GAD : rencontre avec les salariés en lutte

Josselin, petite cité de caractère bretonne. Le 22 octobre au matin, à deux pas du château de Rohan encore habité par une « illustre » famille de l’ancienne noblesse française, quelque 300 salariés en tenue de travail viennent déloger de force une soixantaine de leurs collègues qui occupent l’entrée de l’usine pour demander de meilleures indemnités de licenciements. Ils sont salariés de la même entreprise, le groupe GAD, mais sur deux sites différents. Celui de Lampaul est condamné à la fermeture ; celui de Josselin est épargné – pour l’instant. A regarder ces images, on se demande : comment a-t-on pu en arriver là ? C’est pour tenter de le comprendre que je me suis rendu sur les lieux, la nuit, pour discuter avec les salariés qui occupent les entrées de l’usine.

Un site de qualité

La société Louis GAD, à Lampaul, a été rachetée en 2008 par la CECAB, alors un solide géant de l’agroalimentaire français. En plus des 15 millions qui ont été ponctionnés sur la trésorerie du site de Lampaul peu après son achat, pour renflouer les caisses du site de Josselin, ils ont bénéficié de tout le savoir-faire de l’entreprise en matière de procès de transformation du porc. Pour les salariés, c’est aussi depuis cette date qu’ils ont perdu leur prime de participation – et ce pour pouvoir payer le siège social du groupe, d’une valeur de plus de 3 millions d’euros !

L’abattoir de Lampaul est de grande qualité et de dimension internationale : le seul en France à posséder l’agrément pour exporter dans tous les pays du monde, notamment la Chine. La chaine est maîtrisée, les conditions sanitaires irréprochables. Les salariés en sont très fiers : « tu pourrais opérer quelqu’un sur une de nos tables d’abattoir, il n’aurait pas d’infection nosocomiale », lâche en plaisantant un des salariés qui assurent le blocage du site. Malgré tout, sous la gestion d’une nouvelle équipe, la branche est devenue déficitaire et le groupe a été mis en redressement judiciaire en février dernier.

Une catastrophe sociale

Après l’annonce du « plan social » (PSE), au début de l’été, on leur a longtemps fait miroiter la possibilité d’un repreneur. Alors les salariés m’expliquent qu’au lieu de se laisser aller, ils se sont mis à travailler d’arrache-pied. Pour eux, le seul moyen d’avoir un repreneur était de montrer de quoi ils étaient capables. Aucun patron n’aurait voulu d’une usine qui fonctionnait en sous-régime ou, pire, d’une usine en grève.

Mais la voie d’un repreneur s’est définitivement fermée et le tribunal de commerce de Rennes a validé le PSE la semaine dernière. Il prévoit la suppression des 889 postes du site de Lampaul sur les 1700 que compte le groupe. C’est plus de 50 % des effectifs, auxquels il faut ajouter les 4000 emplois indirects qui en dépendent ! A présent, les salariés de Lampaul n’ont plus rien à perdre. La colère, initialement contenue, n’en ressort qu’avec plus de force. Ils ont débrayé voilà maintenant 15 jours. Les salariés ne cherchent plus à se faire bien voir par un éventuel repreneur et ils multiplient les actions.

Cynisme de la direction

Ils sont arrivés tôt, hier matin, pour bloquer les accès aux portes de l’usine de Josselin. Leur but : empêcher la livraison des bêtes, bloquer ainsi l’activité de l’abattoir et faire pression sur les négociations relatives au montant des indemnités de départ qui débutent le 23 octobre à Quimper. Ils s’attendaient à se heurter à la police, comme lors de leur action au tribunal de commerce de Rennes, et ils y étaient préparés. Mais la stratégie de la direction est autrement plus odieuse : elle a poussé les salariés présents à l’intérieur de l’abattoir à sortir pour qu’ils aillent eux-mêmes permettre aux camions de faire leur livraison, c’est-à-dire qu’ils aillent affronter leurs propres collègues grévistes à l’entrée de l’usine.

L’attitude des grévistes de Lampaul a été exemplaire. Conscients que l’ennemi n’est pas le salarié en tenu de travail, en face d’eux, mais les patrons de la boite, ils l’ont joué « à la Gandhi » : « on s’est allongé au milieux de la route et les autres ne savaient plus quoi faire ». Mais cela ne les a pas empêché d’essuyer quelques coups, aussi bien physiques que moraux.

Ces licenciements viennent s’ajouter aux autres PSE dans l’agroalimentaire breton : Doux, Tilly-Sobacco, etc. Les emplois tombent un à un et on fait profil bas en espérant être épargné. Sans perspectives, sans alternative claire au système actuel, les travailleurs sont désarmés face aux illusions semées par les patrons : « fermer Lampaul est le seul moyen de préserver l’emploi à Josselin », « c’est un mal pour un bien », « débloquez le site pour préserver votre outil de travail », etc.

Les grévistes de Lampaul vont tenter, cependant, de gagner les salariés de Josselin et d’y marginaliser les « jaunes ». Les postes de Josselin sont épargnés pour l’instant, mais cela ne pourra se faire qu’au prix de sacrifices toujours plus grands. Les conditions de travail déjà « difficiles et physiques », de l’aveu même de la direction, ne pourront que se dégrader. S’ils ne disent rien maintenant, alors, comme le dit le célèbre poème, quand viendra leur tour, il n’y aura plus personne pour protester.

J’ai quitté les salariés vers deux heures du matin. Des renforts sont attendus de Lampaul (à 150km) à 4 heures du matin. Pour ceux qui sont déjà là, une nuit blanche les attends, dans l’appréhension des évènements de la journée qui vient.

Pour envoyer vos message de soutien : redaction@lariposte.com. Nous ferons suivre.

Merci à Patrick Le Goas, réprésentant FO et délégué du personnel du site de Lampaul, pour le temps qu’il m’a accordé.

Boris Campos

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