8 mai 1945 : silence, on massacre !

Par EJ, PCF 76

En mai 1945, alors que la population fêtait la libération, l’armée française assassinait des milliers d’algériens en Algérie. Ces crimes contre l’humanité hantent toujours la République française, la «patrie des droits de l’Homme».

Pour justifier cette répression sanglante, certaines personnalités ont prétendu qu’une insurrection se préparait. Il est exact que des militants indépendantistes pensaient que l’indépendance devrait se gagner par les armes, mais il n’existe aucune preuve d’une quelconque préparation dans ce sens dans la population algérienne ou dans les milieux indépendantistes.

Dans les milieux colonialistes, le régime de Pétain, après 1940, avait été accueilli favorablement, après les menaces qui avaient plané un temps sur la France coloniale à l’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1936.

Lorsque la défaite de l’Allemagne nazie se profilait, les militants algériens ont entrevu l’espoir de voir s’appliquer la Charte de l’Atlantique qui déclare solennellement en 1941 que ” ils [les pays] respectent le droit qu’ont tous les peuples de choisir la forme de Gouvernement sous laquelle ils entendent vivre ; et ils désirent voir restituer, à ceux qui en ont été privés par la force, leurs droits souverains.”. Les partisans de l’intégration du territoire algérien à la France avaient perdu du terrain. Les tendances qui s’opposaient auparavant, ceux qui, tels le Parti Communiste algérien et les “Amis de la démocratie”, soutenaient la participation à l’effort de guerre contre les nazis et ceux qui, tel le Parti de peuple algérien de Messali Hadj, défendait  avant tout l’indépendance des Algériens, se sont alors rapprochées soudainement. 

Tout d’abord espérant l’« égalité dans le cadre d’une souveraineté française », Ferhat Abbas a, face à l’attitude des élites françaises impliquées dans la domination et l’exploitation des colonies, rédigé le “Manifeste du peuple algérien” qui fait allusion à la “nation algérienne”. Ce manifeste avait reçu le soutien du PPA (Parti du Peuple Algérien de Messali Hadj) et des oulémas.

Du côté du gouvernement français, l’ordonnance du 7 mars 1944 du Comité français de la libération nationale ordonne que tous les Français musulmans d’Algérie jouissent de tous les droits et sont soumis à tous les devoirs des Français non musulmans…mais déclare, en fin d’ordonnance comme  citoyens français un nombre limité d’algériens, dans les faits environ 65 000 personnes. La France accorde quelques droits à une population qui aspire à une émancipation mais sa domination sur l’Algérie n’est pas remise en cause dans le fond.

Le 14 mars 1944, Ferhat Abbas pour les autonomistes, Cheikh Bachir El Ibrahimi pour les oulémas et Messali Hadj pour les indépendantistes du PPA s’unissent en “Amis du Manifeste et de la liberté (AML)”. Une propagande est mise en œuvre afin de saper la légitimité du pouvoir colonial. La jeunesse, dans les principales villes, se montre sensible à ces arguments et peu à peu des signes de désobéissance se multiplient. La peur s’installe alors chez les colons européens et les juifs algériens car disposant d’un  statut spécial, et des groupes armés se constituent.

En avril, certains activistes nationalistes, dont le DR Mohamed Lamine Debaghine, avancent l’idée d’une insurrection pour libérer l’Algérie. Certains ont même pensé à appeler au djihad, espérant jouer sur la corde religieuse. Mais cela n’a abouti à rien. Du côté des autorités françaises, le secrétaire du gouverneur général Pierre-René Gazagne  mène un complot qui consiste à infiltrer le PPA notamment et à pousser les Algériens à passer à l’action. L’objectif est de les pousser à la faute pour leur permettre en réaction d’arrêter les leaders, et de faire peur au peuple pour très longtemps.

A la suite d’incidents mineurs, Messali Hadj est accusé de sédition et est déporté à Brazzaville le 25 avril 1945, sa seule présence sur le sol algérien étant jugée trop dangereuse. La suite est prévisible car l’émotion est vive dans la population algérienne. Le PPA , pour le 1er mai, organise ses propres manifestations, qui se veulent pacifiques et sans armes. Mais à Alger et à Oran, la police et des Européens tirent sur le cortège et il y a plusieurs morts, de nombreux blessés et des arrestations.

Le 8 mai 1945, à Sétif, les AML et le PPA organisent la manifestation et donnent comme consigne de rappeler pacifiquement à la France les revendications du peuple algérien. Cependant, il n’y a jamais eu ce jour là une quelconque organisation d’insurrection . Dès 8 heures, la manifestation est importante et derrière les 4 drapeaux alliés défilent 6000  à 7000 personnes. Mais, au moment où les manifestants arrivent dans le quartier européen apparaissent des pancartes “Nous voulons être vos égaux”, “Libérez Messali”, “A bas le colonialisme”, “Vive l’Algérie indépendante”… Des femmes poussent des youyous et devant les scouts qui chantent en tête de cortège un cinquième drapeau apparaît : celui du PPA, qui deviendra par la suite le drapeau de l’Algérie.

Le sous-préfet donne l’ordre au commissaire de barrer la route à la manifestation et de se saisir des pancartes et du drapeau. Les algériens refusent et dans la bousculade un jeune algérien qui ramasse le drapeau est abattu par un policier, et la foule est prise de panique par des rafales de mitraillette. En quelques heures,  il y a 28 morts et 48 blessés chez les Européens et de 20 à 40 morts et de 40 à 80 blessés chez les Algériens. 

Le mouvement s’étend au monde rural, où des Algériens veulent venger leurs frères qui sont tombés. A Guelma, c’est le sous-préfet en personne, André Achiary, qui ouvre le feu sur les manifestants. Le secrétaire des AML est tué lors de la charge des policiers et des coups de feu sont tirés des maisons sur les manifestants, faisant plusieurs morts et blessés. Alors qu’une garnison existait à Guelma, Achiary officialise une milice dans laquelle se précipitent de nombreux Européens, que l’on arme aussitôt. Les arrestations brutales, les pillages, les humiliations et les exécutions sommaires de la milice déclenchent la vengeance contre les colons des environs. L’armée intervient et la violence va en augmentant : l’aviation est utilisée contre les rassemblements et la marine bombarde de la côte des villages soupçonnés d’abriter des rebelles. Dans la région de Bougie, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller et déclarer :”Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien.”.

Il est difficile de connaître le nombre de victimes. Le général Tubert, chargé de l’enquête, est rappelé dès le lendemain par les autorités françaises. Des fours à chaux seront utilisés pour éliminer les cadavres et les corps sont ensevelis dans des fosses communes. On peut toutefois estimer que pour 102 morts européens, il y a eu entre 8000 et 54 000 morts algériens.

Les conséquences politiques de ce mois de mai 1945 ont été un vrai séisme. En France, l’Humanité avait qualifié les chefs nationalistes de « provocateurs à gages hitlériens » et réclamé que « les meneurs soient passés par les armes » . Son changement d’attitude ultérieur, favorable aux mouvements nationalistes dans les colonies, n’enlèvera pas tout à fait cette tache. En Algérie, on retrouvera les activistes à la tête du Front de Libération Nationale le 1er novembre 1954. Les massacres perpétrés par les autorités françaises ont été déterminants dans l’évolution des idées des mouvements politiques algériens. La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945.

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