70 ans de la Sécurité Sociale

«La sécu, elle est à nous, on s’est battus pour la gagner on se battra pour la garder ! »  Combien de fois, dans les cortèges, avons-nous entendu cette juste revendication !

Dès le Moyen-âge, mais surtout dès les XVIe et XVIIIe siècles, les travailleurs ont cherché à s’organiser contre les malheurs de leur temps, par les aides, les charges de bienfaisance et de secours, qui furent assumées par les confréries, les corporations, les compagnonnages ; tout cela était affaire de charité plus ou moins bien ordonnée, sachant que les miséreux étaient susceptibles de répression et condamnés pour vagabondage !

La Révolution française, par la Loi le Chapelier de 1791, supprime les corporations et condamne tout ce qui peut porter atteinte à la liberté individuelle. Cependant, dans la loi, elle reconnait le devoir théorique de l’Etat d’apporter une assistance nationale. Tout au long du XIX° siècle, le développement des théories du libéralisme et de l’individualisme a réduit l’assistance publique à un phénomène et un mécanisme inhumain et humiliant ! On voit apparaître les caisses d’épargne, les compagnies d’assurance, les Mont-de-Piété ; même les groupements mutualistes ne sont tolérés que par leur neutralité politique et sont strictement surveillés. Toutefois, ils ont servi de support à la résistance ouvrière comme celle des Canuts de Lyon en 1831. À partir de la fin du XIX° siècle et au début du XXe siècle nait une législation sociale. En 1893 apparaît l’assistance médicale gratuite et en 1905 l’assistance aux vieillards et aux infirmes, mais devant l’échec des caisses de retraites privées se créent les premiers régimes d’assistance obligatoire comme celles des mines, en 1894, des chemins de fer en 1909, retraites ouvrières et paysannes en 1910. Enfin, la loi du 8 avril 1898 fait jouer la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail.

Cependant, l’Allemagne de Bismarck et la Grande-Bretagne furent novatrices bien avant la France en matière de « sécurité sociale », assurance maladie en Allemagne dès 1893, prestations maladie et chômage en Grande-Bretagne en 1911…

La période de 1919 à 1939 est marquée en Europe et en Amérique par un développement des assurances sociales inspirées du modèle allemand. Elles ont pour principe « de protéger les plus pauvres des salariés de l’industrie, contre certains risques en s’inspirant du système de l’assurance ».

L’Europe  occidentale d’après-guerre entre dans une période de profondes réformes sociales ; c’est le welfare state ou l’Etat-providence. Des systèmes de sécurité sociale voient le jour en Belgique ; en France et en Grande-Bretagne, l’Etat intervient fortement dans l’économie et le domaine social : partout, on nationalise. La crise de surproduction des années 30 est analysée comme une faillite du libéralisme, engendrant le chômage et autres calamités. D’ailleurs, l’intervention de l’Etat pendant la guerre a fait preuve de son efficacité, dans l’effort de guerre par exemple. Elle a aussi et surtout non seulement mis en évidence l’efficacité de l’Etat et sa capacité à établir un peu d’égalité dans les sacrifices, mais a créé une aspiration dans les populations à un mieux vivre dans un monde plus juste.

En France, le programme d’action du CNR adopté en mars 1944 prévoit « Le retour à la nation des moyens de production monopolisés […] des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ».

La charte du CNR prévoit notamment, sur le plan économique, l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. Elle prévoit une organisation rationnelle de l’économie, avec le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun. Enfin elle prévoit le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.

Sur le plan social, la Charte du CNR réclame le droit au travail et le droit au repos,  un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine. Elle prévoit aussi un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas, où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec la gestion du système appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat, et une retraite permettant aux vieux travailleurs de vivre dignement jusqu’à la fin de leur vie.

A la libération, pour les entreprises dont les patrons avaient collaboré avec l’ennemi, les nationalisations se font « par en bas » comme chez Berliet à Lyon. A Toulouse, dans l’aéronautique, on aboutit à la création de comités mixtes à la production, même si les directions patronales protestent contre ces « spoliations ». Chez Renault ou dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, la situation est plus compliquée, certains cadres sont arrêtés ou révoqués. Chez Renault, placé sous séquestre, c’est la nationalisation.

Les mouvements de résistance, la CGT et le Parti communiste, font pression sur les chefs d’entreprise, pour qu’ils « collaborent » avec eux dans le cadre de « comités patriotiques d’entreprise ». La classe ouvrière au sortir de la guerre aspire à de nouveaux rapports sociaux avec l’entreprise.

Pour les résistants, ces comités se devaient d’être l’organe d’un contrôle ouvrier, ou d’une participation directe à la gestion, les syndicats devant jouer un rôle premier. A cette époque, 65 % des Français et 79 % des ouvriers estimaient devoir participer à la gestion des entreprises. Si la création des comités d’entreprise a suscité la vindicte des chambres patronales, il faut rappeler que la CGT et le PCF ne croyaient pas à la cogestion en régime capitaliste. Cependant, le PCF ne poussait pas alors aux nationalisations, préférant comme mots d’ordre : « la lutte contre les trusts et la confiscation des biens des traîtres ». De plus, les communistes hésitaient sur le statut des nationalisations dans un régime qui reste capitaliste. près l’élection de l’Assemblée constituante du 21 octobre 1945, les nationalisations sont mises en chantier avec l’appui de la population. Mais les nationalisations n’ont pas été faites pour transformer la condition ouvrière, elles visaient plutôt à moderniser l’économie en donnant à la puissance publique la maîtrise des investissements dans le secteur public.

Même la planification qui se met en place à cette époque ne vise pas à instaurer le socialisme en France, il s’agit de moderniser et d’équiper le pays. C’est dans ce climat, sous l’égide du communiste Ambroise Croizat, celui qu’on appelait « le ministre des travailleurs » et de Pierre Laroque, par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 que la Sécurité sociale a été créée, « destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. »

Sur le principe, la Sécurité sociale reste « un système de protection pour les individus et leurs familles, contre un certain nombre d’éventualités susceptibles de réduire ou de supprimer leurs ressources, ou de leur imposer des charges supplémentaires. »

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La Sécurité sociale, c’est une réorganisation de ce qui existait avant, on ne partait pas de rien. La sécurité sociale, c’est la garantie de conditions de vie décentes. «  La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toute circonstance il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes […] Le but final à atteindre et la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité » (exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945). Son principe consistait à unifier les différents régimes d’assurance sociale en un régime unique. « Cette unité de la Sécurité sociale s’entend en un double sens : d’une part, elle signifie que tous les facteurs d’insécurité doivent être couverts par des institutions  communes ; d’autre part, elle signifie que dans un même cadre géographique il ne peut et ne doit exister qu’une seule institution couvrant l’ensemble des bénéficiaires. »

On passait d’un régime d’assurance où chaque citoyen était couvert en fonction de ses versements, à un système de transferts sociaux, les prestations étant identiques quels que soient les revenus des assurés, tandis que les cotisations seraient proportionnées aux salaires. De plus,  vieille revendication ouvrière, la gestion des caisses se ferait par les représentants élus des principaux intéressés, salariés et patrons. Dans l’imaginaire collectif, la création de la Sécurité sociale fait partie des « conquêtes de la Libération » ; cependant, le bilan est à nuancer. La Sécurité sociale s’inscrit dans un système capitaliste malgré sa création, les nationalisations des plus grandes entreprises et des principaux organismes de crédit… Le programme économique et social de la Résistance était très ambitieux et le gouvernement de De Gaulle avec les ministres communistes l’a réalisé dans ses grandes lignes, toutefois, bien sûr, sans instaurer pour autant le socialisme.

Laurent Gutierrez

PCF 21

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