Gerin, Dang Tran et les idées du Front National

 

La direction du PCF s’est enfin publiquement dissociée des prises de position d’André Gerin sur l’immigration. Mieux vaut tard que jamais. Par son nationalisme, par sa campagne sur le thème de la burqa (menée aux côtés du député UMP Eric Raoult), par ses communiqués visant ceux qu’il appelle « les talibans » des quartiers populaires, par sa proposition d’expulser du territoire les délinquants « étrangers » et toute leur famille [1], par son opposition à une régularisation massive des travailleurs sans-papiers, le député de Vénissieux n’a cessé de stigmatiser les « étrangers » et la communauté musulmane. Ses nombreuses déclarations sur ces questions vont dans le sens de la propagande du Front National et d’autres mouvements racistes – qui n’ont pas manqué d’approuver et reprendre ses propos. Le 23 juin dernier, par exemple, le Front National de la Jeunesse publiait un article intitulé : Monsieur Gerin, on vous attend dans nos rangs.

L’association du PCF aux idées de l’extrême droite, par la voix d’un de ses députés, est totalement inacceptable. La direction du parti aurait dû réagir depuis longtemps. Car le problème ne date pas d’hier. Rappelons que dans son livre, Les Ghettos de la République, publié en 2006 et préfacé par Eric Raoult, André Gerin approuvait les propos de Jacques Chirac sur le prétendu parasitisme des familles d’origine étrangère. Il approuvait notamment la tristement célèbre formule sur « le bruit et l’odeur ».

Le calcul de Gerin est le même que celui de Chirac à l’époque. Convaincu que cette propagande « fait recette » sur le plan électoral, Gerin reprend à son compte des éléments du programme et de l’idéologie du Front National. Le député de Vénissieux assortit ces idées réactionnaires de critiques « de gauche » à l’encontre de la direction du PCF. Certes, la direction du parti est critiquable sur bien des points. Mais quand la critique se base sur des idées empreintes de nationalisme et de racisme, elle n’apporte rien de positif au parti.

Malheureusement, Gerin n’est pas le seul opposant à la direction du PCF qui reprenne à son compte certains aspects du programme du Front National. Emmanuel Dang Tran, le secrétaire de la section de Paris 15e, est dans le même cas. Au 34e Congrès du parti, en 2008, Gerin et Dang Tran ont présenté ensemble un texte alternatif. Et le 14 juin dernier, devant les caméras de France 3, Dang Tran affirmait que les militants du Front National « distribuent des tracts qui, à 80 % ou 85 %, défendent la position qu’on [le PCF] devrait défendre. »(ici). Quand un représentant du parti tient de tels propos à la télévision, il ne faut pas s’étonner si des travailleurs en déduisent que les communistes n’ont pas d’arguments sérieux à opposer au programme du Front National.

Parmi les positions du FN que le PCF devrait défendre, selon Dang Tran, il y a celle sur l’Union Européenne. En effet, sur cette question, Dang Tran (comme Gerin) reprend pratiquement mot pour mot la position du Front National, qui prône la « sortie de l’Union Européenne » – sur la base du capitalisme – et le retour au franc français.

Voici comment Dang Tran pose le problème de la monnaie, dans un texte publié le 28 mai dernier et intitulé Des dirigeants du PCF à la rescousse de l’euro ? : « … les chroniqueurs Francis Wurtz et Jean-Christophe le Duigou dénoncent fermement toute revendication de “sortie de l’euro”. En décembre dernier déjà, Pierre Laurent se prononçait pour une réorientation de la BCE mais s’exclamait à propos de l’euro : “ne bazardons pas l’instrument !”. Il y a de quoi être étonné. Le PCF est l’organisation qui a le plus précisément depuis l’origine dénoncé et combattu l’Europe supranationale du capital. De l’Acte unique en 1986 au Traité d’Amsterdam en 1998, en passant bien sûr [par] la grande campagne de 1992 contre Maastricht, nous avons avec force argumentation expliqué les dangers de la monnaie unique, l’arme supplémentaire qu’elle allait représenter pour les capitalistes européens contre les peuples.

Tout ce que nous avions annoncé et dénoncé se réalise. L’euro sert à aggraver la mise en concurrence des travailleurs des différents pays à la fois de la zone euro elle-même et de la périphérie. Il contribue à exacerber la xénophobie un peu partout en Europe. La monnaie unique encourage les délocalisations, favorise les secteurs capitalistes les plus puissants, compromet le développement des activités productives les plus faibles, pays par pays. L’euro, comme le démontre le “Pacte pour l’euro”, est un instrument redoutable pour tirer les salaires, les acquis sociaux vers le bas, dans tous les pays, y compris l’Allemagne.

Le rapport de force que nous avons contribué à construire de façon déterminante contre l’UE du capital se retrouve, renforcé, contre l’euro aujourd’hui. Les 55% de NON au projet de “constitution” européenne, un vote de classe, ne se sont pas évaporés. Le lien entre la monnaie unique et la “vie chère”, principalement l’insuffisance des salaires et des pensions par rapport à l’envolée de toutes les dépenses de base, est largement établi, même si c’est parfois de façon simpliste en apparence. L’euro comme instrument pour affamer les peuples au profit de la finance internationale est bien identifiable dans les crises grecque, portugaise ou irlandaise. Dans ces conditions, comment pouvons-nous, communistes, laisser la revendication de la sortie de l’euro au FN ? »

Des gens confus ne peuvent produire que de la confusion. La citation ci-dessus en est une parfaite illustration. Dang Tran part d’une idée juste pour arriver à une idée complètement fausse. Il est exact que tous les traités ayant contribué à construire l’Union Européenne étaient dans l’intérêt exclusif des capitalistes. Dans la période qui a précédé l’introduction de la monnaie unique, les partis et les médias capitalistes, avec le concours de la direction du PS, ont mené une puissante campagne de propagande pour faire croire aux travailleurs que le traité de Maastricht et la monnaie européenne allaient jeter les bases d’une période de stabilité et de croissance économique, dans une Europe « sociale » et harmonieuse. Mais en réalité, l’euro visait à protéger les intérêts des capitalistes – et surtout des plus puissants d’entre eux – en éliminant notamment les risques inhérents aux fluctuations monétaires sur le marché européen. Pour les travailleurs de France et de tous les autres pays concernés, la monnaie unique ne pouvait rien apporter de bon. Un simple changement monétaire de ce genre ne pouvait en aucun cas éradiquer, ni même atténuer les contradictions fondamentales du système capitaliste, contradictions qui généraient à l’époque – et génèrent encore – la surproduction, les récessions, le chômage de masse et la régression sociale. La propagande visant à faire croire le contraire était fausse et mensongère. Il fallait donc s’opposer au traité de Maastricht et à l’introduction de l’euro. Cependant, contrairement à ce qu’affirme Dang Tran (ou le Front National), et pour précisément les mêmes raisons, le rétablissement du franc français ne produirait aucune amélioration des conditions de vie des travailleurs. En acceptant cet aspect du programme du FN, Dang Tran commet la même erreur, dans le sens inverse, que ceux qui acceptaient la propagande destinée à promouvoir l’euro, à l’époque.

« Je réfute tout de suite, écrit Dang Tran, l’argument consistant à dire qu’aucune de nos propositions ne peut être assimilée au FN. Si nous avions raisonné comme cela, nous n’aurions pas combattu Maastricht ou le TCE. » Cet argument rate sa cible. Il serait bien évidemment idiot d’affirmer que le PCF ne doit en aucun cas avancer une revendication qui se trouverait dans l’arsenal d’un autre parti, fût-ce le Front National. Mais lorsque la revendication en question est un piège, lorsqu’elle est destinée à empoisonner la conscience des travailleurs en y injectant des idées fausses, comme c’est le cas pour la « sortie de l’euro », elle n’a pas sa place dans le programme du PCF. En outre, le taux de compatibilité entre les idées du communisme et celles du Front National n’est pas de 80 ou 85 %, mais de 0 %. Par exemple, il est vrai que le PCF et le FN faisaient tous deux campagne pour le « non » au Traité constitutionnel européen (TCE), en 2005. Mais derrière une même consigne de vote, il y avait deux positions politiques irréconciliables. Les militants communistes s’opposaient au caractère pro-capitaliste et réactionnaire du TCE, sans renoncer à leur internationalisme. Le Front National, lui, s’opposait au TCE sur la base d’une démagogie nationaliste, réactionnaire et pro-capitaliste. Les objectifs des communistes sont diamétralement opposés à ceux du FN – et non seulement sur la question européenne, mais sur toutes les questions. Lorsque Marine Le Pen affirme, par exemple, qu’elle est favorable à la retraite à 60 ans, il faut dénoncer le caractère purement démagogique et électoraliste d’une telle déclaration, dont le but est de tromper les électeurs et de masquer le vrai programme – archi-réactionnaire et pro-capitaliste – du Front National.

« Bien évidemment, poursuit le secrétaire du PCF Paris 15e, la fin de l’euro, le retour au franc ne signifient pas l’avènement du socialisme en France. J’en suis le premier conscient. Le pouvoir resterait dans les mains du capitalisme français. En Grande-Bretagne, la même politique d’austérité peut être menée par les socio-démocrates ou les conservateurs sans besoin de l’euro. » Là encore, Dang Tran passe à côté du problème. Certes, on ne saurait rejeter une revendication parce que sa réalisation laisserait intact le pouvoir des capitalistes. Par exemple, une augmentation des salaires ou la construction de logements sociaux ne met pas fin au système capitaliste, mais constitue une amélioration tangible des conditions de vie des travailleurs concernés. Cependant, nous chercherions en vain, dans tous les écrits de Dang Tran – ou de Gerin, ou du Front National – le moindre argument sérieux indiquant comment le rétablissement des monnaies nationales constituerait une avancée pour la classe ouvrière française et européenne. Par exemple, Dang Tran affirme que l’euro « favorise les délocalisations ». Mais il ne dit pas comment l’abandon de l’euro servirait à les décourager. De même, il affirme que l’euro est responsable d’une exacerbation de la « xénophobie ». Cela nous semble très difficile à démontrer, mais admettons que ce soit vrai. Peut-on en déduire que ce phénomène reculerait avec le retour du franc français ? Absolument pas. Toute l’argumentation de Dang Tran repose sur cette « méthode » fallacieuse : l’euro « facilite » la politique réactionnaire des capitalistes – et donc, par inférence, le retour du franc français serait une mesure « anti-capitaliste » !

Le Front National affirme qu’un retour du franc permettrait de mieux défendre les « productions nationales ». Cette idée n’a aucun fondement. Ce n’est qu’un leurre, comme tout le reste du programme du Front National. L’économie « nationale » est inextricablement liée à l’économie mondiale, et en particulier à l’économie européenne. Elle l’était déjà avant l’euro, elle l’est depuis l’introduction de l’euro et le serait même si la France abandonnait l’euro au profit du franc. Au fond, la régression sociale n’est pas le produit d’un système monétaire. Elle est la conséquence du fait que la bourgeoisie – en France comme partout en Europe – est désormais une classe totalement parasitaire, qui s’efforce par tous les moyens d’augmenter ses profits par la destruction de toutes les conquêtes les sociales du passé. Le capitalisme signifie la régression sociale permanente, quels que soient les dispositifs monétaires en vigueur.

En quoi le rétablissement du franc permettrait-il d’inverser la régression sociale ? Selon le FN, une monnaie nationale ouvrirait la possibilité de « dévaluations compétitives », afin de rendre les importations plus chères et donc moins compétitives, tout en donnant un avantage aux exportations françaises sur les marchés étrangers. Mais cette politique protectionniste est une impasse. Elle entraînerait une augmentation des prix sur le marché intérieur, ainsi qu’une augmentation massive de la dette publique (qui est en euros). Elle provoquerait inéluctablement des mesures de rétorsion de la part d’autres pays, et notamment de l’Allemagne, des Etats-Unis et la Chine. De manière générale, les mesures et contre-mesures protectionnistes mèneraient à une contraction du volume des échanges internationaux. Une politique protectionniste ne permettrait pas de défendre les emplois et les « productions nationales ». Au contraire, elle se traduirait par leur destruction à une échelle encore plus massive qu’à présent.

Clairement, le retour au franc ne résoudrait aucun problème des travailleurs. Il n’y a donc aucune raison de suivre Dang Tran et Gerin quand ils exigent que le PCF adopte ce volet du programme du Front National. Ces idées mèneraient le PCF dans une impasse. Oui, il faut « sortir » de l’Europe capitaliste. Mais un retour au franc français n’aboutirait pas à cela, ni à rien d’autre de positif du point de vue des travailleurs. La seule façon d’en finir vraiment avec l’Europe capitaliste, c’est de mobiliser les travailleurs de France et des autres pays européens autour d’un programme communiste et internationaliste.

La crise sociale et économique engendrée par le capitalisme est bien trop grave pour être combattue par un programme qui se limite à des mesures réformistes superficielles. Il est nécessaire de réarmer le PCF avec un programme authentiquement communiste. C’est la seule façon de lutter efficacement contre le poison du racisme et du nationalisme. Les travailleurs qui sont tentés de voter pour le Front National ne sont pas atteints de « xénophobie ». Ce terme n’est pas approprié, car cela donne l’impression que les travailleurs en question sont animés par une crainte irrationnelle des étrangers. Or, ils sont au contraire confrontés à des problèmes très concrets auxquels ils cherchent une solution. S’ils s’inquiètent de l’immigration, s’ils se laissent convaincre qu’il y a trop d’étrangers en France, c’est une expression de ce que les Communards de 1871 appelaient « la concurrence ruineuse entre les travailleurs ». Les travailleurs sont au chômage ou craignent de l’être ; ils voient comment les employeurs profitent de l’immigration pour réduire les salaires ; ils constatent la pénurie de logements, de places dans les crèches, de lits dans les hôpitaux, etc. Lénine disait que la question nationale était, au fond, « une question de pain ». Ne voyant aucun moyen d’inverser la dégradation constante de leurs conditions de vie, ne voyant pas d’alternative aux dures réalités du capitalisme, des travailleurs se disent que quand il n’y a pas assez pour tout le monde, quelqu’un mangera et quelqu’un ne mangera pas. Avec sa politique de « préférence nationale », le Front National exploite les craintes des travailleurs pour leur propre avenir et celui de leurs enfants. Il les dresse les uns contre les autres pour ne pas qu’ils voient les véritables causes de l’exploitation et de la régression sociale qui les frappent tous, indépendamment de leur nationalité ou de leur religion. Les « étrangers » sont les boucs émissaires du système capitaliste.

L’immense majorité des communistes rejettent sans appel les idées véhiculées par Gerin à propos des « étrangers », qui vont à l’encontre de nos traditions internationalistes. Notre but n’est pas de diviser les travailleurs, mais de les unir tous autour d’un programme qui associe la lutte pour la défense de leurs intérêts matériels – salaires, retraites, santé, éducation, logement, etc. – à des mesures qui s’attaquent à la source même du pouvoir des capitalistes, à savoir la propriété privée des banques et des grands moyens de production. Et notre but n’est pas de séparer la France capitaliste de l’Union Européenne, mais d’en finir avec le capitalisme, en France et à travers le continent.

Greg Oxley

 

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