La guerre en Irak et le conflit franco-américain offrent au monde entier une nouvelle preuve du déclin inexorable du capitalisme français en tant que puissance mondiale. Son opposition à l’invasion de l’Irak, qui assène au passage un coup fatal à ses propres intérêts économiques dans la région, a été balayée avec mépris par Bush et ses acolytes.
Les circonstances particulières de la guerre en Irak ont fait que Chirac, Raffarin et Villepin se sont présentés comme les “défenseurs de la paix”, comme ceux qui cherchent par tous les moyens à éviter “l’horreur de la guerre”. Or, ce touchant spectacle s’explique avant tout par le déclin de la position mondiale de l’impérialisme français, notamment par rapport aux Etats-Unis et à l’Allemagne. Depuis plus de 60 ans, l’impérialisme français perd constamment du terrain en Asie, en Afrique, et la guerre actuelle se traduira par un net recul de ce qui reste de son influence au Moyen Orient. Les dépenses militaires de la France ne représentent que 7% du budget militaire des Etats-Unis. Les dernières guerres – en Irak en 1991, en ex-Yougoslavie en 1999, et récemment en Afghanistan – ont amplement démontré les limites des forces militaires françaises. Le mépris que l’appareil militaire français inspire aux dirigeants américains figure dans une note officielle datée du 1er octobre 2002 de la Heritage Foundation, qui fournit des analyses et conseils stratégiques à la Maison Blanche : “Certes, des troupes françaises, y compris celles de sa Légion Etrangère, seraient un complément utile aux forces anglo-américaines dans l’Irak de l’après-guerre. Cependant, étant donnée la piètre qualité des prestations françaises dans les opérations de maintien de la paix au Rwanda-Burundi et dans les Balkans, il est impératif de placer les forces françaises sous le commandement de l’Etat-major américain et britannique.”
Dans ces conditions, le capitalisme français était incapable de faire valoir ses prétentions concernant les réserves pétrolières irakiennes et le partage du butin de guerre en général. Il y avait des accords entre la dictature de Saddam Hussein et la France sur son accès prioritaire aux réserves pétrolières irakiennes en cas de levée de l’embargo. L’invasion américaine rend ces accords caducs, et empiète donc directement sur les intérêts de l’impérialisme français : telle est la principale raison de l’opposition de l’Elysée.
L’impérialisme français n’est pas moins rapace, ni moins meurtrier que l’impérialisme américain. La seule différence entre eux consiste dans la puissance militaire et économique dont ils disposent. Les représentants du capitalisme français n’ont jamais hésité à faire la guerre lorsque leurs intérêts étaient en jeu. Au cours du siècle dernier, les peuples d’Indochine, de Madagascar, du Maroc et d’Algérie ont payé un très lourd tribut au bellicisme de l’impérialisme français. Et aujourd’hui, au moment même où Chirac se fait l’apôtre de la paix au sujet de l’Irak, l’armée et les services de renseignement français, parfois à l’aide de bataillons de mercenaires à la solde de la France, sont impliqués dans des conflits armés : au Soudan, en Sierra Leone, et en Côte d’Ivoire.
En Sierra Leone, la France encourage en sous-main une guerre dirigée contre les intérêts anglo-américains, l’enjeu principal étant le contrôle des mines de diamants. Au Soudan, cela fait de nombreuses années que l’appareil militaire français collabore étroitement avec le régime intégriste au pouvoir à Khartoum, lequel est en guerre contre les rebelles du sud, appuyés, eux, par les Etats-Unis. A Congo-Brazzaville, la mainmise de TotalFina-Elf sur les réserves pétrolières n’a été conservée qu’au moyen d’une guerre civile à l’initiative de la France. La France vend des armes et collabore avec des dictatures sanguinaires dans le monde entier, et assure parfois la formation du personnel de leurs appareils répressifs. N’oublions pas, non plus, qu’il n’y a pas si longtemps, la France a été lourdement impliquée dans la guerre civile au Rwanda, laquelle a coûté la vie à plus de 500 000 personnes. Des officiers de l’armée française étaient présents dans les camps d’entraînement des combattants hutus, et le financement de ce carnage a été assuré, entre autres, par les bons offices du Crédit Lyonnais.
De toute évidence, l’occupant actuel de l’Elysée et la classe qu’il représente ne se sont pas opposés au projet de Bush pour des raisons humanitaires ou “pacifistes”, mais tout simplement parce que cette guerre va à l’encontre de leurs intérêts. Elle va fatalement se traduire, en cas de victoire américaine, par l’accès des compagnies pétrolières américaines aux importantes réserves pétrolières irakiennes, au détriment de l’industrie pétrolière française. L’occupation militaire de l’Irak par les Etats-Unis ramènera la France au rôle de spectateur impuissant des affaires des grandes puissances au Moyen Orient.
Sur le plan intérieur, le déclin du capitalisme français se manifeste dans le caractère totalement réactionnaire et parasitaire de la classe dominante, qui, tenant fermement entre ses mains avares les leviers du pouvoir économique, se dresse comme un mur contre le moindre progrès social. Pour défendre ses profits et ses intérêts égoïstes, elle s’attaque à l’infrastructure industrielle, sociale et culturelle du pays, refoulant la société en arrière. Quel est le salarié, le jeune ou le retraité dont les perspectives ne sont pas compromises par les projets du patronat et du gouvernement ? La pauvreté se généralise, le chômage augmente, des communautés entières sont dévastées par des fermetures d’entreprises et des suppressions d’emplois massives. Le nombre d’emplois précaires a fortement augmenté. En 1983, il y avait moins de 250 000 CDD en France ; en 2002, il y en avait 930 000. Sur la même période, les emplois intérimaires ont progressé de 100 000 à 700 000. Les salariés en contrat précaire sont les plus durement touchés par la crise actuelle. Dans le seul mois de juillet 2002, 109 600 intérimaires et 39 900 personnes en CDD ont déposé une demande d’emploi pour cause de fin de contrat. Toujours à l’affût de nouvelles sources de profit, les détenteurs de capitaux lorgnent vers le système éducatif et vers les “marchés” potentiels des retraites et de la couverture sociale. D’où les projets du gouvernement pour ouvrir davantage les universités, les retraites et la sécurité sociale aux investisseurs privés. Dans le domaine de l’emploi, des services publics et du logement, le constat qui s’impose est le même : le capitalisme français ne peut continuer d’exister qu’en infligeant la régression sociale à la vaste majorité de la population.
En 2002, la croissance du PIB français ne dépassait pas 1%. Cela n’a pas empêché Chirac et Raffarin, suivis, naturellement, par les “économistes” du PS et du PCF, de prévoir, pendant la dernière campagne électorale, une croissance entre 2,5% et 3,5% pour 2003. Aujourd’hui, tous doivent revoir leurs prévisions à la baisse. Francis Mer parle de 1,5% en 2003, mais, comme il le sait lui-même, c’est impossible. L’économie française se dirige tout droit vers une récession. Même sans la guerre, la croissance, en 2003, va être inférieure à 1%. Or, les répercussions de la guerre sur l’économie mondiale accéléreront son évolution vers des chiffres négatifs. L’Allemagne est également en crise, ce qui aggravera la situation de la France, l’Allemagne étant de loin le principal importateur de produits français. Les investissements sont en baisse. Depuis plusieurs mois déjà, la production industrielle française est en récession. Entre 2000 et 2001, il n’y a eu aucune augmentation des investissements industriels ; entre 2001 et 2002, ils ont chuté de 7%. Cette réduction de l’activité économique entraîne une baisse importante des recettes fiscales. Le déficit budgétaire de l’Etat s’approchait de 46 milliards d’euros en 2002 et se creuse avec chaque mois qui passe. Raffarin réagira en s’attaquant aux dépenses publiques – à l’exception, bien sûr, de celles destinées à l’armée et au renforcement de l’appareil répressif et policier.
L’impasse dans laquelle s’enlise le capitalisme pose un défi absolument incontournable aux organisations syndicales et politiques du salariat français. Car dans sa lutte pour rétablir le sacro-saint “équilibre” de l’économie française – par laquelle elle entend la protection de ses profits – la classe capitaliste rompra un autre “équilibre”, celui qui permet aux classes sociales antagoniques de coexister à peu près pacifiquement. Les idées et les traditions du socialisme ont été ridiculisées et maintes fois enterrées par “l’opinion publique” de toute la “bonne société” qui profite du système actuel. Mais l’expérience de la réalité implacable du capitalisme est en train de changer les mentalités. Aujourd’hui, la conscience des millions de jeunes et de travailleurs qui constituent la force vitale de la société française est en train de se façonner sous la pression de la régression sociale et économique, de crises et de guerres. Ils n’ont d’autre choix que d’entrer en lutte.
Tôt ou tard, les jeunes et les travailleurs français suivront le même chemin que ceux d’Espagne et d’Italie. Surmontant les réticences des directions du PS, du PCF, et des organisations syndicales, ils en viendront à l’idée d’une grève générale – peut-être de 24 heures, pour commencer. Puis ils renoueront avec leurs plus grandes traditions, celles de 1936 et de 1968 : l’heure d’une confrontation décisive avec le capitalisme aura sonné. Nul ne saurait prévoir la date de cette épreuve, ni le cours exact des événements qui nous y conduiront. Mais elle est inéluctable, et nous devons dès aujourd’hui nous préparer, nous et nos organisations, à y faire face, car, à ce moment-là, le renversement du capitalisme sera bien plus qu’une idée ou un programme écrit : il se présentera à l’immense majorité de la population comme une tâche pratique immédiate, comme ce fut le cas en 1968.
Le capitalisme a depuis longtemps cessé d’être un système progressiste. Il n’offre à la société qu’un avenir entaché de chômage, de pauvreté, d’inégalités flagrantes, de régression sociale, de racisme, de militarisme et de guerres. Rien ne justifie que le contrôle des moyens de production et de distribution soient concentré entre les mains d’une infime minorité de profiteurs. Le salariat, en tant que classe, constitue l’écrasante majorité (86%) de la population active. De plus, en raison des progrès technologiques, de la concentration et l’interdépendance accrue de tous les secteurs de l’économie nationale, les travailleurs disposent d’un immense pouvoir. Rien n’est produit, rien n’est transporté, rien n’est vendu sans leur consentement. Le salariat moderne se présente désormais comme la seule force sociale qui soit directement intéressée à la sauvegarde et au développement des moyens de production et des services publics. C’est à cette classe, à notre classe, que doit revenir la direction la société – dont elle assure déjà toutes les fonctions essentielles. Le salariat doit prendre en main les reines du pouvoir économique et étatique, et les placer sous son contrôle et sa gestion démocratique. Tel est le programme du socialisme.
Nous qui voulons nous battre contre le système actuel, nous avons besoin de rétablir les idées, le programme et les traditions militantes du socialisme révolutionnaire dans les universités, les entreprises et les quartiers. Il faut également les rétablir au sein du Parti Socialiste, du Parti Communiste et des organisations syndicales. Ces grandes organisations, qui ont été crées pour nous défendre contre le capitalisme et lui mener bataille, sont tombées sous la direction d’individus complaisants, dont les idées politiques n’ont rien à voir avec les véritables traditions socialistes, et qui sont plus soucieux de leurs carrières que du sort du peuple. La Riposte militera de toutes ses forces pour atteindre ces objectifs, et appelle tous ceux qui partagent cette ambition, qu’ils soient travailleurs ou étudiants, à la rejoindre dans son combat. Résistons à Chirac, à Raffarin, à Sarkozy, et au système qu’ils représentent ! Luttons contre les injustices du capitalisme, et pour la création d’une société nouvelle, la société socialiste !
Greg Oxley