Afrique : l’exploitation par la dette

La dette extérieure des pays africains s’élève à 413 milliards de dollars, ce qui correspond à un taux d’endettement moyen de 24%  par rapport aux richesses produites (PIB), contre 85,9% pour les pays européens au 1er trimestre 2013 , dont certains pays surendettés dans un contexte de crise et donc de ralentissement mondial de la croissance.

Depuis plusieurs sommets des pays du G8, des demandes de réduction et/ou d’annulation de la dette des pays africains les plus pauvres sont déposées auprès des institutions financières internationales (FMI et Banque Mondiale principalement), dans lesquelles la représentation des pays africains est sans influence effective. Les Etats-rentiers dominants de la planète condescendent ainsi à se porter au « chevet » de l’Afrique, de manière pseudo généreuse.

L’exploitation des pays africains par la dette est d’abord économique

Ce que montre l’histoire catastrophique de sa constitution, de même que sa gestion internationale actuelle. Pour rappel, la charge de la dette de ces Etats-débiteurs, a connu une très forte augmentation, source de crise, à partir du rehaussement à la fin 1979 des taux d’intérêts par la réserve fédérale américaine, en tant que taux directeurs. De fait, pour l’ensemble des pays en voie de développement (PED), en 2010, si l’Aide Publique au Développement (APD) a été de 130 milliards de dollars, le service de la dette a représenté 180 milliards de dollars et le rapatriement des profits des multinationales 647 milliards de dollars, les PED s’avérant en fait être les créanciers nets des pays développés !

C’est donc le G8 qui dicte ses conditions dans le traitement de la dette des pays africains, via les programmes de ses auxiliaires bureaucratiques, FMI et Banque Mondiale (BM), ainsi légitimées. C’est pourquoi a été instaurée depuis 1996 l’Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), renforcée en 2000 dans le cadre de la réalisation du 8ème des Objectifs du Millénaire pour le Développement de l’ONU, visant à réduire de moitié la pauvreté́ entre 1990 et 2015. Depuis 1999, les Documents de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP), fonctionnant comme des Plans d’Ajustements Structurels (PAS) adossés à la réduction de la dette, formalisent de manière « participative », partenariale, dans le cadre d’une gouvernance de coopération et de copilotage avec FMI et BM, les programmes économiques, structurels et sociaux qu’un pays mettra en œuvre pour sa croissance et réduire la pauvreté,́ conditionnant l’octroi de crédits et l’allègement de leur dette. Les DRSP (concernaient 157 pays en février 2012) internalisent jusque dans les sociétés civiles ces programmes, les sommant d’y « participer » et de s’approprier les prescriptions d’un capitalisme mondialisé, seul horizon ainsi autorisé au titre même du « développement humain » et « durable ». C’est pourquoi les sommes dégagées devront être consacrées à la santé, à l’éducation et à la réduction de la pauvreté, domaines dont les dégâts sont justement produits par une marche forcée vers le capitalisme mondialisé (fiscalité et partition capital/travail favorables aux rapatriements des profits des multinationales et sources de déficits budgétaires des Etats etc.).

Les réexamens périodiques des DRSP par le FMI évalueront la responsabilité intérieure et extérieure attendue sur le plan économique et social capitaliste. La misère de fait des populations ne relève dès lors que de la responsabilité exclusive des gouvernements et des populations. Les institutions internationales affichent pour cela idéologiquement des objectifs pacifiques de développement humain illusoires dans le cadre du capitalisme : 48% de la population en Afrique vit dans une « extrême pauvreté », 72% des jeunes y vivent avec moins de 2 dollars par jour ; selon les pays, 10% des plus riches contrôlent entre 25 et 50% des revenus, la population d’Afrique subsaharienne comprenait 30% d’affamés en 2010  et 40% de la population globale n’a pas accès en 2013 à une eau potable et salubre .

Quarante-neuf pays en 2012 sont considérés comme des PPTE à travers le monde, dont trente-neuf éligibles à l’initiative que le FMI et la Banque Mondiale ont mise en place.

32 de ces pays se trouvent en Afrique subsaharienne, et sont susceptibles de bénéficier d’un allégement de la dette (c’est déjà le cas notamment du Bénin, du Burkina Faso, du Burundi, du Togo ou de la Zambie), avec des critères d’octroi : bonne gouvernance, lutte contre la corruption et la fraude, ouverture de l’économie, libéralisation des échanges commerciaux, etc. Ces politiques ont bien permis de réduire de 53,30% le ratio dette publique/PIB en %, ratio de 34,3% en 2013 pour les Etats jugés fragiles et inscrits à l’initiative PPTE, contre 69,7% pour ceux reconnus comme fragiles mais non inclus à cette initiative (ratio de 34,20%  en Afrique subsaharienne).

Comme l’analysait le marxiste Ted Grant, le constat d’insolvabilité des pays PPTE ne conduit, grâce à ces « généreuses » mesures d’annulation de dettes, qu’à un transfert de charges des banques vers les gouvernements et leurs contribuables. Ceci permettra aux banques à l’avenir d’escompter reprivatiser de nouveaux surprofits plus assurés.

Dorénavant, la gouvernance impérialiste prête bien aux pauvres, mais en les maintenant dominés, c’est-à-dire intériorisant jusque dans leur société civile leur soumission, en bons élèves opportunistes du capitalisme, grâce au classement par le FMI des pays selon leur vulnérabilité en matière d’endettement. Le Mozambique est ainsi présenté depuis peu par le FMI comme le nouvel élève prometteur. C’est au prix de mesures d’assujettissement souverainement consenti par les Etats sur le dos de leurs peuples, que s’opère le financement sans fin des dettes des Etats selon les bulletins de notes du FMI, inféodant les débiteurs au système économique mondial, à son ordre et à ses règles : fin aux secteurs protégés, production agricole d’exportation, défiscalisation source d’inégalités et de perte de recettes pour l’Etat, privatisations, « partenariats » publics-privés, etc. L’Etat ordonnateur se fait alors bien aussi la voiture-balai du capitalisme.

Mais l’exploitation par la dette se fait aussi de manière croissante par les marchés financiers.

Bénéficiant dans un 1er temps de taux d’intérêts attractifs, certains pays comme le Rwanda, la Tanzanie ou la Zambie (1 milliard de dollars levés en avril 2013 au taux de 8,63% contre 5,63% en 2012) ont emprunté sous forme d’eurobonds, emprunts obligataires internationaux en dollars, malgré le surcoût comparatif par rapport aux bailleurs habituels et aux émissions d’eurobonds des pays européens (rendements à moins de 2%). Le prêt, plus risqué pour les pays africains, est attractif pour les marchés financiers et contribue au « climat des affaires », cher au FMI. Il génère de nouvelles dettes et dépendances dans l’approvisionnement en devises pour les rembourser et des risques de spéculation par des « fonds vautours », etc.

La dette des pays africains est ainsi corrélée aux exportations, aux balances commerciales et des paiements entre pays débiteurs et créanciers.

C’est ce qu’illustre la Chine, avec sa dépendance vis-à-vis des matières premières africaines, l’ouverture des marchés intérieurs africains aux produits chinois et l’énorme endettement des pays africains à son égard, la Chine leur prêtant davantage que la Banque Mondiale.

Comme l’avait analysé Lénine, le capitalisme en régime impérialiste  ne repose plus seulement sur la construction de monopoles industriels et commerciaux, mais aussi prioritairement sur la constitution de monopoles bancaires à partir de l’exportation de capitaux. Ceci se réalise par et pour le profit d’une minorité accaparant le pouvoir (oligarchie financière), véritable 5ème colonne instituée et anti-démocratique pour tous les peuples, dominatrice à l’échelle mondiale, tandis qu’à l’exportation de ses capitaux viennent s’indexer les exportations commerciales. Le contrôle des territoires économiques et zones d’influence conduit politiquement au partage économique du monde selon les intérêts de classe impérieux qui y dominent.

Aujourd’hui, l’industrie bancaire attend des profits importants en Afrique, recherchant le redressement de ses réseaux internationaux depuis la crise de 2007, compte tenu d’une moindre rentabilité en Europe dont la réglementation a pourtant à peine été accrue (Bâle III). Ces capitaux investis dans la dette africaine sont l’occasion de surprofits pour les capitalistes financiers et mettent en concurrence la classe ouvrière à un niveau international, sur d’autres bases de répartition entre capital et travail, au détriment de ce dernier.

L’exploitation de l’Afrique par la dette apparaît comme faisant l’objet d’un véritable travail d’imposition idéologique pour défendre les intérêts de la classe capitaliste, la construction hégémonique d’un point de vue dominant jusqu’à l’évidence subjective (économique, culturelle et même morale). Ceci vise à faire croire communément comme allant de soi que l’ampleur accumulée de la dette des pays africains est le produit d’un relâchement coupable, amalgamant leurs gouvernants et leurs gouvernés, en les divisant selon un ordre de mérite et démérite gestionnaire et moral traduisant un archaïsme, voire un obscurantisme, qui doivent être réformés au nom de la Modernité et du Progrès. Cette exploitation conjure et rend impensable toute velléité internationale alternative à l’impérialisme mondialisé, à commencer par l’annulation souveraine d’une dette foncièrement indue.

Une profonde « dette » vitale et émancipatrice apparaît finalement à l’égard cette fois-ci des pays africains. C’est celle enjoignant les prolétaires du monde entier à lutter pour l’annulation inconditionnelle de toute dette qui ne profite qu’aux classes et Etats dominants de l’impérialisme capitaliste, et de ses institutions de contrôle.

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Olivier T. PCF Paris 18

 

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