Après des années de lamentations du MEDEF sur « l’utilisation exagérée du droit de grève », sur ce « lancinant problème qui mine notre pays », sur « l’intolérable prise en otage des usagers des transports », la cause est enfin entendue. Le Conseil Constitutionnel a validé, début août, la loi sur le service minimum dans les transports terrestres, applicable dès 2008.
Les principales dispositions de la loi constituent l’une des attaques les plus vigoureuses et réfléchies contre les salariés. Elles comportent des limitations au droit de grève qui s’en prennent aux acquis de plus d’un siècle de lutte contre le pouvoir patronal. La loi comprend un délai de prévenance et une « obligation de négocier » qui imposent jusqu’à 11 jours entre le mot d’ordre de grève et l’entrée en grève effective. Un seul préavis est autorisé pour chaque sujet. La loi comprend également l’obligation de se déclarer gréviste deux jours avant, pour chaque salarié, sous peine de sanctions. Il y a aussi la possibilité, pour la direction ou des non-grévistes, de contester la « validité » de la grève en organisant une consultation après 8 jours de conflit. Enfin cette loi prévoit d’imposer des « négociations » entreprise par entreprise ou secteur par secteur.
N’importe quel syndicaliste sérieux, n’importe quel travailleur éprouvant quotidiennement les traitements physiques et psychologiques qui lui sont imposés dans l’entreprise, comprendra immédiatement où le mènerait l’acceptation de ce diktat. Les intimidations, l’isolement, les pressions déjà monnaie courante, rendraient considérablement plus difficile l’organisation de luttes collectives, sans parler des conséquences prévisibles sur les critères des futures embauches et les termes du contrat de travail ! Cela signifierait tout simplement l’impossibilité de déclencher une grève sans prendre le risque que celle-ci ne soit décrétée illégale.
La droite se moque éperdument du service minimum dans l’intérêt des usagers, qui ne sert ici que de prétexte à une limitation grave et totalement inacceptable du droit de grève. Les dysfonctionnements des transports publics sont dus, dans 98% des cas, au démantèlement dont ils ont fait l’objet au motif de rentabilité, aux suppressions de personnels, au non-remplacement des matériaux vétustes, etc. Ces attaques permanentes contre les transports publics font que le véritable « service minimum », c’est le quotidien des voyageurs. Quant au problème de la « continuité du service public », il risque fort de se solder par la livraison de notre bien commun au secteur privé. Mais curieusement, c’est aux 2% des cas de dysfonctionnement (ceux conséquents aux « faits de grève ») que le gouvernement consacre tous ses efforts, avec une vertueuse indignation !
D’ailleurs, la presse capitaliste claironne : un sondage nous révèle qu’une majorité de nos concitoyens – environ de 70% – est favorable au service minimum ! En réalité, la classe dirigeante elle-même n’attache pas beaucoup de valeur à de tels sondages, qui servent uniquement à manipuler l’opinion publique. Les capitalistes se souviennent avec angoisse des grèves de décembre 1995. Ce grand mouvement avait bénéficié du soutien croissant de la population. Des travailleurs du privé, pieds et poings liés dans leur entreprise, déclaraient même à la télévision que les grévistes se battaient aussi pour eux ! « Plus jamais ça ! », se jurent Sarkozy, Parisot et consorts.
Les patrons et leur gouvernement préparent une remise en cause majeure de nos acquis sociaux, à commencer par les « régimes spéciaux » des retraites dans les transports publics. Mais ils veulent à tout prix éviter de revivre une grève de l’ampleur de décembre 1995, d’autant que se dessine la perspective d’une multitude de conflits dans d’autres secteurs. C’est dans cette optique qu’ils veulent commencer par désarmer la classe ouvrière en s’attaquant au droit de grève.
Certaines voix s’élèvent, à gauche et dans le mouvement syndical, pour qualifier cette loi d’« d’inutile ». Cependant, rien ne serait plus dangereux, pour nous, que de la banaliser. La grève reste une arme décisive contre le capitalisme, celle qui frappe au cœur de ses intérêts. La classe dirigeante le sait parfaitement, et elle considère à juste titre cette loi comme très « utile », de son point de vue. Notre riposte doit être à la hauteur de l’enjeu.
Pour que tout le monde saisisse bien « l’esprit » de la future loi, prenons un exemple. La direction de la RATP veut déjà sanctionner les grévistes de la ligne T3 du tramway, suite à un tract de la CGT « portant atteinte à l’image de l’entreprise », lors de la grève de juin. En toute logique, le gouvernement voudra par la suite étendre ces mesures aux autres services publics, comme Fillon l’a déjà proposé pour l’Education Nationale. Puis ce serait le tour du secteur privé, où le patronat exerce pourtant de longue date, et plus facilement que dans le public, une politique systématique de répression anti-grève et anti-syndicale, en général dans la plus grande impunité.
Lors d’un forum de discussions, une camarade déclarait : « Sarkozy nous invite à la lutte des classes : allons-nous décliner son invitation ? ». La question mérite effectivement d’être posée, et en premier lieu aux directions des confédérations syndicales. En effet, comment celles-ci pourraient-elles justifier auprès des salariés la « négociation » de leur droit de grève ?
Le droit de grève ne se négocie pas. La grève porte son droit en elle-même. La conquête du droit de grève est le résultat de la grève elle-même. Le pouvoir en a pleinement conscience. Son acharnement n’a pas d’autre explication.
Jacques Lesne (PCF Bobigny)