste bien présente, et rien que cela en soit constitue un point d’appui énorme pour la lutte.

L’autre point positif de notre point de vue est l’attitude du Gouvernement et la réalité de son « pouvoir ». L’utilisation du 49.3 est loin d’être un signe de force, c’est plutôt l’inverse !

Le Gouvernement, conscient que la population reste très majoritairement hostile à sa contre-réforme, a voulu « boucler » le processus parlementaire le plus rapidement possible, en espérant mettre un point final à la lutte. S’il est si pressé, c’est qu’il constate que les mobilisations sont toujours là et que l’impact sur ses amis grands patrons est important et qu’il pourrait s’accroître (pour preuve les cris d’orfraie lors des grèves dans les ports, les usines à l’arrêt pour cause de coupures d’électricité etc.), d’autant plus que la population ne s’est pas retournée contre les grévistes malgré les coups de boutoir des médias. Le Gouvernement veut mettre fin le plus rapidement possible à la lutte, car il a subi déjà une année de Gilets Jaunes, son discrédit est total, les municipales sont déjà considérées comme perdues, alors il lui faut préparer l’avenir pour « regagner » en popularité. Actuellement, seule une petite caste soutient le Gouvernement, même le MEDEF émet des critiques ! Le pouvoir ne tient que par la police et le manque criant d’un parti révolutionnaire.

Quelles perspectives ?

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la crise sanitaire du coronavirus et le déclenchement d’une probable crise financière et donc économique auront des conséquences sur le déroulement de la lutte.

L’intersyndicale tient bon, et a prévu la date du 31 mars comme nouvelle journée d’action. La Fédération des Cheminots réunis en Congrès n’exclut pas de repartir en reconductible, d’autre secteurs se lancent ou se relancent (Radio-France, la culture, l’enseignement supérieur etc.). Rien n’est totalement joué, donc !

Avançons vers cette date, essayons de construire cette perspective politique en pointant la nécessité de se débarrasser du capitalisme !

R.S CGT

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