Où va le Parti Communiste Français ?

Les partis de gauche n’existent pas dans le vide. Les travailleurs voient en eux un moyen de défense face à l’Etat et à la rapacité du patronat. Mais ces partis subissent l’influence corruptrice de la classe dirigeante. Le prestige et autres avantages associés aux places, dans les « institutions » de la République capitaliste, contribuent à façonner les idées et le comportement de ceux qui occupent des positions dirigeantes. Le Parti Socialiste fournit un exemple flagrant de ce phénomène. Sa direction actuelle est totalement acquise à la défense du capitalisme, au point de proclamer son accord avec l’essentiel de la politique du MoDem – qui, elle-même, est quasiment identique à la politique de Sarkozy et de l’UMP.

Les mêmes pressions ont été – et sont toujours – à l’œuvre dans le PCF. L’évolution de son programme et de l’action de ses instances dirigeantes, ces dernières décennies, a suivi la même trajectoire que celles du PS. Les modifications introduites, dans le programme du parti, l’ont rapproché de celui du PS. Ce programme ne dépasse en aucune manière les limites de l’« économie de marché » – c’est-à-dire du capitalisme. Au moyen d’un certain nombre de retouches d’ordres fiscal et financier, il se propose de transformer le capitalisme en un système « équitable » et « à dominante sociale ». Lorsqu’on parle du marxisme aux dirigeants du parti, ils répondent, au mieux, par un sourire narquois – au pire, par une franche hostilité.

Cette dérive réformiste du PCF remonte assez loin, dans l’histoire. Cependant, la période de la participation au gouvernement Jospin marque un tournant majeur. Entre 1997 et 2002, Jospin a privatisé à une plus grande échelle que tout autre gouvernement, dans l’histoire du pays, renforçant ainsi la mainmise des capitalistes sur l’économie, et donc sur la société toute entière. Cette politique rétrograde a été menée avec le soutien actif des ministres et dirigeants nationaux du PCF.

Dans le passé, des centaines de milliers de travailleurs ont lutté, au prix d’énormes sacrifices personnels, et parfois au prix de leur vie, pour construire le Parti Communiste. Malgré les crimes et les aberrations du « stalinisme », ils voyaient dans le PCF l’instrument d’une lutte implacable contre le capitalisme et pour son remplacement par le socialisme. L’adoption d’une politique de plus en plus ouvertement réformiste a grandement contribué à l’effondrement de la crédibilité du PCF, aux yeux des travailleurs et de la jeunesse. Cela ne pouvait mener qu’à la contraction de sa base électorale, militante et syndicale.

Une « majorité de gauche » ?

A l’époque du gouvernement Jospin, les dirigeants du PCF répondaient aux critiques des militants en leur rappelant qu’ils étaient minoritaires, dans le gouvernement, et qu’il fallait s’aligner sur la politique de la majorité socialiste. Cautionner la privatisation de 31 milliards d’euros d’actifs publics, les attaques contre l’Education Nationale, la participation aux coalitions impérialistes en Afghanistan et en Serbie, c’était le prix à payer pour conserver les fauteuils ministériels. Depuis, il n’y a pas eu de changement significatif dans la politique du parti. Sa direction ne réclame pas la renationalisation des industries privatisées, à l’époque – et continue, aujourd’hui même, à cautionner des privatisations, aux niveaux municipal et régional.

Ce comportement a sérieusement affaibli l’autorité politique des dirigeants auprès des communistes eux-mêmes. Lors du congrès de 2008, 40% des adhérents ont voté pour les textes oppositionnels, dont 15% pour le texte présenté par les communistes de La Riposte. Par ailleurs, il n’est pas du tout exclu que la direction du parti accepte des postes dans un futur gouvernement socialiste. Lors d’une récente interview, sur BFM TV, Karl Zéro a demandé à Patrick Le Hyaric, directeur de L’Humanité, si le « Front de Gauche » pouvait déboucher sur la participation à un futur gouvernement socialiste. Le Hyaric a répondu de la manière suivante : « Oui. Il n’y a pas de force, qui, seule, à gauche, puisse penser avoir une majorité, demain. Donc, il faut évidemment avoir une majorité, avec un flanc gauche solide, de telle sorte qu’il n’y ait pas de dérive, comme on en a connu. ». Si cette orientation devait s’affirmer, elle serait vivement contestée, dans les sections, et provoquerait une crise majeure au sein du parti. De nombreux militants comprennent que sur la base du programme actuel du PS, le « flanc gauche » d’un gouvernement PS-PCF ne pourrait empêcher aucune « dérive » – à commencer par celle, une fois de plus, de la direction du PCF lui-même.

Les élus communistes

La récession économique aura un impact important dans la vie interne du PCF. Plus que jamais, la voracité des capitalistes est sans limites. Ils veulent transformer ce qui reste du secteur public en sources de profit, qu’il s’agisse des universités, des hôpitaux, des services postaux, de l’eau, des transports urbains, du ramassage et du traitement des déchets, des cantines scolaires ou du gardiennage. Les « lobbies » capitalistes et leurs complices politiques s’entendent pour arracher au public, de gré ou de force, tous les secteurs d’activité potentiellement rentables. Les élus du PCF, qui pèsent très lourd dans la détermination de sa politique, se trouvent en première ligne face à ces pressions, et ne réagissent pas toujours de la bonne manière. C’est que toute opposition franche à de telles privatisations – comme à des suppressions d’emplois municipaux, etc. – ne signifie pas seulement une confrontation directe avec les capitalistes qui convoitent les « marchés publics ». Elle peut signifier, aussi, l’éclatement de majorités ou d’alliances, notamment avec le Parti Socialiste. Cela ne va pas toujours dans le sens des ambitions personnelles de certains élus. Chacun doit choisir son camp. Un processus de différenciation politique en résulte qui va, dans la période à venir, provoquer une nouvelle série de crises, au sein du PCF. Les lignes de démarcation entre son aile « liquidatrice » et son aile gauche seront tirées de façon plus nette.

Etre un élu communiste n’est pas une tâche facile. Il faut résister aux pressions, quelles que soient les conséquences personnelles ou électorales qui en découlent. Nous devons un soutien sans faille aux élus du parti qui s’efforcent de se servir de leur position pour mieux défendre les droits et les conditions de vie des travailleurs. Chez un élu authentiquement communiste, les considérations de pouvoir, de prestige et d’avantages matériels n’entrent pas en ligne de compte. Mais à l’évidence, il y a un certain nombre de dirigeants du parti qui cherchent avant tout à se trouver une niche confortable dans les institutions, à profiter des avantages et du prestige qui en découlent, et qui sont prêts à n’importe quel compromis – avec le PS ou la droite – pour y rester. Dans bien des cas, les élus et les dirigeants du parti acceptent de cautionner, et parfois même de promouvoir, des mesures qui vont directement à l’encontre des intérêts des travailleurs. L’affaire Transvilles constitue l’un des exemples les plus flagrants de ce type de comportement. Mais il est très loin, hélas, d’être un cas isolé.

La Riposte critique le programme actuel du parti. Elle explique que la lutte contre la régression sociale et contre toutes les autres conséquences néfastes du capitalisme ne peut être menée à son terme sans mettre fin à la propriété capitaliste des banques, de l’industrie, des services et de la grande distribution. Le communisme, c’est d’une part la propriété publique des moyens de production et d’échanges – et d’autre part un Etat sous le contrôle démocratique des travailleurs, à tous les niveaux, et au service de ces derniers. Le programme du parti laisse l’essentiel de l’économie aux capitalistes, mais prône timidement la propriété publique de quelques secteurs, tels que l’eau et les transports en commun. Or, il s’avère que même ce programme minimum n’est pas respecté par les dirigeants du parti, qui couvrent d’un silence complice – quand ils n’y sont pas directement impliqués – les nombreuses privatisations de ces services publics, au niveau local.

Marxisme ou réformisme

Au fond, la différenciation à l’œuvre dans le parti est une expression de l’impasse du réformisme. Le réformisme, c’est l’adaptation au capitalisme, l’abandon de la lutte contre le système. Or, c’est une chose de s’accommoder du capitalisme quand lui-même peut s’accommoder des réformes. Mais c’en est une autre quand le capitalisme est devenu totalement incompatible, non seulement avec de nouvelles avancées sociales, mais même avec celles du passé. Pour le capitalisme, la destruction des conquêtes sociales est devenue un enjeu absolument vital. Ce système signifie désormais la régression sociale permanente. Les bases économiques et sociales du réformisme ont donc disparu. Du réformisme avec des réformes, on est passé d’abord au réformisme sans réformes – pour finir avec des « réformistes » qui mènent des contre-réformes !

De toute évidence, partant de considérations d’ambitions, de revenus et de prestige, une partie importante des échelons supérieurs du PCF a tiré la conclusion que, d’une façon ou d’une autre, il faut rompre avec l’« étiquette » communiste et les traditions militantes et révolutionnaires qu’elle représente. Telle est la motivation première qui se trouve derrière les appels incessants de nombreux dirigeants à de « profondes transformations » ou à la « métamorphose » du parti. La dernière manœuvre dans ce sens est celle du « Front de gauche ». L’accord avec Mélenchon a été manigancé dans le dos des militants, et tardivement soumis à un vote dans les sections, quand tout était déjà en place. Il s’agit d’habituer les communistes à ne pas avancer sous leurs propres couleurs. Les dirigeants du parti n’ont aucune intention de limiter ce « front » aux élections européennes. D’ores et déjà, dans les échelons supérieurs du parti, on évoque l’idée de mettre le PCF à la remorque d’une candidature de Mélenchon aux présidentielles de 2012.

Mélenchon lui-même, qui ne veut pas de l’étiquette communiste, mais veut bien profiter des militants du parti pour mener ses campagnes, souhaiterait que cette alliance débouche sur un nouveau parti. La direction actuelle du PCF penche dans le même sens, et ce malgré l’opposition de l’écrasante majorité des communistes à cette perspective. On nous cite en modèle le parti Die Linke, en Allemagne, c’est-à-dire un parti réformiste dont le programme est pratiquement identique à celui du SPD. A Berlin, par exemple, Die Linke a mené, avec le SPD, une politique de coupes budgétaires et de régression sociale qui n’a rien à envier aux municipalités de droite. Cependant, une tentative d’orchestrer la liquidation du PCF au moyen d’une fusion avec de petites formations – comme le Parti de Gauche ou les « Unitaires » de Christian Piquet – n’ira pas sans provoquer de profondes divisions. A terme, si les partisans de cette démarche persistent, cela pourrait même déboucher sur une scission du parti.

Les dirigeants du parti se déclarent hostiles à l’apparition de « tendances », parmi les communistes. Ils prétendent défendre l’unité du parti. Mais c’est précisément la politique d’adaptation de plus en plus flagrante au capitalisme en déclin qui menace l’unité du parti. Les tendances n’existent pas pour rien. En fin de compte, elles expriment les intérêts matériels et les objectifs contradictoires qui coexistent, dans le parti. La lutte idéologique – pour ou contre le marxisme, pour ou contre les privatisations, pour ou contre la dissolution du parti – reflète la résistance de la base à la pression du capitalisme qui s’exerce sur le parti. Oui, La Riposte est pour l’unité du PCF. Mais l’unité n’est pas une question abstraite. Lorsque deux orientations diamétralement opposées s’affrontent, l’unité ne peut se faire qu’autour de l’une ou de l’autre, mais pas des deux à la fois.

Jusqu’à présent, la lutte sur ces différentes questions a été contenue dans certaines limites. Cependant, le compromis actuel ne durera pas éternellement. La crise économique et ses conséquences sont trop graves, pour cela. Le fossé entre les classes se creuse un peu plus chaque jour. Les clivages, au sein du parti, en sont une expression. Le réformisme, comme le capitalisme, repose sur la patience des travailleurs. Mais celle-ci a ses limites. La psychologie des travailleurs est en train de changer. Celle des jeunes également. Le capitalisme les pousse vers le bas, les prive d’un avenir digne de ce nom. Cette situation ne peut continuer indéfiniment. Et les dirigeants du parti qui se gaussent d’« archaïsmes » tels que le marxisme et la révolution socialiste, comme s’il y avait quelque chose de « moderne » dans la capitulation à l’ordre établi, en seront pour leurs frais.

La situation économique et sociale qui s’installe, en France, prépare de grands événements, au cours desquels la question du socialisme sera posée, non pas seulement en théorie, mais en pratique, comme c’est le cas actuellement au Venezuela. Le rôle que jouera le PCF dans ces événements est encore une question ouverte, dont la réponse dépendra de son programme et de la qualité de ses dirigeants. Le PCF peut être – doit être – le parti de l’opposition la plus franche et la plus radicale au système capitaliste. Son programme doit redevenir communiste. Il faut orienter le parti dans ce sens, en rupture avec la « modération » réformiste qui le caractérise aujourd’hui.

Greg Oxley (PCF Paris 10e)

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