Le « risque » révolutionnaire des temps modernes – Edito du n° 47

Au mois d’avril dernier, Dominique de Villepin a évoqué le risque d’une révolution sociale en France. Il soulignait le profond sentiment d’injustice et les difficultés matérielles écrasantes qui pèsent sur une fraction grandissante de la population : augmentation massive du nombre de chômeurs, délocalisations, baisse du pouvoir d’achat. A terme, disait-il, si la situation continue de se dégrader, elle risque de déboucher sur une situation sociale que « nous ne pourrons pas contrôler ». Cette prise de position a suscité les foudres de l’actuel premier ministre, François Fillon, qui a accusé de Villepin d’irresponsabilité et de vouloir « mettre de l’huile sur le feu ».

Nous connaissons tous Monsieur de Villepin. C’est un représentant de la classe capitaliste, au même titre que François Fillon et Nicolas Sarkozy. Il n’aurait jamais tenu ces propos s’il était encore à Matignon. Néanmoins, ce qu’il a dit correspond à une vérité profonde. C’est tellement vrai que le simple fait de le dire « met de l’huile sur le feu », car cela met en évidence une réalité que François Fillon souhaite maintenir cachée !

Il arrive souvent que des représentants du capitalisme parviennent, de leur point de vue de classe, aux mêmes conclusions que les marxistes. A partir d’une analyse des processus fondamentaux à l’œuvre, dans l’économie et dans la société, La Riposte a expliqué depuis longtemps que les prémisses matérielles d’une nouvelle révolution étaient en gestation. Au cours de cette révolution, les travailleurs devront affronter et résoudre la question centrale de la propriété des banques, de l’industrie et des moyens de production, de distribution et d’échange en général. Tant que l’économie restera entre les mains des capitalistes, les conséquences sociales de plus en plus insupportables de ce système ne pourront pas être éradiquées.

En un an, la production industrielle française a chuté de 15%. La chute de l’année à venir sera encore plus importante. Les porte-parole du gouvernement qui annoncent une amélioration de la situation économique sont soit des menteurs, soit des imbéciles, soit les deux à la fois. Ils mentent pour donner « de l’espoir » – de faux espoirs – aux travailleurs et à toutes les victimes du capitalisme, dans le but d’éviter que ces derniers ne commencent à prendre en main leur destinée. D’où viendra la reprise annoncée ? L’INSEE déclare que la compétitivité de l’économie française a baissé, sur les marchés intérieur et extérieur. Les partenaires économiques les plus importants de la France sont eux-mêmes en récession. Le plus important de tous – l’Allemagne – a vu son PIB annuel reculer de 6% ! A moins, peut-être, que la « relance de la consommation » ne vienne des 3000 chômeurs supplémentaires que le capitalisme jette dans la rue, chaque jour ?

La perspective d’une révolution est-elle aussi improbable que le prétendent tant « d’observateurs » et de « spécialistes » ? Ces quinze dernières années, la France a connu vague après vague de mobilisations de travailleurs, de retraités et de jeunes. Par des grèves, par des manifestations massives, ils ont tenté d’infléchir la politique des gouvernements successifs, d’inverser la lente descente du niveau de vie, de résister au démantèlement des services publics, à l’emploi précaire, à l’exploitation et aux bas salaires. Rien n’est parvenu à résoudre ou atténuer sérieusement ces problèmes. Au contraire, la régression sociale n’a cessé de s’aggraver. En 1997, ils ont élu – et pas pour la première fois – un gouvernement socialiste-communiste. Ils en ont été amèrement déçus. Le retour de la droite, depuis 2002, leur a infligé des sacrifices plus grands encore. A présent, la récession économique multiplie les souffrances et les injustices. Les grévistes et les syndiqués s’exposent à des représailles patronales de plus en plus sévères. Or, si les grèves, les manifestations et les élections n’apportent pas de solution, que se passera-t-il ? Tôt ou tard, l’idée d’une nécessaire transformation révolutionnaire de la société s’installera, dans la conscience des travailleurs.

Il existe une différence très importante entre la révolution qui approche et les révolutions qui, en leur temps, ont hissé la classe capitaliste à la position dominante qu’elle occupe encore à ce jour. Les révolutions de 1789-1794, de 1830 et de 1848, en France, ont écarté les éléments qui, par leurs intérêts économiques et les positions qu’ils occupaient dans l’Etat, faisaient obstacle à la domination complète de la classe capitaliste. Mais bien avant 1789, la position économique de la bourgeoisie – comme, dans une large mesure, sa position politique et diplomatique – était un fait accompli. Les guerres menées en Amérique, en Inde et ailleurs, au cours du XVIIIe siècle, n’étaient en aucun cas des guerres féodales. Elles répondaient aux intérêts du commerce maritime et de l’expansion de l’industrie et des marchés capitalistes.

La classe qui est appelée à accomplir la prochaine révolution – le salariat moderne – ne peut pas, elle, s’immiscer progressivement dans les rouages de l’Etat et de l’économie, pour la simple raison qu’il s’agit d’une classe sans propriété. La révolution socialiste sera l’acte d’une classe qui, sous l’impact des événements, placée devant l’impossibilité matérielle de résoudre la crise sur la base de l’ordre capitaliste, prendra conscience de la nécessité de mettre fin à cet ordre. Les travailleurs ne peuvent s’émanciper du capitalisme que par une lutte consciente pour le renverser. Cette conscience révolutionnaire ne prend pas forme facilement. Mais la conscience n’est pas quelque chose de fixe et d’immuable. Elle peut changer très brusquement. Et comme le disait Marx, quand la masse s’empare d’une idée, celle-ci devient une force matérielle colossale.

La Riposte

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