La progression des idées du RN et le « producérisme »

4 novembre 2025

C’est un sondage qui a de quoi inquiéter : 54 % des Français pourraient voter pour le RN à l’avenir. Dans le détail, le sondage réalisé par l’institut Viavoice et publié le 30 octobre dernier dans Libération montre que si 32 % des Français ont déjà voté pour le RN, ils sont 22 % à ne jamais avoir voté pour le RN, mais à se poser la question de le faire à l’avenir ; à l’inverse, 5 % des Français affirment avoir déjà voté pour le RN et ne plus avoir l’intention de le faire quand 41 % des Français n’ont jamais voté pour le RN et excluent toujours de le faire. Si rien n’est écrit, une majorité de Français pourrait donc voter pour le RN à l’avenir.

Cette semaine, une triste illustration de la progression des idées du RN a été offerte, bien malgré elle, par La Voix du Nord. Le quotidien a publié, mardi 28 octobre, un article relayant un appel aux dons en faveur des familles Roms vivant dans un bidonville aux abords de la métropole lilloise dont les caravanes n’ont pas résisté à la tempête Benjamin. Partagé sur la page Facebook de La Voix du Nord, l’article a été assailli par plus de 3 000 commentaires injurieux opposant les Roms, accusés de tous les maux, d’être des voleurs, des profiteurs, de toucher des aides mirobolantes, etc. aux « bons Français » aux fins de mois difficiles et victimes des mauvais coups du gouvernement. Face au déferlement de commentaires grossiers et injurieux et aux menaces de mort visant les Roms et les bénévoles des associations caritatives qui s’en occupent, La Voix du Nord a dû bloquer les commentaires sous son article.

Le quotidien nordiste s’en est expliqué le lendemain, dans un article déplorant la violence des réseaux : « Nous publions chaque année des centaines d’articles sur la problématique des Roms et des gens du voyage. […] Car les Roms et gens du voyage interfèrent dans le quotidien des gens. Leur arrivée dans une commune, sur un terrain municipal, ou sur un parking appartenant à une entreprise peut provoquer des perturbations, des dégradations, rarement des accidents physiques et nous en parlons de manière objective quand cela se produit, sans attiser la haine. Ils vivent dans une très grande précarité. Notre devoir est de garder de la nuance, par respect pour la vie humaine ».

Cet article a lui aussi été rapidement inondé de commentaires contre les Roms et les journalistes « gauchistes » qui mépriseraient la détresse des « bons Français » et le journal a dû, une fois de plus, bloquer les commentaires sous son article.

Le commentaire de « Marie » (nous n’avons mis que le prénom de cette internaute) résume la tonalité des centaines de commentaires haineux postés sur la page Facebook de La Voix du Nord : « Certains de nos retraités font les poubelles ou la manche, ils ne peuvent pas se payer de mutuelles, nos SDF sont oubliés ; dans certains départements la PCH [Prestation compensatoire de handicap] est retirée, et là pas d’articles, La Voix du Nord. On est tous en train de péter les plombs ; elle devient bien triste notre France ».

La haine en ligne est un symptôme de la progression des idées d’extrême droite. Sur les réseaux sociaux, des milliers de personnes expriment ouvertement des idées racistes, assument de haïr et de rejeter certaines catégories de personnes et s’en prennent vivement à celles et ceux qui portent un discours humaniste et antiraciste – dont les journalistes – accusés d’être des gauchistes, d’être de LFI, d’être des naïfs forcément hors-sol. La haine de l’autre n’est cependant pas l’apanage de l’extrême droite ; elle est diffusée dans une grande partie de la société et relèvent de ce que le philosophe Michel Feher appelle le producérisme.

Le producérisme, idéologie de l’extrême droite

Dans son livre Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement national, paru chez La Découverte en 2024, Michel Feher décrit de manière convaincante la spécificité du populisme raciste de l’extrême droite qu’il qualifie de « producériste », un mot formé à partir du terme anglais producer (producteur).

Dans le magazine Sciences Humaines, fin 2024, il expliquait : « Dans la vision producériste de la société, il existe deux classes : les producteurs et les parasites. Contrairement à l’opposition marxienne prolétariat/bourgeoisie, leur antagonisme est de nature morale. Ce sont presque des idéaux-types à la Max Weber. Les producteurs travaillent dur […]. Ils peuvent être des salariés, mais aussi des indépendants ou des chefs d’entreprise. Si tout allait bien, chaque producteur pourrait jouir des fruits de son travail, dans un climat de saine concurrence et de coopération volontaire. Hélas, il existe une seconde catégorie d’individus, celle des parasites qui ne font rien d’utile mais excellent dans l’art d’accaparer le produit du travail des autres. Ces prédateurs ont toujours deux visages dans l’imaginaire producériste : le parasite d’en haut et le parasite d’en bas. Les parasites d’en haut ne produisent rien, mais font circuler le capital : capital financier pour les uns – qui prêtent à des taux usuraires ou spéculent sur les marchandises –, capital culturel pour les autres – les intellectuels, les journalistes, les artistes… Quant aux parasites d’en bas, ce sont des assistés – autrefois bénéficiaires de la charité publique, aujourd’hui des allocations sociales – qui vivent de la redistribution des revenus ».

Les commentaires haineux sur les réseaux sociaux visant les Roms ou les migrants, accusés de « profiter » au détriment des « bons Français » écrasés d’impôts et de taxes relèvent de la pensée producériste, ils en sont même un exemple chimiquement pur. L’idéologie producériste a pu se développer à la faveur du recul de la conscience de classe.

Les marxistes savent pourtant qu’il n’y a pas de « parasites d’en bas » : les plus précaires, les travailleurs étrangers appartiennent à la classe des travailleurs. Les intellectuels, les journalistes ou les artistes ne sont pas non plus des « parasites » : les intellectuels sont toujours des travailleurs qui ne possèdent que leur force de travail. Eux aussi sont des travailleurs. Les seuls parasites de notre société sont en fait les capitalistes qui possèdent les grands moyens de production.

Les idéologues et les politiciens qui tentent de jeter un voile sur la réalité de l’exploitation capitaliste et de détourner les regards des travailleurs vers de prétendus « parasites » sont des auxiliaires zélés du capitalisme et ont pour projet politique la mise en place d’un capitalisme nationaliste, raciste et autoritaire.

Contre l’idéologie producériste portée par le RN, il y a besoin de culture, d’éducation populaire, et il y a surtout besoin de luttes portées par nos organisations de classe : en créant de l’unité, en désignant les vrais ennemis que sont les patrons et les capitalistes, ce sont les luttes qui permettent le développement de la conscience de classe et qui dessinent la perspective d’une société débarrassée de l’exploitation et de l’injustice.

David NOËL, PCF Méricourt

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