Ce texte est la suite de la première partie du texte Perspectives et tâches révolutionnaires
L’extrême droite, régionalisme, nationalisme
La « crise bretonne » de novembre 2013 nous a donné un aperçu de ce qui pourrait se reproduire à l’avenir, mais à une échelle bien plus massive. Si de nombreux manifestants à Quimper ne faisaient pas de distinction nette entre leurs propres intérêts et ceux des patrons, cela s’explique précisément par le fait qu’ils n’étaient pas, dans leur immense majorité, des manifestants « habituels ». Ce fut un développement extrêmement important. L’immaturité politique de ces travailleurs, mobilisés aussi massivement, n’était pas un signe de « réaction », mais au contraire une indication que la crise économique est en train de produire une instabilité sociale de plus en plus profonde. Les réserves électorales dont dispose le Front National sont elles aussi une conséquence du déclin économique et du désespoir de larges masses de travailleurs.
Si nous voulons participer activement et consciemment dans la révolution pour lui conférer un caractère communiste, nous devons nous attendre à ce que toutes sortes d’idées et d’aspirations fassent surface de façon plus ou moins chaotique et même à l’émergence, en marge des forces sociales décisives de la révolution que seront les travailleurs des secteurs clés de l’économie, d’idées et de revendications confuses, voire réactionnaires. Il est fort possible, par exemple, que de nombreuses émeutes éclatent, notamment dans les quartiers les plus pauvres et dévastés des grandes villes, dont certaines pourraient se revêtir de revendications religieuses ou de haines raciales. Le chômage et la pauvreté ont créé un terrain favorable à des « replis identitaires » et à des tensions parfois violentes entre les communautés. Ces tensions ne vont pas se dissiper immédiatement, et constitueront une source possible de division et de confusion.
Les drapeaux sous lesquels les masses se mobilisent initialement n’ont pas nécessairement une grande importance. A condition d’avoir préalablement créé un pôle d’attraction marxiste dans le mouvement ouvrier, ce ne seront que les couleurs temporaires d’une révolution qui couve. L’émergence de tendances « réactionnaires » parmi les couches les plus opprimées et désespérées de la population caractérise les phases initiales de toutes les révolutions du passé, sans exception. La Grande Révolution de 1789-1794 a commencé par des mobilisations du « menu peuple » sous les mots d’ordre de la noblesse aristocratique dans sa lutte contre la monarchie. Les « libertés » que le peuple était sommé de défendre étaient les privilèges de la noblesse. Mais en l’espace de trois ans, la noblesse et la monarchie ont été renversés. A la même époque, la révolution des esclaves de Saint-Domingue, menée à une conclusion victorieuse par Toussaint Louverture et Dessalines, a commencé sous le drapeau du roi de France. La révolution russe de 1905 a commencé par une manifestation ouvrière encadrée par des prêtres et portant des icônes religieuses – avant de se transformer en insurrection révolutionnaire.
C’est le « réformisme sans réformes » des dirigeants du mouvement ouvrier qui ouvre la voie au Front National, dont les résultats des élections municipales et européennes confirment l’implantation électorale. Clairement, sa base sociale s’élargit. La montée du Front National est une expression de l’exaspération des travailleurs, face au chômage de masse, à la hausse des prix, des loyers, ainsi que les taxes de toutes sortes, alors que les revenus des ménages baissent. L’Etat ne peut plus protéger la population des conséquences sociales de ce déclin. Tous les travailleurs ne sont pas pauvres. Mais tous, pratiquement, sont en train de s’appauvrir. La nécessité d’un changement radical de « système » fait son chemin dans les esprits. En l’absence d’une alternative révolutionnaire portée par une force « de masse » – c’est-à-dire visible et audible pour la masse de la population – l’opposition au « système » prend la forme du nationalisme chez bon nombre de travailleurs. Ils comprennent que l’Union Européenne n’est qu’une vaste machine bureaucratique au service des banques et des puissants., et ils n’en veulent plus. Il en va de même pour les institutions gouvernementales. La force du Front National réside dans le fait qu’il est perçu comme un parti en dehors de la « classe politique » actuelle et radicalement opposé à l’Union Européenne. Les conséquences sociales du capitalisme ont provoqué une radicalisation des travailleurs. Mais cette radicalisation ne se traduit pas nécessairement par un renforcement des partis de gauche. Sur le plan électoral, il a profité exclusivement au Front National.
L’idée selon laquelle le succès du Front National serait la conséquence des listes communes entre le PCF et le PS aux municipales – comme par exemple à Paris – exprime une vision superficielle des choses. Le problème qui se pose est bien plus ancien et bien plus grave. Depuis longtemps, la direction du PCF s’est dissociée des origines marxistes et révolutionnaires du parti. De « mutation » en « modernisation », elle a expurgé de son programme tous les éléments qui le rattachaient à ses origines, pour en faire un parti réformiste qui prétend pouvoir atténuer les conséquences sociales, et améliorer le fonctionnement du capitalisme. Or, la crise du système actuel est en train de broyer toutes les conquêtes sociales du passé. Les conditions de vie des travailleurs se dégradent. Il faut trouver une solution. Une masse grandissante de travailleurs et de jeunes ne veut plus attendre, ne peut plus attendre. Sur la base d’une politique révolutionnaire audacieuse – à l’inverse du réformisme insipide – s’attaquant directement à la propriété capitaliste, le mouvement ouvrier aurait pu et pourrait encore rallier à sa bannière une couche plus large de militants ouvriers et de jeunes et s’enraciner plus massivement dans les entreprises, dans les quartiers populaires, dans les universités. Mais le réformisme paralyse le mouvement ouvrier. L’absence d’une alternative au capitalisme, défendue et propagée par une force reconnue et massive – et pas seulement par de petits groupements marginaux – favorise le Front National et la réaction en général. Il est fort possible que le Front National passe au deuxième tour de la prochaine élection présidentielle. En définitif, deux perspectives possibles se dessinent pour la France. Ou bien le mouvement ouvrier parviendra à se libérer de son carcan réformiste, renouant avec les idées du marxisme révolutionnaire et internationaliste, ou bien ce seront les forces réactionnaires qui vaincront. Il n’y aura pas de « troisième voie ».
Le besoin d’une direction révolutionnaire
Pour des observateurs bourgeois, l’action révolutionnaire des masses est toujours aveugle, instinctive ou « spontanée ». Il arrive que des marxistes reprennent cette même idée. Cependant, un mouvement révolutionnaire n’est jamais l’œuvre de « travailleurs » dans l’abstrait, mais de travailleurs réels, en chair et en os, qui cherchent consciemment et en permanence à comprendre les implications, les opportunités et les risques de chaque conjoncture de la lutte. La révolution, même dans ses premières phases, ne sera pas « spontanée ». Tous les mouvements – petits ou grands – des travailleurs sont dirigés d’une façon ou d’une autre par les éléments les plus résolus surgis de leurs rangs. Il en sera ainsi, à une (plus) échelle bien plus grande, dans la révolution future.
Cependant, l’expérience de tous les épisodes révolutionnaires dans l’histoire du prolétariat international nous oblige à reconnaître le fait suivant : alors que la capacité d’action et l’intelligence des masses, sourdement accumulées dans la période préalable à la révolution, peut suffire à ébranler l’édifice de l’ordre ancien et à mettre la victoire à leur portée, elles ne suffisent pas à assurer le renversement de cet ordre. Notre révolution, comme toutes les révolutions, aura son « aile gauche » – dont un élément marxiste organisé – et son « aile droite », avec, entre les deux, un éventail de tendances intermédiaires. Dans la première phase de la révolution, la masse des travailleurs ne fera pas de distinction entre ces tendances différentes, tout comme, au début de la révolution russe, les travailleurs et les soldats ne faisaient pas de distinction entre « bolcheviks » et « mencheviks ». Il leur suffira de distinguer ceux qui sont – ou qui paraissent être – « de leur côté » et ceux qui ne le sont pas. Ce n’est que sur la base de l’expérience de la révolution que la véritable nature des différentes tendances en présence pénétrera la conscience des masses. Mais encore faut-il que la présence des forces du marxisme soit suffisamment forte pour que les masses puissent les mettre à l’épreuve. Ce facteur déterminera le sort de la révolution.
L’élément marxiste du mouvement ouvrier ne peut pas s’improviser dans le feu de l’action. Les bases théoriques et pratiques de la future direction révolutionnaire doivent être consciemment développées dans la période préalable, au cœur du mouvement ouvrier et en rapport direct avec les luttes en cours. Cela signifie que le noyau essentiel de cette direction doit avoir réussi, dans la période préalable à la révolution, à s’enraciner dans le mouvement ouvrier – et cela veut dire, concrètement, dans la CGT et le PCF, qui, à ce stade, constituent le socle de la classe ouvrière organisée.
Notre travail politique peut et doit se déployer dans différents domaines – chez les étudiants, chez les lycéens, dans des campagnes électorales et mobilisations diverses. La flexibilité tactique est indispensable dans le travail des révolutionnaires. Mais il ne faut jamais perdre de vue le fait que ce sont les résultats de notre travail en termes d’implantation des idées, de la théorie, du programme et du personnel militant du marxisme dans le mouvement ouvrier dans la période pré-révolutionnaire qui décideront de l’issue de la révolution elle-même. Si, pendant les phases successives de la lutte engagée, le mouvement ouvrier ne parvient pas à se doter d’une direction authentiquement marxiste et révolutionnaire, composée d’éléments éprouvés dans la lutte et ayant consciemment assimilé les leçons théoriques et pratiques du passé, la révolution sera perdue.
Relations entre les classes
La prochaine révolution se déroulera dans un contexte social radicalement différent des époques révolutionnaires précédentes. Dans le passé, la bourgeoisie avait une assise sociale solide dans la petite bourgeoisie urbaine et rurale. La paysannerie formait une vaste réserve au service de la réaction capitaliste. Le soulèvement prolétarien de 1848 fut condamné d’avance à la défaite. La Commune de 1871 a été écrasée, elle aussi par des « paysans en uniforme » excités contre les « partageux » parisiens. En 1935, la paysannerie constituait encore 50% de la population active. Mais à notre époque, elle n’est plus qu’une toute petite minorité. Environ 86% de la population active sont des salariés. L’ensemble de la population que l’on pourrait grossièrement qualifier de « rurale » constitue peut-être 13% de la population totale, et la majorité de ses actifs (9 sur 10, environ) est composée de travailleurs salariés.
Ainsi, en milieu urbain comme en milieu rural, le salariat moderne assure pratiquement toutes les fonctions essentielles de l’organisme social. Il n’a jamais été aussi prépondérant, ni aussi homogène. La tentative de la part des théoriciens réformistes de justifier leur ralliement au capitalisme par l’affaiblissement de la classe ouvrière ne correspond à aucune réalité. Il est vrai que d’anciennes concentrations d’ouvriers – dans les charbonnages, la sidérurgie etc. – ont été désintégrées, mais il existe des équivalents modernes où les travailleurs, de par la place qu’ils occupent dans l’économie nationale, possèdent un pouvoir énorme. C’est le cas, par exemple, des travailleurs dans les ports et aéroports, dans les chemins de fer et les transports routiers, dans les énergies et les communications, l’agroalimentaire et la distribution. Notons aussi que de nombreuses catégories des couches sociales autrefois considérées comme « intermédiaires » – enseignants, personnels soignants, fonctionnaires, travailleurs du secteur bancaire, étudiants, pompiers, etc. – se sont rapprochées de la classe ouvrière socialement, psychologiquement et en termes d’organisation et de méthodes de lutte.
Du point de vue de la lutte contre le capitalisme, ce changement dans le rapport de force entre les classes constitue un progrès énorme. Il a des conséquences importantes concernant le déroulement probable de la révolution et la possibilité de développer les forces du marxisme dans le mouvement ouvrier, même à partir d’une base numérique relativement faible. C’est que la classe capitaliste est assise sur une poudrière dont l’explosion ne pourra plus être rapidement étouffée comme par le passé. Si les première, deuxième ou troisième offensives des travailleurs n’aboutissent pas au renversement du capitalisme, une certaine lassitude et désorientation pourrait temporairement s’installer – comme c’est le cas en Grèce, au bout d’une trentaine de grèves générales infructueuses – mais la classe capitaliste ne dispose plus des réserves sociales lui permettant d’en finir rapidement avec la révolution.
Le processus révolutionnaire pourra donc s’étaler sur une longue période, sans que la classe dirigeante ait la possibilité d’infliger une défaite décisive aux travailleurs. Ceci donnera plus de temps à la composante révolutionnaire du mouvement ouvrier pour faire ses preuves en matière de programme, de stratégie, de méthodes de lutte, etc. Cependant, cet avantage n’a qu’une valeur relative. Elle n’exclut pas la défaite de la révolution. Si, dans la période précédente, les marxistes ne réussissent pas à créer une tendance marxiste suffisamment forte et enracinée dans le mouvement ouvrier, et particulièrement dans les secteurs clés de l’économie, ils ne seront pas en mesure de capter l’attention de la couche la plus avancée de la classe ouvrière pendant la révolution. En l’absence d’une direction révolutionnaire, la classe ouvrière ne parviendra pas à prendre le pouvoir, même dans des conditions objectives exceptionnellement favorables. Toute l’histoire de la lutte contre le capitalisme atteste de ce fait. Telle est la mesure du défi historique qui nous échoit dans la période qui s’ouvre actuellement.
Dans l’immédiat, il importe de se faire une idée de l’état du mouvement ouvrier et des perspectives générales pour son évolution future. Nos appréciations, dans ce domaine, seront nécessairement partielles et conditionnelles. De grandes disparités peuvent exister entre les différentes catégories de travailleurs et les différentes organisations syndicales, le tout dans un contexte sans cesse changeant.
La CGT et le mouvement syndical
De toutes les organisations de la classe ouvrière française, la CGT est de loin la plus importante. Plus que toute autre structure syndicale, c’est dans la CGT que s’organisent les éléments les plus engagés et les plus combatifs de la classe ouvrière. La CGT a une capacité de mobilisation énorme. De nombreux épisodes de la lutte des classes de ces dernières décennies en témoignent, comme par exemple la grève générale de 1995 et la lutte contre la réforme des retraites en 2010. Les développements au sein et autour de cette centrale ont une influence déterminante dans l’évolution de l’ensemble du mouvement syndical. Sur le plan politique, c’est elle qui donne son importance au PCF. Un nombre très important de CGTistes considèrent le PCF comme une sorte d’extension dans le domaine politique des luttes qu’ils mènent dans les entreprises et dans le domaine public, et ce malgré les grandes déceptions qu’ils ont connues concernant la politique et le comportement des dirigeants du parti.
Il est vrai que les effectifs de la CGT sont en baisse plus ou moins régulière au cours des dernières décennies, mais on aurait tort d’attacher une trop grande importance à cette circonstance. Compte tenu des 5 millions de demandeurs d’emploi et la destruction de la moitié de l’appareil industriel de la France depuis 2005, la CGT a plutôt bien résisté. Elle a quelque 700 000 travailleurs dans ses rangs. Ce chiffre, déjà important, ne donne pourtant pas la vraie mesure de la puissance de la centrale. En raison de l’acharnement antisyndical des employeurs, il arrive souvent qu’il n’y a qu’une poignée de militants CGT, voire un seul, dans une entreprise. Mais ceci n’empêche pas les travailleurs de se tourner massivement vers la CGT pour se défendre.
Pour comprendre les développements actuels au sein de la CGT et dans le mouvement syndical en général, il faut tenir compte de l’expérience collective des dernières décennies. Entre 1980 et 2010, la lutte des classes a pris une ampleur massive à plusieurs reprises : la lutte contre le projet de loi Devaquet en 1986, la grève générale du secteur public de 1995, la mobilisation contre le Front National pendant l’élection présidentielle de 2002, le mouvement contre le CPE en 2006, pour ne citer que les plus importants. Alors que la désindustrialisation, les privatisations et la dégradation générale des conditions de travail dans les entreprises suivaient leur cours, cette succession de grandes mobilisations – dont chacune avait connu une issue au moins partiellement victorieuse – avaient fortement marqué la conscience des militants syndicaux, en leur donnant l’impression générale que dès lors qu’une mobilisation prenait une certaine ampleur, les gouvernements étaient dans l’obligation de les écouter et de faire des concessions. Plus les manifestations étaient massives, plus elles étaient soutenues par « l’opinion publique », plus grandes étaient les chances de réussite. Cependant, l’humeur et la psychologie des militants de la CGT ont beaucoup changé, surtout depuis la lutte contre la réforme des retraites en 2010.
Le tournant économique de 2007-2008 a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Sarkozy. Avec l’accélération du déclin de sa position mondiale, le capitalisme français devait s’attaquer plus frontalement aux conquêtes sociales du mouvement ouvrier. Aux yeux des grands groupes capitalistes derrière Sarkozy, la réforme des retraites devait mettre « leur » gouvernement à l’épreuve. Elle devait aussi mettre à l’épreuve la capacité de résistance du mouvement ouvrier. La lutte s’est étalée sur 9 mois. A son apogée (septembre et octobre 2010), les journées d’action – dont il y en eut 14 au total – mettaient deux ou trois millions de manifestants dans la rue. Pendant les premiers mois, impressionnés par le succès numérique et les sondages indiquant qu’ils étaient soutenus par au moins 65% de la population, les manifestants étaient confiants et même joyeux. Il y avait comme une ambiance de carnaval. Chaque journée semblait marquer un progrès par rapport à la précédente. A l’automne, les manifestations et grèves ponctuelles s’accompagnaient de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs : à partir du 12 octobre à la SNCF (en même temps qu’une grève des cheminots belges), à partir du 17 octobre dans les transports routiers, chez les éboueurs de Paris, de Marseille, Toulouse, Nantes, Saint Nazaire, etc.. Les travailleurs d’une douzaine de raffineries de pétrole se sont mis en grève, provoquant la fermeture de plus de 2500 stations d’essence. De nombreux autres secteurs ont été touchés par des mouvements de grève : cantines scolaires, crèches, autobus, etc. Des mobilisations d’étudiants et de lycéens ont eu lieu sur une trentaine de sites universitaires et des centaines de lycées. Le fait qu’un mouvement d’une aussi grande ampleur ait pu se solder par une défaite a eu un impact majeur sur la psychologie des militants syndicaux et de l’ensemble des travailleurs.
La direction de la CFDT soutenait Sarkozy et la réforme. Sa direction a ouvertement trahi les travailleurs en lutte. Mais l’explication fondamentale de cette défaite réside dans le comportement de la direction confédérale de la CGT. Dès les mois de mars-avril, il était évident que l’enjeu de cette réforme était tel qu’une succession de journées d’action n’allait pas suffire pour faire plier le gouvernement. La revendication principale de la confédération était pour l’ouverture de « véritables négociations ». Cette posture ouvrait une porte de sortie au gouvernement au cas où le mouvement commencerait à prendre des proportions véritablement incontrôlables. Elle signifiait aussi l’acceptation implicite d’une régression en matière de retraites. La généralisation du mouvement et l’extension des grèves impliquait la nécessité de relier la défense des retraites à une plateforme revendicative beaucoup plus large, ce que la confédération voulait éviter à tout prix, insistant sur une contestation de la politique gouvernementale et patronale « dossier par dossier ».
La fatigue psychologique et physique que produit la défaite d’une lutte de cette envergure, avec l’amertume et même une certaine démoralisation des militants, allaient de pair avec un questionnement du rôle des dirigeants confédéraux, aujourd’hui vivement critiqués dans bien des fédérations. Les militants sentent – et dénoncent de plus en plus ouvertement – une « déconnexion » entre la direction nationale et la base. La stratégie des journées d’action ponctuelles est largement discréditée. La base se radicalise. Les conséquences sociales et économiques de la crise y contribuent grandement. La pression patronale est telle que le simple maintien d’une structure syndicale exige une lutte de tous les instants, surtout dans le milieu industriel. La nécessité de passer à des actions de plus grande envergure gagne du terrain dans la réflexion les militants, d’autant plus qu’elle est sans doute ressentie chez une fraction importante des travailleurs non syndiqués. Le « processus moléculaire » vers une nouvelle explosion de la lutte des classes prendra le temps qu’il faudra. Mais la matérialisation de cette explosion ne fait pas de doute, à terme.
Au niveau syndical comme dans les partis de gauche, la crise du capitalisme réduit le réformisme à l’impuissance. Un mouvement syndical qui limite le champ de son action à ce qui est possible dans le cadre du capitalisme, à ce qui peut être « négocié », à une époque où la viabilité du système dépend précisément de la destruction des conquêtes sociales, n’aboutira pas à des résultats tangibles. Des luttes victorieuses peuvent se produire sur telle ou telle question, mais, dans l’ensemble, le mécanisme capitalisme tirera tous les travailleurs vers le bas. Les acquis d’un jour seront constamment attaqués par la suite.
L’idée réformiste que la « relance économique » passe par la hausse des salaires et l’extension des droits des travailleurs est une absurdité, puisque de telles mesures portent immédiatement et directement atteinte aux intérêts vitaux des capitalistes. Une hausse des salaires ampute d’autant la masse des profits. Du point de vue des capitalistes, à quoi bon investir, dans ces conditions ? Des dizaines de milliers d’entreprises par an sont détruites pour cause de rentabilité insuffisante. Nous touchons ici au cœur du problème des limites du syndicalisme et des luttes défensives en général. Le capitalisme est arrivé à un point où des luttes autour de revendications relativement modestes soulèvent implicitement la nécessité d’exproprier les capitalistes. La radicalisation des idées que nous constatons dans de nombreuses structures syndicales tend vers cette même conclusion, à laquelle nous devons donner une expression consciente dans notre activité dans les syndicats.
Le nombre et l’ampleur des grèves n’indiquent pas forcément l’état d’esprit des travailleurs. Les pressions qui s’exercent sur les travailleurs rendent l’adhésion à un syndicat ou l’organisation des grèves particulièrement hasardeuses. Syndicalistes et grévistes s’exposent au harcèlement et aux menaces au quotidien – et bien sûr à la perte de leur emploi, avec tout ce que cela implique pour eux-mêmes et leurs proches. On peut intimider un salarié, l’inciter à la prudence. Mais on ne peut pas l’empêcher de penser et de tirer des conclusions à partir de son expérience. Il y a actuellement une accumulation de haines, de ressentiments contre toutes les injustices et les humiliations que subissent les travailleurs. A un certain stade, tout ce matériel combustible finira par exploser.
Le syndicalisme a ses limites. La grève de 1968 a mobilisé plus de 10 millions de travailleurs, paralysant l’économie et l’Etat pendant plusieurs semaines. Et pourtant le capitalisme a survécu. Le fait est qu’une grève générale pose la question du pouvoir. Mais si elle ne se transforme pas en une action offensive de la masse des travailleurs, de façon concertée et consciente, pour briser le pouvoir économique et étatique de la classe capitaliste, elle n’aboutira à rien. Le facteur qui décidera de la victoire ou de la défaite de la révolution qui approche, c’est la nature du programme et de la direction de la classe ouvrière.
très bonne analyse du capitalisme européen, et du capitalisme en général, le seul problème est que si on reprend l’histoire humaine récente à chaque fois qu’il y a eu une crise capitaliste de grande ampleur, le capitalisme s’en est sorti par la guerre, et cette fois ci la guerre sera nucléaire, c’est ce qui me fait peur.
ALORS LA FIN DE L’humanité???