August Bebel fut l’une des plus grandes figures du mouvement ouvrier allemand et international. Nous ne voudrions pas laisser passer le centenaire de sa mort sans rendre hommage à sa contribution à la lutte contre le capitalisme et à l’émergence du mouvement socialiste en Allemagne.
Bebel est encore enfant lorsque son père, un militaire, décède. Il est alors envoyé dans une école pour « garçons pauvres », à Wetzlar. Après un passage à l’école élémentaire, il devient apprenti tourner-fraiseur. Cette qualification acquise, il s’installe à Leipzig en 1860, où il rejoint une association mutualiste teintée de radicalisme politique. Bebel se lance dans l’étude de l’économie politique et de l’histoire, s’imprégnant de la pensée radicale et socialiste de l’époque. Les écrits de Ferdinand Lassalle, propagandiste infatigable et fondateur de l’Association Générale des Travailleurs Allemands, lui font une forte impression.
Il fait rapidement la connaissance de Wilhelm Liebknecht, une rencontre qui va s’avérer déterminante dans le cours ultérieur de son existence. Liebknecht avait 15 ans de plus que Bebel. Il avait participé à la révolution de 1848 et, exilé en Angleterre, y avait rencontré Karl Marx. Bebel et Liebknecht vont travailler ensemble, désormais, pour diffuser les idées « marxistes » – les idées du socialisme scientifique – dans le pays natal de Marx lui-même.
Lassalle est mort en 1864. Vers la fin de sa vie, il s’était compromis en essayant de favoriser l’avancement du mouvement ouvrier en collaboration avec Bismarck. Bebel ne voulait pas de cet opportunisme. En 1866, lors d’une conférence d’organisations ouvrières de Saxe, il a rédigé, avec Liebknecht, une plateforme de revendications économiques, sociales et politiques qui allait former l’ossature du programme du Parti Ouvrier Social Démocrate, fondé à Eisenach en 1869.
Elus révolutionnaires de la Diète de l’Allemagne du Nord, Bebel et Liebknecht refusent de voter les crédits de la guerre franco-prussienne de 1870. Ils s’opposent à l’annexion des territoires français. En 1871, Bebel fait un discours remarquable dans le Reichstag, en solidarité avec les communards parisiens. En 1872, accusés de haute trahison pour leur opposition à la guerre, Bebel et Liebknecht sont condamnés à deux ans de prison.
En 1875, les ailes lassallienne et marxiste du mouvement ouvrier allemand s’unissent au congrès de Gotha. Bebel et Liebknecht en sont les dirigeants reconnus. Le parti recueille 500 000 voix aux élections de 1877. Il avance à pas de géant. En 1881, il compte 300 000 membres – et 1 500 000 en 1891 ! A la veille de la première guerre mondiale, 4,5 millions d’électeurs – environ un tiers de l’électorat – votaient pour le programme de Bebel et Liebknecht.
Entre 1875 et 1914, période d’essor économique quasiment ininterrompu, le mouvement social-démocrate a connu une transformation graduelle vers le réformisme. Tout en conservant l’objectif du socialisme, celui-ci se reléguait, dans la conscience des dirigeants, à un avenir lointain, comme l’aboutissement d’une longue succession de réformes économiques et politiques. Face à cette évolution, Bebel faisait figure à part, mais l’optimisme radieux de ses écrits – dont La Femme et le socialisme – en était tout de même une expression. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1913, il était fermement convaincu du triomphe « inévitable » du socialisme. L’adaptation du mouvement social-démocrate au « quotidien » capitaliste n’allait se manifester dans toute son ampleur qu’au moment du ralliement de ses dirigeants à la guerre impérialiste de 1914. A ce moment-là, Bebel n’était plus.
En apprenant sa mort, Lénine écrivait le 8 août 1913 : « La période de la préparation et du rassemblement des forces du mouvement ouvrier constitue dans tous les pays une étape nécessaire dans le développement de la lutte émancipatrice du prolétariat dans le monde. Personne n’a incarné avec autant de relief qu’August Bebel les traits particuliers et les tâches de cette période. Ouvrier lui-même, il a su se frayer son chemin vers de fermes convictions socialistes, il a su devenir un modèle de chef ouvrier, qui a représenté et participé à la lutte de masse des esclaves salariés du capital pour une meilleure organisation de la société humaine. »
Greg Oxley