L’école en marche arrière

Ces dernières années ont été marquées par des mobilisations d’ampleur dans l’Education Nationale, impliquant professeurs, élèves, étudiants universitaires et parfois même les parents d’élèves. Elles expriment à la fois leur détermination à s’opposer aux contre-réformes libérales et les espoirs qui sont placés dans la “réussite scolaire”. Le manque de moyens est le point de départ de chacune de ces luttes. Cette revendication, fondamentale et très fédératrice, n’épuise cependant pas le problème de l’éducation. Il est bon de rappeler également que son fonctionnement même tend à reproduire les inégalités et le conformisme social qui conviennent aux intérêts de la classe dominante.

Des décennies de luttes sociales pour un accès au savoir ouvert à tous ont abouti à élever le niveau général d’instruction de la population. Si, en 1959, moins de la moitié d’une classe d’âge entrait en 6ème, en 1972 cette proportion était de 95%. Par la suite, en 1975, la réforme “Haby” sur le principe du collège unique a préparé le terrain pour une entrée massive au lycée des jeunes issus de milieux populaires : on passe de 850.000 lycéens en 1980 à 1 million et demi en 1990. En 1998, le taux de bacheliers (60%) était six fois supérieur à celui du 1960. Cependant, toutes les statistiques qui ont pour objet l’accès aux études supérieures, ou encore le phénomène grandissant de l’ échec scolaire, confirment que le fossé se creuse entre les enfants d’ouvriers et les enfants de cadres.

En outre, la persistance du système des filières, en dépit des déclarations contenues dans la réforme de 1975, cache toujours moins bien une répartition des élèves en fonction de leurs origines sociales. Si donc les bacs professionnels ont aidé les élèves provenant d’un milieu populaire à poursuivre leurs études, on a cependant assisté à l’accélération d’un processus de “prolétarisation” de ces filières. Au même moment, ces dernières dix années ont vu croître la sur-représentation des enfants de familles aisées en terminale scientifique et celle des enfants de familles populaires dans les terminales technologiques.

Alors que 12,4 millions de personnes sont aujourd’hui scolarisées, soit un cinquième de la population, le pourcentage du PIB dépensé pour l’éducation nationale et la formation stagne depuis 1993 autour de 7%. Pourtant, dans les lycées, mais surtout à l’université, les effectifs continuent de croître, au point que nous avons franchi le seuil des 2 millions d’étudiants universitaires. Le milliard en plus par an promis par le nouveau ministre de l’Education Nationale, Jack Lang, représente quelque chose de tout à fait symbolique sur un budget total de 685 milliards de francs. Plus grave encore, tous les projets passés à l’Assemblée Nationale ces dernières années, et qui, sous le beau nom “d’autonomie”, visent à mettre en concurrence les établissements, n’aboutiront qu’à une emprise importante du patronat sur les programmes d’étude et au creusement de l’écart entre ceux qui auront les moyens de s’assurer une bonne scolarisation et ceux qui devront se contenter d’écoles ou d’universités de “seconde zone”.

Ainsi, là où le directeur, transformé en “manager”, aura pu obtenir des moyens supplémentaires (grâce à des frais d’inscriptions plus élevés, par exemple), l’équipe enseignante sera plus stable, les classes moins nombreuses, les laboratoires et bibliothèques plus fournis. C’est ainsi que les “pôles d’excellence” universitaires seront fréquentés par les jeunes dont les familles pourront contribuer aux frais de fonctionnement de l’établissement. La course aux bons établissements se fera au détriment des ménages les plus modestes.

Le MEDEF prend un ton magistral pour nous dire que le patronat, qui “crée les emplois” et “connaît l’économie”, doit se charger de sortir l’école publique de son “impasse “. La situation qui se développe en France recoupe celle des pays industrialisés en général. Ce n’est pas un hasard si, au mois de mai 2000, à Vancouver (Canada), s’est tenu pour la première fois un “marché mondial de l’éducation”. Tous les termes qui sont utilisé actuellement dans le débat sur l’école trahissent l’offensive patronale qui se met en place. On parle d’insertion professionnelle, de formation continue, de mise en rapport avec les besoins des entreprises et, cerise sur le gâteau, on ne craint pas ce faisant d’expliquer que l’école doit donner “l’égalité des chances”. Ces mots d’ordre, qui se voudraient ô combien réalistes, et donc en conformité avec les intérêts des étudiants, ne sont que de la poudre aux yeux et cachent des finalités beaucoup plus mesquines.

En réalité, la soumission de notre formation aux besoins fluctuants du marché capitaliste nous rendra plus faibles face au patronat. En effet une filière de formation très spécialisée, parce qu’aidée financièrement par tel ou tel groupe industriel, ne produira que de futurs travailleurs précaires et/ou jetables. Le piège se révèlerait dès que tel secteur entrerait en crise, ou encore dès que la technologie utilisée changerait (comme il arrive assez souvent) et que d’autres jeunes mieux formés pour les besoins du moment seraient prêts à être embauchés. Cela déclencherait une spirale néfaste de concurrence entre salariés. Il est désolant, à ce propos, de voir le responsable gouvernemental des lycées professionnels, J.-L. Mélenchon, se mettre consciencieusement à l’écoute des besoins des chefs d’entreprises (Libération, 14/12/ 2000).

Certains veulent faire passer cette offensive pour une nécessaire évolution des méthodes pédagogiques, qui, nous dit-on, doivent suivre la “modernisation” de la société. Or, les problèmes ne se situent pas du côté de la pédagogie. La recherche, dans ce domaine, est assez avancée, et de nombreuses expériences, dès le XIXème siècle, nous ont montré les résultats excellents qu’ont pu atteindre des équipes de pédagogues bien formés sur des petites classes d’élèves. En revanche, les intérêts capitalistes qui s’insinuent dans le système éducatif actuellement vont à contre-sens d’une éducation de qualité pour tous, qui est contraire aux exigences du “marché”. A nous tous, lycéens, étudiants, professeurs, et parents d’élèves de lutter contre cette tendance. La collectivité doit décider démocratiquement des orientations pédagogiques à suivre, libérer les ressources nécessaires pour assurer à chacun un vrai épanouissement. Si ceci devait s’avérer incompatible avec le capitalisme, ce serait une raison de plus pour en finir avec au plus vite.

Francesco Giliani, PCF Paris

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