La guerre civile en Syrie

Le désastre social provoqué par le rétablissement du capitalisme en Syrie, ces deux dernières décennies, forme l’arrière-plan de la tentative révolutionnaire qui s’est produite dans ce pays. Les révolutions en Tunisie et en Egypte ont fourni l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

En 1965, le gouvernement baathiste a nationalisé plus d’une centaine de banques et d’entreprises industrielles et commerciales. Les capitalistes ont tenté de résister, mais le gouvernement a fait appel aux travailleurs et aux paysans pour vaincre la contre-révolution. Le capitalisme a été éradiqué. Avec l’arrivée au pouvoir de Hafez Al-Assad, un régime dictatorial s’est mis en place, à l’image de celui qui a existé en URSS. Le contrôle de l’armée, de l’administration civile et de l’économie était concentré entre les mains d’une caste militaire et bureaucratique. Toute tentative de créer des organisations représentatives des travailleurs était réprimée. Les communistes ont été persécutés et massacrés.

Malgré le caractère dictatorial du régime, la planification de l’économie avait permis une amélioration importante des conditions de vie de la population. Mais dans les années 90, Hafez a entamé une politique de « libéralisation » économique, ouvrant un espace de plus en plus grand aux investisseurs capitalistes et aux banques privées. Cette orientation était renforcée par l’effondrement de l’URSS et des autres dictatures bureaucratiques en Europe Centrale. A sa mort, en 2000, Hafez a été remplacé par son fils Bashar Al-Assad, et le processus de restauration capitaliste s’est accéléré. Des entreprises ont été privatisées au profit des milieux dirigeants du régime, tandis que le niveau de vie de la majorité s’est nettement détérioré. Aujourd’hui, selon diverses estimations, entre 30 et 45 % de la population vit dans la pénurie et environ 13 % dans une extrême pauvreté. Le taux de chômage est de l’ordre de 20 %.

L’impact de la révolution arabe

Le renversement de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte a donné une puissante impulsion à des mouvements de révolte à travers l’Afrique du Nord, au Proche-Orient et dans le Golfe Persique (Bahreïn). La jeunesse des milieux populaires, les ouvriers et tous les opprimés y voyaient une preuve que des régimes dictatoriaux et les moyens de répression à leur disposition n’étaient pas invincibles. Mais l’expérience de ces tentatives d’émulation révolutionnaire a démontré que les régimes en place n’étaient pas toujours aussi fragiles que ceux de la Tunisie et de l’Egypte. Les mouvements visant à renverser des dictatures n’ont pas connu partout une ampleur suffisante au regard de la tâche qu’ils se sont donnée. En Libye, par exemple, le régime de Kadhafi aurait sans doute réussi à se maintenir – au moyen d’une répression implacable – bien plus longtemps sans l’intervention militaire des puissances impérialistes. Cette intervention n’avait rien à voir avec la révolution libyenne, mais visait à imposer un régime pro-impérialiste. Dès le départ, le Conseil National de Libération libyen était essentiellement composé d’agents des grandes puissances et d’anciens kadhafistes. Il n’avait rien de « révolutionnaire ».

Une situation similaire, à bien des égards, s’est développée en Syrie. Des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs se sont mobilisés pour en finir avec la dictature de Bashar Al-Assad. Mais le mouvement n’a pas acquis le caractère de masse qui aurait permis de renverser le régime. La vaste majorité de l’armée syrienne – forte de 500 000 hommes – n’a pas fait défection. Par une combinaison de concessions et de répression, Assad a pu contenir la contestation, même si son régime a été sérieusement fragilisé. Les structures mises en place pour organiser le mouvement populaire n’ont pas pu être maintenues.

Alors que des grandes puissances impérialistes – dont les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne – sont intervenues militairement en Libye, ils rechignent à le faire en Syrie. Ils se limitent à l’envoi de quelques « observateurs ». Leur réticence s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, les grandes puissances mondiales sont divisées sur la question. Pour la Russie, la chute d’Assad se traduirait par un recul de son influence dans la région. Aussi s’oppose-t-elle catégoriquement à toute intervention susceptible d’affaiblir davantage le régime en place. Cette opposition prive les impérialistes de la possibilité d’agir au nom de la « communauté internationale », via l’ONU. Mais le blocage russe n’est pas le seul problème. Les puissances occidentales elles-mêmes ne sont pas certaines que la chute d’Assad soit dans leurs intérêts, car ils risqueraient fort de n’avoir aucune prise sérieuse sur la situation politique qui en résulterait.

Milices réactionnaires

L’espace laissé par le recul du mouvement populaire a été rempli par une multitude de fractions et de milices réactionnaires. On a généreusement attribué le titre d’Armée Syrienne Libre aux unités disparates des forces armées qui ont fait défection, mais celles-ci ne semblent pas reconnaître un seul commandement et n’ont nulle part réussi – ni même sérieusement tenté – à prendre le contrôle d’une partie significative du territoire. En conséquence, les impérialistes pourraient difficilement justifier la protection d’une zone prétendument « libérée ».

L’une des factions armées actives sur le terrain est celle des Frères Musulmans qui, avec d’autres groupements réactionnaires et liés aux différentes puissances régionales ou occidentales, constituent le noyau du Conseil National Syrien (SNC), qui siège à Istanbul, en Turquie. D’autres fractions seraient liées à Al-Qaïda. L’Arabie Saoudite et le Qatar, qui veulent la chute d’Assad pour affaiblir l’Iran, acheminent des armes vers des groupes agissant pour leur compte. Des organisations kurdes – sunnites, alawites, chrétiennes – sont également impliquées dans les combats, surtout dans le nord-est du pays. Dans ces conditions, si l’Etat syrien s’effondre, le résultat n’en sera pas l’installation d’un gouvernement sous l’emprise des puissances occidentales. La population sera livrée à la violence, au pillage et l’extorsion des différentes factions armées de l’« opposition ». La Syrie sombrera dans le chaos et sera divisée en plusieurs enclaves, sans que les puissances occidentales n’aient de prise sur l’évolution de situation. La seule chose dont les impérialistes peuvent être certains, c’est que la chute du régime syrien aggraverait considérablement l’instabilité politique, sociale et économique de toute la région.

Nous devons nous opposer résolument à toute ingérence impérialiste en Syrie. Les intérêts des gouvernements occidentaux – comme ceux de la Russie ou de la Chine – sont diamétralement opposés à ceux des travailleurs syriens. La seule motivation des impérialistes, quelle que soit leur position sur la survie du régime, est de faciliter le pillage des ressources du pays et de renforcer leurs dispositifs militaires dans la région. C’est à la classe ouvrière syrienne que revient la tâche de renverser la dictature. Dans l’immédiat, le reflux des révolutions en Tunisie et en Egypte, ainsi que le détournement de la révolution libyenne au profit des impérialistes, sont au désavantage des travailleurs syriens. La réaction a relevé la tête à travers la région. Mais cette situation ne durera pas éternellement. Une deuxième vague révolutionnaire se produira, à terme, ouvrant des perspectives nouvelles à la lutte pour la démocratie et le socialisme en Syrie, dans l’ensemble du Proche-Orient et dans les Etats nord-africains.

La Riposte

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