Le combat malheureusement perdu de Rosa Luxembourg contre le réformisme et le nationalisme montre à quel point ces deux éléments forment les deux faces d’une même médaille
Il y a cent ans, en janvier 1919, la social-démocratie allemande écrasait dans le sang à Berlin le soulèvement spartakiste (le Spartacusbund, en allemand, tire son nom de Spartacus, le meneur de la plus grande rébellion d’esclaves de la République romaine). Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés le 15 janvier 1919 et avec cet acte atroce s’évanouit l’espoir de l’instauration en Allemagne d’une « République des conseils », une République fonctionnant en démocratie directe avec des assemblées de travailleurs. L’histoire de l’Europe aurait pris un autre cours, et la révolution russe n’aurait pas sombré dans son isolement.
Une opposante au réformisme…
Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht (fils du fondateur du SPD, Parti Social-Démocrate d’Allemagne, Wilhelm Liebknecht) sont tous deux des membres importants de l’aile gauche du SPD et s’opposent vigoureusement au vote des crédits de guerre en 1914 contre la Russie par leur parti. Rosa Luxemburg fera d’ailleurs un discours célèbre dans lequel elle appelle les ouvriers allemands à ne pas prendre les armes contre les ouvriers d’autres nationalités. Cette guerre envoya des millions de paysans et de travailleurs servir de chair à canon dans une guerre entre impérialistes, entre groupes militaro-industriels.
“Quiconque se prononce en faveur de la voie des réformes légales, au lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus tranquille, plus sûre et plus lente, conduisant au même but, mais un but différent, à savoir, au lieu de l’instauration d’une société nouvelle, des modifications purement superficielles de l’ancienne société […] non pas la suppression du salariat, mais le dosage en plus ou en moins de l’exploitation.”
De plus, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht défendent l’idée d’une révolution, seule capable de changer la société, alors que leur parti souhaite changer la société grâce à des réformes. Ayant acquis la nationalité allemande en 1898, Rosa Luxemburg, alors âgée de 28 ans, s’oppose vigoureusement au théoricien socialiste Eduard Bernstein qui remet en cause la ligne révolutionnaire du marxisme et préconise la transformation du SPD en un grand parti élargi. Au socialisme évolutionnaire ou graduel de Bernstein qui transformerait progressivement la société, Rosa Luxemburg oppose sa publication Réforme sociale ou Révolution ? qui réfute les thèses de Bernstein. L’esprit de son positionnement contre le réformisme trouve sa meilleure expression dans la citation suivante ; “Quiconque se prononce en faveur de la voie des réformes légales, au lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus tranquille, plus sûre et plus lente, conduisant au même but, mais un but différent, à savoir, au lieu de l’instauration d’une société nouvelle, des modifications purement superficielles de l’ancienne société […] non pas la suppression du salariat, mais le dosage en plus ou en moins de l’exploitation.”
Forte de cette certitude, elle mène avec Alexandre Parvus et Karl Kautsky, au congrès de Hanovre de 1899, une bataille victorieuse contre les idées de Bernstein. Rosa Luxemburg défend également les idées de Marx au sein de la Deuxième Internationale.
Pendant la Révolution russe de 1905, Rosa Luxemburg se rend à Varsovie pour participer au mouvement insurrectionnel, mais elle est arrêtée et frôle à ce moment l’exécution. De retour en Allemagne, en 1906, sa dénonciation du réformisme de la direction du SPD la marginalise.
… et au nationalisme
Rosa Luxemburg s’oppose également à la dérive guerrière de l’Allemagne et au nationalisme, en expliquant que seule une révolution socialiste internationale mettra fin à l’oppression d’une nation sur une autre. Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Leo Jogiches, Franz Mehring, Clara Zetkin… appellent 300 dirigeants socialistes à ne pas voter les crédits de guerre. En vain.
Rosa Luxembourg et ses compagnons de lutte doivent rester, pour nous communistes, des exemples de courage et d’abnégation face à la montée des nationalismes et aux dangers du réformisme.
En 1916, la crise du SPD les conduit à fonder la Ligue des Spartakistes, groupe d’opposition au sein du SPD. Cependant, Rosa Luxemburg est à nouveau emprisonnée jusqu’à la révolution allemande de novembre 1918. La Ligue des Spartakistes prône, dans son journal “Die Rote Fahne” [NDLR : “le Drapeau Rouge”] une radicalisation de la révolution et la prise du pouvoir par les conseils ouvriers, dans une république des conseils. Début janvier 1919, le climat en Allemagne tourne à l’affrontement et Rosa Luxemburg estime que le rapport de force n’est pas favorable aux révolutionnaires et s’oppose à l’insurrection des spartakistes, contrairement à Karl Liebknecht qui croit possible le renversement du pouvoir. Rosa Luxemburg participe néanmoins au mouvement. Elle est arrêtée le 5 janvier 1919 et est assassinée le 15 janvier avec Karl Liebknecht, sur ordre du ministre SPD Gustav Noske chargé de la répression de l’insurrection, par des officiers nationalistes, les corps francs.
Rosa Luxembourg et ses compagnons de lutte doivent rester, pour nous communistes, des exemples de courage et d’abnégation face à la montée des nationalismes et aux dangers du réformisme. Certes, nous ne vivons pas une période similaire à la fin de la Première Guerre Mondiale. Nous pouvons même affirmer que les conditions objectives sont aujourd’hui encore plus favorables à la révolution menant au socialisme. Mais aujourd’hui comme hier, l’obstacle principal à la réussite de la révolution reste la direction réformiste du mouvement ouvrier, et il est plus que jamais nécessaire de construire l’alternative, à savoir une organisation ouvrière internationale qui viendra à bout du capitalisme mondial.
Eric Jouen, PCF 76