Kobané : la Turquie sacrifie les Kurdes

L es événements se déroulant dans la ville kurde syrienne de Kobané, assaillie par l’Etat islamique (EI) depuis le 16 septembre, sont le théâtre de violents affrontements. Les Kurdes du YPG (unités de protection populaires), la branche armée de PYD (Parti de l’Union Démocratique) liée au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), font face aux assauts incessants  de l’EI sous le regard impassible de son voisin situé à quelques kilomètres, la Turquie.

Depuis le début du conflit dans la région, des milliers de réfugiés ont fuit les zones de combats de la Syrie vers la Turquie. Mais si la Turquie accepte de recevoir des réfugiés pour les parquer dans des camps, les frontières étaient totalement fermées pour quiconque voulant passer en Syrie. L’armée était disposée le long de la frontière, observant Kobané se faire massacrer, et la police réprimait sévèrement toute personne voulant prêter main forte au YPG combattant l’EI. Officiellement, la Turquie aurait légèrement assoupli ces restrictions récemment, mais sans que cela ne change grand-chose sur le terrain. Rien de surprenant dans cette attitude de la Turquie qui voudrait voir tomber Kobané aux mains de l’EI pour en finir avec la résistance kurde. Cela fait 40 ans que les Kurdes sont en conflit avec la Turquie pour la reconnaissance de leur peuple. La solidarité kurde qui s’instaure sous l’impulsion notamment du PKK turc ne peut que rencontrer l’extrême hostilité du gouvernement Erdogan, le président turc, qui voudrait en finir définitivement avec le PKK organisateur de la résistance kurde. Il bloque ainsi toute tentative des Kurdes pour passer la frontière turque afin de ravitailler Kobané en armes.

Kobané – administrée notamment par le PYD depuis le retrait des troupes de Bachar el-Assad en 2012 – est le symbole de l’émancipation kurde.

Cette ville est donc un épouvantail aux yeux d’Ankara. La seule volonté de la Turquie est de donner une sévère leçon à cette résistance et cela passe par une passivité extrême face à l’EI et surtout aucun soutien d’aucune sorte aux Kurdes. Cette situation est la preuve que la Turquie est l’allié objectif de l’EI. La résistance kurde est le principal ennemi pour Erdogan. Là se trouve le nœud du problème. Les foyers de résistance kurde du PKK et du YPG sont considérés comme une menace pour la stabilité politique de la Turquie. Les minorités kurdes de Turquie ont manifesté dans les grandes villes pour dénoncer la passivité du gouvernement face au massacre de Kobané. La répression ne s’est pas faite attendre. Il faut étouffer le feu avant qu’il ne se propage au reste du pays et ne prenne des proportions trop importantes. On compte à ce jour une trentaine de tués lors d’affrontements entre des manifestants et la police. Des groupes islamistes turcs sont également intervenus contre les manifestants. Les tensions qui s’exercent dans la région ravivent de façon aigüe le problème kurde et plus particulièrement le problème avec le  PKK.

Dans ces circonstances, Erdogan frappe fort en décidant de faire bombarder des positions du PKK dans le sud-est du pays pour mettre fin à un soulèvement contre l’armée turque, en signe de protestation face à l’immobilisme « stratégique » du gouvernement. Cet événement met  à mal le processus de paix engagé il y a deux ans entre la Turquie et le PKK, processus qui par ailleurs ne faisait pas beaucoup de concessions pour le PKK. Les combattants du PKK ont momentanément désarmé mais son chef historique Abdullah Öcalan reste toujours emprisonné depuis son arrestation en 1999, le PKK étant considéré comme une organisation terroriste par la Turquie. Il n’y a bien évidemment rien à attendre d’Erdogan et de la classe dirigeante turque. Son processus de paix n’est qu’un leurre pour duper les dirigeants du PKK. Erdogan s’entend par contre très bien avec les Kurdes d’Irak : les affaires y sont juteuses, notamment en ce qui concerne le pétrole.

Ce n’est pas le premier coup d’essai contre Kobané. Durant l’hiver 2012-2013, Erdogan avait missionné le Front al-Nosra, groupe islamiste, depuis la frontière turque. Les groupes islamistes quels qu’ils soient seront toujours soutenus par les forces impérialistes et leurs alliés quand il s’agit de réprimer ceux qui remettent en cause leur domination. D’ou viennent les ressources financières et militaires de l’EI ? Elles viennent des puits de pétrole qu’ils contrôlent dans le nord de l’Irak. Ils écoulent ainsi cet or noir à travers un réseau de contrebande, dont des pays européens sont d’ailleurs clients, à des prix défiant toute concurrence. Le baril est vendu entre 30 et 40 $ contre environ 96$ au prix du marché. L’équipement militaire vient quant à lui en grande partie de l’armée irakienne – qui lui-même vient de l’armée américaine – qui s’est retirée, laissant tout son arsenal militaire dans les mains de l’EI. Ce qui leur permet de pilonner les miliciens de l’YPG à coup d’armes lourdes. L’argent vient également de riches donateurs des pays du golfe. Officiellement les pays du golfe comme l’Arabie Saoudite sont des alliés de la coalition occidentale et donc censés lutter contre l’EI. Le fait que l’EI soit financé en partie par les capitalistes saoudiens montre bien de quel côté se situe l’EI : non du côté des peuples mais du côté des capitalistes, des exploiteurs. Ces pays du golfe jouent finalement un double jeu : alliés des impérialistes américains, français et anglais mais continuant à financer en souterrain les réactionnaires fondamentalistes.

La classe ouvrière n’a bien évidemment aucun intérêt à se ranger du côté de l’EI.

Leur seul but est d’en finir avec toute avancée sociale, éducative ou démocratique. Il leur faut donc en finir avec tout ce que représente Kobané.  Cependant si l’EI est une infâme organisation contre-révolutionnaire, cela ne signifie pas qu’il faille se tourner vers l’OTAN. Les pays membres de l’OTAN n’œuvrent que dans leurs intérêts, qui ne sont pas ceux de la classe ouvrière mais ceux de la classe capitaliste des pays membres. Toute intervention de l’OTAN est toujours motivée par des considérations économiques et stratégiques et non sur des critères « démocratiques ». Les impérialistes n’hésitent pas à armer des groupes qui deviendront peut-être leurs ennemis de demain mais qui peuvent servir leurs intérêts immédiats. Les « talibans » en sont le parfait exemple : armés par les Etats-Unis pour servir la lutte, les talibans deviendront par la suite l’ennemi de la « démocratie et de la liberté », justifiant ainsi l’invasion de l’Afghanistan.

L’attitude de Washington, de Londres, de Paris ou de Berlin n’est que pure hypocrisie. Du point de vue militaire, l’aide apportée aux combattants de Kobané n’est clairement pas à la hauteur de la situation. Tout est fait pour laisser pourrir la situation, tout en versant des larmes de crocodile sur le peuple subissant le massacre. L’hypocrisie de Laurent Fabius n’est plus à démontrer : « Tout doit être fait pour que les terroristes de Daesh soient stoppés puis repoussés ». La vérité, c’est que les impérialistes ne veulent pas froisser la Turquie mais d’un autre côté ils subissent la pression de l’opinion publique internationale. En échange d’une intervention militaire, la Turquie exige une zone tampon sur les territoires situés à la frontière, ce qui revient à dire que la Turquie demande aux Kurdes d’abandonner les territoires qu’ils administrent et de les laisser sous leur contrôle. Ainsi sous couvert de lutte contre le terrorisme, Ankara reprend le contrôle des zones kurdes syriennes. Ce qui arrange les membres de la coalition. Ils montrent leur volonté d’un côté de combattre le « terrorisme » et de l’autre cela leur donne la possibilité d’en finir avec les groupes kurdes considérés comme trop à gauche.

Le mouvement ouvrier international doit lutter pour qu’on permette aux milices de l’YPG de se ravitailler en armement, pour qu’elles puissent se défendre par leur seule force, comme elles le font depuis le début.

Si la situation actuelle devait perdurer, les habitants de Kobané seront probablement livrés à un massacre, les impérialistes en seront complices. Le mouvement ouvrier international doit être solidaire de leur combat. C’est leur seul véritable ami. L’OTAN n’a aucune intention et aucun intérêt à pérenniser la situation des Kurdes syriens de Kobané, et nous n’avons rien à attendre de l’intervention impérialiste. Leur passivité n’a fait que démontrer qu’ils n’avaient aucune intention de les sauver.

De manière générale, tant que le système capitaliste sera en place, la situation sera toujours chaotique. Il existera toujours une classe qui en exploitera une autre et cela quelle que soit la religion, chrétienne, sunnite ou chiite, et quels que soient les peuples, turcs, kurdes, syriens ou saoudiens. En définitive, la résolution des conflits dans cette     région et l’aspiration à la démocratie et à la liberté des Kurdes ne peuvent passer que par le renversement du système capitaliste  par la classe ouvrière. L’unité des travailleurs, indépendamment des différences de religion ou de nationalité est la clé de l’émergence d’un mouvement révolutionnaire capable de la tâche historique qui lui incombe. Il n’y a pas de différence fondamentale entre un travailleur turc et un travailleur kurde. L’unité de ces deux peuples face à Erdogan et au capitalisme qui les opprime est essentielle pour que les  revendications nationales et démocratiques du peuple kurde puissent aboutir.

Chaque rassemblement, chaque collecte, chaque action du mouvement ouvrier international en faveur des kurdes est la preuve que la solidarité internationale est possible. Il faut l’organiser et l’amplifier. Nous devons soumettre la politique de l’OTAN et de la Turquie à une critique implacable : ils sont les ennemis des travailleurs turcs, kurdes, irakiens, syriens… Erdogan doit sentir la pression internationale, c’est le seul moyen pour pouvoir venir en aide à Kobané, en obligeant la Turquie à ouvrir ses frontières et permettre le ravitaillement en armes des combattants des YPG et du PKK.

Gauthier Hordel

PCF Rouen

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