Au niveau syndical comme dans les partis de gauche, la crise du capitalisme réduit le réformisme à l’impuissance. Un mouvement syndical qui limite le champ de son action à ce qui est possible dans le cadre du capitalisme, à ce qui peut être « négocié », à une époque où la viabilité du système dépend précisément de la destruction des conquêtes sociales, n’aboutira pas à des résultats tangibles. Des luttes victorieuses peuvent se produire sur telle ou telle question, mais, dans l’ensemble, le mécanisme du capitalisme tirera tous les travailleurs vers le bas. Les acquis d’un jour seront constamment attaqués par la suite.
L’idée réformiste selon laquelle la « relance économique » passe par la hausse des salaires et l’extension des droits des travailleurs est une erreur, puisque de telles mesures portent immédiatement et directement atteinte aux intérêts vitaux des capitalistes. Une hausse des salaires ampute d’autant la masse des profits. Du point de vue des capitalistes, à quoi bon investir, dans ces conditions ?
Des dizaines de milliers d’entreprises par an sont déjà détruites pour cause de rentabilité insuffisante et cette « relance économique » amplifierait ce processus. Nous touchons ici au cœur du problème des limites du syndicalisme et des luttes défensives en général. Le capitalisme est arrivé à un point où des luttes autour de revendications relativement modestes soulèvent implicitement la nécessité d’exproprier les capitalistes. La radicalisation des idées que nous constatons dans de nombreuses structures syndicales tend vers cette même conclusion.
Le nombre et l’ampleur des grèves n’indiquent pas forcément l’état d’esprit des travailleurs.
Les pressions qui s’exercent sur les travailleurs rendent l’adhésion à un syndicat ou l’organisation des grèves particulièrement hasardeuses. Syndicalistes et grévistes s’exposent au harcèlement et aux menaces au quotidien – et bien sûr à la perte de leur emploi, avec tout ce que cela implique pour eux-mêmes et leurs proches. On peut intimider un salarié, l’inciter à la prudence. Mais on ne peut pas l’empêcher de penser et de tirer des conclusions à partir de son expérience. Il y a actuellement une accumulation de haine, de ressentiments contre toutes les injustices et les humiliations que subissent les travailleurs. A un certain stade, tout ce matériel combustible finira par exploser.
Le syndicalisme a ses limites. La grève de 1968 a mobilisé plus de 10 millions de travailleurs, paralysant l’économie et l’Etat pendant plusieurs semaines. Et pourtant le capitalisme a survécu. Une nouvelle grève générale de cette ampleur poserait, comme celle de 1968, la question du pouvoir. Mais si elle ne se transforme pas en une action offensive de la masse des travailleurs, de façon concertée et consciente, afin de briser le pouvoir économique et étatique de la classe capitaliste, elle n’aboutira à rien. Le facteur qui décidera de la victoire ou de la défaite de la révolution qui approche, c’est la nature du programme et de la direction de la classe ouvrière.
Des millions d’électeurs potentiels ne votent pas parce qu’ils n’espèrent plus rien des élus et des institutions. Et ils n’ont pas tort. C’est une conviction forgée par l’expérience. Aucune solution ne viendra des élections et de la « classe politique ». Tant que le capitalisme restera en place, ses mécanismes seront bien plus puissants que l’action des gouvernements, aussi « à gauche » soient-ils.
L’hostilité et l’indifférence envers les institutions contient les germes d’une conscience révolutionnaire. Le changement viendra d’en bas, par un mouvement de la classe ouvrière. Quand le mouvement révolutionnaire commencera, ses phases successives ne seront pas déterminées par le calendrier électoral et parlementaire, mais par l’action extra-parlementaire des travailleurs. Quel que soit son point de départ, la révolution ne connaîtra de conclusion victorieuse que par l’expropriation de la classe capitaliste, accomplie par l’action directe des travailleurs.
L’étiquette des gouvernements – de « droite » ou de « gauche » – ne modifie par les perspectives générales de développement de la révolution, pas plus que les modifications épisodiques de l’humeur de l’électorat. De brusques changements d’humeur et d’idées, des réalignements des forces favorables ou hostiles aux intérêts des travailleurs, des réputations rapidement faites et défaites des politiciens, sont inhérents au processus de maturation d’une révolution.
Des prévisions électorales sont toujours hasardeuses, mais la politique de Hollande ne peut que favoriser un retour de la droite au pouvoir avec, en parallèle, un élargissement de la base électorale potentielle du Front National, surtout si le mouvement de masse ne se déclare pas dans l’intervalle qui nous sépare des prochaines élections présidentielles. La droite – comme le PS – appliquera l’austérité en faisant miroiter la perspective d’une future prospérité. Mais la prospérité ne viendra pas. Les gouvernements changeront. La politique restera la même. Les travailleurs le verront et en tireront les conclusions nécessaires. Pour combien de temps encore l’inertie des masses résistera-t-elle à la pression des circonstances ? Il est impossible de le savoir d’avance. Mais elle ne durera pas indéfiniment.
Historiquement, le réformisme tirait sa force du fait qu’il semblait donner des résultats. Mais aujourd’hui, nous avons un réformisme sans réformes.
Il n’y pas de spectacle plus désolant que la désintégration du réformisme parmi la ruine et la destruction des conquêtes et des espoirs du passé. Ordinairement, les travailleurs sont largement absents des « organisations de masse ». Mais l’irruption en masse des travailleurs sur la scène de l’histoire aura un impact colossal sur la composition sociale des ces organisations. Les travailleurs tenteront de soumettre leurs organisations aux impératifs de la lutte. Ils se heurteront à la résistance des éléments accrochés à la routine bureaucratique et parlementaire. Le conflit entre les différentes tendances politiques, largement latent et contenu dans certaines limites habituellement, sera exacerbé à l’extrême. Sans une direction marxiste, le mouvement révolutionnaire sera vaincu. C’est l’issue de cette lutte entre le réformisme et le marxisme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier, qui tranchera le sort de la révolution, en France comme à l’échelle internationale. De sa résolution dépend le sort de la classe ouvrière et, finalement, de toute la civilisation humaine.
Les dangers qui guettent le mouvement ouvrier proviennent du système capitaliste, mais résultent aussi du caractère réformiste des partis et des organisations syndicales. Ces deux sources ne sont qu’une, au fond, puisque le réformisme n’est rien d’autre, finalement, que la pression idéologique et matérielle de la classe capitaliste sur le mouvement ouvrier.
Dans pratiquement tous les pays européens, toutes les classes sentent confusément qu’on ne sortira pas de la crise au moyen de réformes superficielles, qu’un changement radical est nécessaire. La régression sociale réduit le parlementarisme et son corollaire politique, le réformisme, à l’impuissance. Le problème n’est pas d’ordre constitutionnel, comme le prétendent les « théoriciens » du réformisme. Les arrangements constitutionnels sont différents dans tous les pays, mais la crise sociale et économique est générale.
A un certain stade, en France comme dans toute l’Europe, les luttes sporadiques et partielles commenceront à se coaliser en mouvements généraux. Par vagues successives, les masses, dont les bourgeois ne connaissent ni la voix ni le visage, sortiront de leur torpeur. Ce sera le début de la révolution. A partir de son point de départ, celle-ci tendra – et peut-être assez rapidement – à prendre une forme continentale.
Avec les mille et une humiliations et souffrances que le capitalisme inflige aux travailleurs et à toutes les victimes du système, il s’avèrera impossible, une fois les vannes de la révolution ouvertes, de maintenir la lutte des classes dans les sillons de la « discipline » institutionnelle. Elle sera menée essentiellement sur le plan extraparlementaire. Aucun « dépassement » graduel et paisible du capitalisme n’est possible. Le capitalisme ne peut être renversé qu’à l’issue d’une série de confrontations majeures entre les classes.
Au cours de ces confrontations, les événements présenteront l’opportunité aux travailleurs d’infliger une défaite décisive à la classe capitaliste, par la destruction des fondements de son pouvoir économique et étatique. L’expropriation de la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et du commerce brisera la capacité de résistance des exploiteurs. En s’emparant de tous les rouages de l’économie, remplaçant l’Etat capitaliste par un Etat reposant sur la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière, il sera enfin possible de libérer la société de la tyrannie capitaliste et d’ouvrir une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité.