La crise générale du capitalisme trouve
son expression dans les violents bouleversements des relations internationales.
Toutes sortes de fissures apparaissent dans des institutions
qui ont été soigneusement mises sur pied après
1945 dans le but d’assurer la stabilité de l’ordre
capitaliste mondial et l’hégémonie des Etats-Unis
sur ses « alliés ». Au cours des quelques semaines
qui ont précédé la guerre en Irak, les Nations
Unis, l’OTAN, l’Union Européenne et le G8 sont
entrés en crise, cumulant tous les symptômes de la dislocation.
Toutes ces institutions furent déchirées par des divisions
et des dissensions internes. Il y eut même un conflit ouvert
entre les Etats-Unis et la Turquie, laquelle a pourtant soutenu, sans
poser de question, toutes les invasions américaines depuis
1945.
Ces phénomènes ne sont ni secondaires,
ni de simple « corrections », mais représentent
au contraire une crise sérieuse des relations internationales
– la plus sérieuse depuis 1945. On peut faire une analogie
avec les phénomènes de la géologie. Des ajustements
mineurs – les « corrections » – interviennent
en permanence dans la croûte terrestre, en réponse aux
pressions qui s’exercent sous la surface. Mais dans certaines
circonstances, ces ajustements mineurs produisent des résultats
exceptionnels et spectaculaires. Ce qui commence comme un ajustement
mineur se termine en un énorme bouleversement – un tremblement
de terre.
L’effondrement de l’URSS, à l’instar
d’une modification sismique des plaques tectoniques, a provoqué
une modification soudaine et fondamentale dans l’équilibre
des forces à l’échelle mondiale. Et comme dans
tout changement de cette nature, des tremblements de terre en ont
résulté. Ce à quoi nous avons assisté
après le 11 septembre est l’équivalent, dans le
domaine de la diplomatie, d’un tremblement de terre. Le tableau
général est composé d’un enchaînement
de convulsions et d’explosions. Ceci reflète l’impasse
du capitalisme à l’échelle mondiale. Cette impasse
s’exprime à travers une lutte féroce pour des
marchés, des matières premières et des sphères
d’influences, ce qui abouti à une succession de guerres
et de crises diplomatiques.
Tout comme la croûte terrestre, la structure
de la politique et de l’économie mondiales est un mécanisme
assez fragile, sujet à des cataclysmes. C’est pourquoi
la méthode empirique – qui s’appuie sur ce qui
est immédiatement perceptible, ou sur ce qui nous est familier
du fait des expériences passées – est désespérément
inadaptée à l’interprétation de phénomènes
aussi complexes et contradictoires. Pour comprendre ce qui se passe
à l’échelle du monde, il ne suffit pas de prendre
note de tel changement ou de tel phénomène accidentels.
Il est nécessaire de saisir les processus sous-jacents et de
mettre en lumière leurs contradictions internes et leurs tendances
fondamentales.
Il est généralement admis que la situation
générale – économique, diplomatique et
militaire – est plus ou moins stable, et qu’elle tend
toujours vers un certain équilibre. Il y a là une part
de vérité, mais le fait est que cet « équilibre
» est sujet à des perturbations constantes. La conduite
actuelle de l’impérialisme américain ressemble
à celle de sa première grande période d’expansion,
à la fin du XIXème siècle, lorsqu’il montrait
sa puissance pour la première fois dans la guerre avec l’Espagne
pour la domination de Cuba, ou qu’il s’emparait des Philippines
et de Porto Rico. Cette nouvelle politique est une réminiscence
de la période de Théodore Roosevelt, lorsque les Etats-Unis
organisaient des provocations, comme le naufrage du Maine, pour justifier
leur intervention armée à Cuba, en 1898.
Leur véritable intention, à l’époque,
était de refouler l’Espagne hors des Amériques
et de s’emparer de ses colonies. La différence est qu’il
s’agissait alors d’un impérialisme jeune, luttant
pour s’affirmer sur l’arène mondiale, défiant
les vieux pouvoirs bien établis de l’Angleterre, de la
France et de l’Allemagne. De nos jours l’impérialisme
américain fait la même chose mais sur l’ensemble
du globe terrestre, prenant des territoires, des sources de matières
premières et des sphères d’influences au dépend
de ses rivaux. Il se confronte en particulier à la France,
mais aussi à l’Allemagne et à la Russie. Suite
à l’effondrement de l’URSS, les Etats-Unis se sont
affirmés comme la puissance mondiale dominante et la seule
superpuissance. C’est là un facteur majeur de l’instabilité
générale du monde.
Dans la nouvelle course aux armements, les Etats-Unis
dominent le monde. Les dépenses militaires américaines
sont sur le point de dépasser de 700 milliards de dollars ce
qui avait été initialement prévu dans les projections
budgétaires de Bush. Il s’agit de sommes d’argents
vraiment hallucinantes et qui, si elles étaient utilisées
de manière productive, permettraient de transformer la vie
des peuples du monde entier. Au lieu de cela, elles servent à
tuer le plus grand nombre possible de gens et à détruire
des moyens de productions. C’est là une autre manifestation
de la crise générale du capitalisme et de son état
de pourrissement avancé.
Les contradictions entre les pouvoirs capitalistes
se sont extrêmement aggravées. Directement ou non, les
Etats-Unis interviennent partout : en Irak, en Afghanistan, en Palestine,
en Corée du Nord, en Colombie, au Venezuela, etc. Ils concurrencent
la France au Moyen Orient et en Afrique. Bush a effectué une
tournée en Afrique, où il a visité le Sénégal
(un satellite de la France) et le Nigeria (où il y a de larges
réserves de pétrole), ainsi que le Botswana et l’Ouganda.
Les autres puissances impérialistes interviennent également
en Afrique : la Grande-Bretagne en Sierra Leone et la France en Côte
d’Ivoire et au Congo. Dans un contexte de crise économique,
ils doivent s’accrocher même au plus petit marché.
Dans une telle situation, des organisations comme
les Nations Unis ne peuvent jouer aucun rôle. Nous avons déjà
expliqué à de nombreuses reprises que même durant
la période précédente, les Nations Unies n’étaient
rien de plus qu’un forum où les principales puissances
impérialistes et la bureaucratie de Moscou pouvaient régler
des problèmes secondaires. Tous les problèmes sérieux
étaient réglés par les moyens traditionnels –
c’est-à-dire par la guerre. Ce fut le cas en Corée,
où la partie s’est terminée sans véritables
vainqueurs, et au Vietnam, où les Etats-Unis ont subi leur
première défaite dans une guerre. Israël a systématiquement
ignoré les résolutions de l’ONU. Et ainsi de suite.
Les réformistes de gauche ne comprennent pas cela. Ils imaginent
que, sur la base du capitalisme, il est possible d’éviter
les guerres et d’éliminer les antagonismes nationaux
grâce à un organisme international (« un parlement
mondial »).
Il s’agit là d’une illusion encore
plus absurde que le rêve que font les réformistes d’abolir
la lutte des classes et d’en arriver à une entente raisonnable
entre capitalistes et travailleurs. Comme Hegel l’expliquait
il y a longtemps, le problème est que ce n’est pas la
raison qui dicte la conduite des nations, mais bien les intérêts.
C’est vrai aussi bien dans la politique internationale que dans
la politique nationale – l’une n’étant que
le prolongement de l’autre. La politique intérieure et
étrangère de l’administration Bush est dictée
par l’appétit vorace et insatiable des grandes multinationales
américaines. La puissance colossale de l’impérialisme
américain signifie qu’il peut déchirer tout accord
ou traité qui ne correspond pas à ses intérêts
– et c’est ce qu’il fait.
Désormais, le Conseil de Sécurité
ne peut même plus jouer le rôle secondaire que les Nations
Unis jouaient par le passé. Loin d’avoir éliminé
ou diminué les antagonismes entre Etats, et donc les risques
de guerres, les Nations Unies ont été le théâtre
de conflits féroces entre les impérialismes américain,
anglais, allemand, français, et désormais russe. Comme
pour ridiculiser les appels pathétiques des réformistes,
l’ONU a démontré sa complète impuissance
lors de la guerre en Irak. Dès lors qu’ils n’ont
pu obtenir une majorité en leur faveur, les impérialistes
américains et leur marionnette anglaise ont superbement ignoré
le Conseil de Sécurité.
Ceci annonce une période nouvelle et tourmentée
dans les relations internationales. De même que, dans les rapports
entre les classes, les capitalistes ont jeté le masque du réformisme
et de la collaboration de classe et découvert le visage de
la guerre de classe, de même, dans les relations internationales,
ils se sont dispensés des services de l’ONU et ont déchiré
pactes et accords. En particulier, les capitalistes américains
ont recours à la guerre, non en dernière instance, mais
quasiment à titre de réaction automatique. Au lieu de
la vieille diplomatie policée des européens –
qui n’était dans tous les cas qu’une feuille de
vigne masquant leur agressivité -, l’administration
Bush a adopté une attitude grossière et flagrante qui
défie les opinions mondiales et n’admet aucun compromis.
Sa devise est : « la force fait droit ! »
Les Etats-Unis ont pris le contrôle d’anciennes
zones d’influence de la Russie en Europe de l’Est et dans
les Balkans. Dans le dernier cas, ils l’ont fait au moyen d’une
guerre délibérément provoquée pour faire
chuter Milosevic. Les arguments de la démocratie, de l’humanitarisme
et de l’autodétermination des Albanais du Kosovo n’étaient
qu’un écran de fumée, un conte de fée propre
à convaincre de jeunes enfants – ainsi que les sectaires
d’extrême gauche, qui ne se distinguent jamais par leur
capacité à réfléchir. Le résultat
en a été toujours plus de misère, de mort et
de chaos pour la population, ainsi que la consolidation de l’emprise
de l’impérialisme américain sur la région.
Cependant, nous pouvons déjà y voir les limites de la
puissance de l’impérialisme.
Dans les Balkans, l’intervention américaine
n’a rien résolu. Comme nous l’avions prévu,
il n’en résulte que le chaos et les risques de nouveaux
conflits et guerres ethniques. Les nationalistes réactionnaires
du Kosovo et de la Macédoine se sont embarqués dans
une campagne pour une « Grande Albanie ». C’est
la recette parfaite pour de nouvelles guerres et de nouveaux bouleversements
dans les Balkans. Les impérialistes se rendent désormais
compte qu’ils s’y sont brûlés les doigts.
Un officier britannique, en Macédoine, a décrit l’AKSh
– L’Armée Nationale Albanaise, active parmi la
minorité de langue albanaise en Macédoine – comme
« des criminels portant un drapeau politique de complaisance,
dans l’espoir de trouver une légitimité ».
C’est une description assez exacte des choses, mais il est un
peu tard pour se lamenter sur les résultats de l’intervention
des impérialistes en Yougoslavie, qui ont encouragé
et soutenu ces éléments. Souvenons-nous également
que ces soi-disant « combattants de la paix », qui ne
sont pas seulement liés à la réaction de droite
mais aussi au crime organisé international, étaient
soutenus avec enthousiasme par les sectes d’extrême gauche.
C’est typique ce qui arrive lorsqu’on
abandonne une position de classe sur la question nationale. Le démantèlement
de la Yougoslavie était un développement réactionnaire
qui allait à l’encontre des intérêts de
tous les peuples. C’était un crime sans le moindre soupçon
de contenu progressiste. Ce crime était pourtant soutenu par
les sectes d’extrême gauche – au nom du «
droit à l’auto-détermination » des peuples.
La clique dominante russe a observé avec impuissance
l’occupation par les Etats-Unis des pays de l’ancien bloc
soviétique. Les généraux russes ont rongé
leur frein en voyant l’OTAN s’étendre jusqu’aux
frontières de la Russie. Cette faiblesse est un signe de l’état
lamentable de la bourgeoisie russe. Les forces américaines
se sont installées au Caucase. Au temps de l’URSS, une
telle chose aurait été inconcevable. L’impérialisme
américain est désormais gonflé d’arrogance.
La soi-disant « révolution des roses », en Géorgie,
est un autre exemple de l’expansion de l’influence de
l’impérialisme américain dans les anciens satellites
de la Russie.
Les impérialistes américains se comportent
de la même manière que par le passé, lorsqu’ils
prirent le contrôle de parties de l’empire chinois moribond.
Après la guerre en Afghanistan, les Américains se sont
systématiquement installés en Asie Centrale, prenant
le contrôle des puits de pétrole, construisant des oléoducs
et établissant des bases. Ceci aura des conséquences
très profondes à l’avenir. L’objectif stratégique
à long terme de l’impérialisme américain
a toujours été de contrôler l’Asie. C’était
déjà le cas lorsqu’ils se sont saisis des Philippines,
il y a un siècle. Mais la situation n’est plus la même
qu’il y a un siècle, lorsque la Chine était affaiblie
et sans défense. A l’époque, la tentative de dominer
la Chine avait mené à la Guerre du Pacifique contre
le Japon. Désormais, la Chine elle-même est devenue une
puissance majeure en Asie, aussi bien économiquement que militairement.
Le lancement d’un satellite spatial chinois annonce au monde
qu’il faut considérer la Chine comme l’une des
grandes puissances.
Pour paraphraser Napoléon, lorsque l’Asie,
avec son immense population et ses vastes ressources, se réveillera
de son long sommeil, le monde tremblera. Le bassin Pacifique, qui
comprend géographiquement la Côte Ouest des Etats-Unis,
le Japon et la Russie, est clairement destiné à devenir
le centre des événements au XXIème siècle.
Il jouera le même rôle qu’a pu jouer l’Atlantique
au XXème siècle et la Méditerranée dans
l’antiquité. Le potentiel productif de l’Asie est
immense. Nous avons déjà eu un aperçu de ce potentiel
avec les progrès spectaculaires des « tigres »
asiatiques dans les années 80 et la première moitié
des années 90. Sur la base d’une planification socialiste
de la production, unifiant de façon rationnelle les économies
de toute la région, le potentiel de l’Asie serait illimité.
Par contre, sur une base capitaliste, l’émergence
d’économies puissantes en Asie n’amènera
pas la paix et la prospérité, mais de nouveaux dangers.
De nouvelles lignes de faille se développeront, particulièrement
en Asie. Le prochain centre de l’histoire mondiale sera le théâtre
de nouveaux conflits et de nouvelles guerres. La manière avec
laquelle Bush et les autres bandits de la Maison Blanche menacent
la Corée du Nord – usant de l’excuse des armes
nucléaires et d’une soi-disant menace sur les intérêts
nationaux américains -, est une indication supplémentaire
de leur volonté de se mêler des affaires de l’Asie.
Mais en dépit de toutes leurs intimidations, ils n’osent
pas attaquer la Corée du Nord comme ils ont attaqué
l’Irak, car la première dispose d’une armée
puissante et de missiles capables de provoquer d’immenses dégâts.
En dépit de l’apparente détente
des relations avec la Chine, les Etats-Unis entreront inévitablement
en conflit avec elle. Les tensions actuelles sur la question du commerce
en sont les prémisses. La situation actuelle, celle d’un
monde dominé par une seule grande puissance, ne pourra pas
durer éternellement. Elle conduit, paradoxalement, à
une plus grande fragmentation du monde, aussi bien politiquement qu’économiquement.
De ce chaos émergeront de nouvelles puissances et de nouveaux
blocs, dont les principaux intérêts seront en contradiction
avec ceux de l’Amérique. La Chine jouera un rôle
clé dans ce processus, car elle sera en concurrence avec les
Etats-Unis pour la domination de l’Asie. La logique des évènements
veut que la Chine, la Russie, et peut-être l’Inde, se
regroupent à l’avenir dans un bloc dirigé contre
les Etats Unis.