Il y a 220 ans, la bataille de Valmy

L a bataille de Valmy eut lieu le 20 septembre 1792. La victoire de l’armée révolutionnaire bloqua l’invasion des forces prussiennes commandées par le Duc de Brunswick.

Le 23 août, la forteresse de Longwy était tombée entre les mains des contre-révolutionnaires, suivie de celle de Verdun, le 2 septembre. Brunswick pouvait alors se lancer vers le dernier obstacle naturel sur le chemin de Paris : la forêt de l’Argonne. Mais il se heurta à la résistance de l’armée révolutionnaire, sous Dumouriez. Se repliant vers Sainte-Menehould, au sud, Dumouriez avait attendu l’arrivée de Kellermann, à la tête de l’armée de Metz, laissant ouverte la route vers Paris. Brunswick ne profita pas de cette situation pour avancer vers la capitale et, le 19 septembre, Kellermann et Dumouriez purent faire jonction.

Les armées se sont alors disposées de sorte que celle de Kellermann était positionnée non pas entre celle de Brunswick et la capitale, mais derrière lui, sur la butte de Valmy. Impatient, le roi de Prusse exigea une attaque frontale immédiate. Comme Brunswick, il s’attendait à une victoire facile. Pour l’aristocratie, « en dehors de l’ordre monarchique, il n’y avait place que pour l’anarchie et l’impuissance » [Albert Mathiez, La Révolution française].

Mais face à l’armée la plus redoutable du continent européen, au lieu de fuir, l’armée révolutionnaire tint bon. Les bataillons français scandaient des mots d’ordre révolutionnaires, pour la liberté, contre la tyrannie. Leur confiance et leur élan révolutionnaire firent vaciller les troupes prussiennes, qui cessèrent d’avancer. Sentant que la situation lui échappait, Brunswick n’osa pas ordonner un nouvel assaut. Après un échange de canonnades au cours duquel l’artillerie française montra sa supériorité, Brunswick abandonna la partie. Avec les masses révolutionnaires en ébullition devant lui, à Paris, et les armées de Dumouriez et de Kellermann dans son dos, il quitta le territoire français peu de temps après.

« Une nouvelle ère dans l’histoire du monde »

La guerre révolutionnaire défensive s’est poursuivie, avec plus ou moins d’intensité, jusqu’au milieu de l’année 1794. Mais après Valmy, plus rien n’était comme avant. La bataille avait eu un impact psychologique et moral – et donc, par la force des choses, militaire – sur les masses révolutionnaires ainsi que sur leurs ennemis. Goethe, qui avait assisté à la bataille du côté prussien, a exprimé la puissance de cet impact par ces mots devenus célèbres : « De ce lieu et de ce jour date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ».

On lit parfois que la bataille de Valmy ne mérite pas l’importance historique qu’on lui prête. N’était-ce pas une « simple canonnade », une bataille non concluante qui, après tout, laissait intacte l’armée de Brunswick ? Mais cet argument passe à côté de la signification historique de cet événement. La victoire de Valmy était avant tout l’expression de l’exacerbation de la lutte des classes depuis la fuite avortée de la famille royale, en juin 1791, et de la nouvelle offensive des masses révolutionnaires au cours de l’an 1792. Cette offensive, dont le moteur était le danger contre-révolutionnaire imminent, avait profondément modifié le rapport de forces entre la grande bourgeoisie et les masses populaires – au profit de ces dernières. Les Girondins – encore majoritaires à l’Assemblée Législative – ont été mis sur la défensive et la monarchie qu’ils voulaient maintenir a été renversée par l’insurrection du 10 août. C’est cet essor des masses populaires qui a permis d’éradiquer les causes politiques des défaites militaires de la période précédente.

La fuite de la famille royale

Remontons jusqu’au mois de juin 1791. L’arrestation de la famille royale, pendant sa fuite en direction de Sainte-Menehould, a eu des répercussions profondes à travers le pays. Le projet du roi était de rejoindre l’armée contre-révolutionnaire de Bouillé, puis, avec le soutien de l’armée autrichienne, de lancer une attaque contre Paris pour y rétablir son pouvoir absolu, abolir l’Assemblée Constituante et détruire les organisations populaires. Il voulait noyer la révolution dans un bain de sang. La correspondance du couple royal avec ses agents – Breteuil, Ferson, etc. – ne laisse aucun doute à ce sujet.

La fuite du roi était la preuve de l’imminence du danger contre-révolutionnaire. Elle donna une forte impulsion au mouvement populaire et renforça les tendances républicaines dans le peuple. Cette radicalisation effrayait la bourgeoisie. Elle voulait maintenir la monarchie et mettre fin à la révolution. Le massacre du Champ de Mars, perpétré par La Fayette le 17 juillet 1791, avait donné une leçon à ceux qui réclamaient la déchéance du roi. Le club des Jacobins se scindait entre, d’une part, les Feuillants – des monarchistes, comme La Fayette, soucieux de maintenir la suprématie de la bourgeoisie, des hommes de propriété et des riches – et d’autre part l’aile révolutionnaire, sous l’influence grandissante de Robespierre.

L’Assemblée Législative, qui avait remplacé la Constituante le 1er octobre 1791, se trouvait confrontée à une vague montante d’émeutes et d’insurrections, dans les villes et dans les campagnes. Ceux qui avaient fait la révolution en profitaient le moins. Comme La Fayette, les députés girondins, autour de Brissot, voulaient en finir avec la révolution, mais comprenaient que ce n’était pas possible tant que la menace contre-révolutionnaire extérieure ne serait pas écartée. En même temps, Louis XVI et Marie-Antoinette poursuivaient l’objectif qu’ils n’avaient jamais perdu de vue : rétablir leur pouvoir absolu. Ils s’accommodaient en apparence du nouveau régime, en attendant que les circonstances leur permettent de rétablir l’ancien, avec l’aide d’une coalition de puissances étrangères.

Guerre et contre-révolution

La déclaration de guerre contre le roi de Bohème et de Hongrie, le 20 avril 1792, s’est faite avec l’assentiment de Louis XVI. Il savait que le commandement de l’armée, composé de nobles, lui était favorable. Selon son calcul, cette guerre « révolutionnaire » placerait un pouvoir considérable entre les mains de l’aristocratie militaire et lui permettrait de s’éloigner de la capitale pour, de concert avec l’ennemi (qui n’en était pas un, pour lui), se retourner ensuite contre Paris et écraser la révolution. 
Dans ces conditions, Robespierre et ses partisans s’opposaient à la guerre. Ils expliquaient que l’éloignement des troupes révolutionnaires affaiblirait la révolution dans la capitale au profit de ses ennemis – et que les généraux qui les commandaient n’étaient pas fiables. Le cours des événements leur donna raison. L’armée française alla de défaite en défaite. La moitié des officiers et des régiments entiers passèrent à l’ennemi. Pour les masses, ces trahisons constituaient un danger mortel et imminent. La guerre, qui avait pour but de contrecarrer la révolution, précipita le déclenchement du mouvement insurrectionnel qui, le 10 août 1792, renversa la monarchie.

Pendant les six semaines qui séparent le 10 août de la bataille de Valmy, le pouvoir « légal » de l’Assemblée coexistait avec le pouvoir militaire et populaire de la « commune insurrectionnelle » formée par des sections des sans-culottes. Sous leur « dictature », l’armée fut purgée de ses officiers contre-révolutionnaires. Des mesures furent prises contre la bourgeoisie et les riches pour financer la guerre. La « Terreur » qu’exerçaient les masses était une action défensive dirigée contre les ennemis de la révolution. La guerre a changé de nature, pour devenir une véritable guerre de libération sociale. La victoire de Valmy, suivie de celle de Jemmapes et de bien d’autres, s’explique par le contenu social de cette deuxième phase de la Révolution française, qui trouvera sa plus haute expression dans le régime de Robespierre, entre juin 1793 et juillet 1794.

Greg Oxley (PCF Paris 10e)

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