Expulsion des imams

A l’heure où la pauvreté et la précarité s’aggravent, où le gouvernement s’attaque aux services publics, aux retraités, aux chômeurs, aux droits et aux conditions de travail des salariés, et, de manière générale, impose une régression sociale d’une ampleur sans précédent depuis la fin des années 30, il ne faut pas en pas en douter : le gouvernement Raffarin a la sécurité et le bien-être des français à cœur. La preuve ? Après avoir interdit le port du foulard à l’école, il se met à expulser hors de ses frontières des « imams radicaux » !

Le mouvement communiste, socialiste et syndical ne compte pratiquement pas, dans ses rangs, de partisans du fondamentalisme religieux, qu’il soit du genre chrétien, juif, ou musulman. Et peu d’entre nous pleureraient sur le sort d’une personne, qu’elle soit imam ou non, qui aiderait des terroristes ou collaborerait de quelque manière que ce soit avec les réseaux qui les recrutent et préparent leurs actes barbares. Les actes terroristes tels que celui qui a été récemment commis à Madrid sont des abominations criminelles et ultra-réactionnaires. Ils créent à juste titre une vague de colère et d’indignation dans l’esprit des travailleurs. Mais précisément pour cela, ils tendent également à atténuer la vigilance du mouvement ouvrier vis à vis des agissements de gouvernements qui, sous couvert de « lutter contre le terrorisme », en profitent pour porter atteinte à des droits démocratiques durement acquis par les luttes que nous-mêmes et nos aînés avons menées par le passé. Telle est l’une des facettes du caractère réactionnaire du terrorisme individuel.

Ce phénomène s’est produit à une échelle mondiale au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Aux Etats-Unis et en Europe, en particulier, de nombreuses atteintes aux libertés individuelles et mesures anti-démocratiques ont été mises en œuvre. Selon un rapport publié récemment aux Etats-Unis, pour ne citer qu’un seul des nombreux dispositifs de surveillance mis en place depuis l’époque, 10% de tous les appels téléphoniques, dans le monde, sont actuellement sous « écoute informatique » des services de renseignement américains. La proportion des e-mails qui sont triés et analysés n’est pas connue, mais risque d’être considérablement plus élevée, en raison du caractère « fixe » des échanges écrits. En France, si les moyens techniques à la disposition des services secrets sont bien inférieurs à ceux de leurs homologues américains, nul ne peut douter qu’ils sont eux aussi coupables de porter atteinte nos libertés démocratiques sous couvert de « lutte contre le terrorisme ». Par peur de se voir accuser d’être complaisants face aux terrorisme, la plupart des responsables nationaux des partis de gauche et des syndicats n’ont que timidement dénoncé ces agissements, quand ils ne les ont pas franchement approuvé. Nous pensons qu’il s’agit là d’une faute, car les mêmes « pouvoirs spéciaux » qui servent – ou non – contre le terrorisme, peuvent être retournés contre le mouvement ouvrier dans son ensemble et contre ses militants individuels.

C’est l’honorable – ou réputé honorable – Monsieur de Villepin qui est officiellement en charge de l’affaire des « imams radicaux ». Mais son comportement est incontestablement frappé du sceau de Monsieur Nicolas Sarkozy, lequel ne rate aucune occasion de s’expliquer sur l’affaire. Ce réactionnaire surexcité, qui n’hésite pas à se déclarer « proche du but » (à savoir Matignon ou l’Elysée) , est prêt tout pour attirer l’attention des cameras et y faire figure d’ange gardien face à la « menace terroriste ».

Les imams expulsés l’ont été sur-le-champ, sans aucune possibilité de se défendre face aux accusations portées contre eux. Nous ne disons pas qu’ils sont innocents. Nous n’en savons rien. Mais en tout cas, dans n’importe quel Etat où règne ne serait-ce qu’un minimum de respect des droits démocratiques, une personne accusée est innocente jusqu’à ce qu’on en prouve la culpabilité. Admettons que, comme le prétend Monsieur de Villepin, le gouvernement détienne des preuves irréfutables de l’implication des imams expulsés dans des réseaux proches d’organisations terroristes. Pourquoi les expulser, dans ce cas ? Ne vaudrait-il pas mieux les arrêter, les interroger, les inculper, les juger et, si leur procès en établit la culpabilité, les mettre en prison ? Et quelles sont les preuves ? Aucune n’a été présentée au public, qui doit juste se fier à la « bonne foi » du gouvernement.

La Riposte condamne ces expulsions et estime que toutes les organisations syndicales, le PCF et le PS devraient faire de même. Si nous laissons passer sans réagir ce genre d’opération, tôt ou tard, nous en payerons le prix. Avec de telles méthodes anti-démocratiques , qu’est-ce qui empêcherait un délégué syndical, un communiste, un militant associatif, ou un simple travailleur d’origine étrangère de se voir « cueillir » chez lui en pleine nuit et expédié sans autre forme de procès à l’autre bout du monde, tout simplement parce qu’un Villepin, un Sarkozy, ou on ne sait quel autre Big Brother gouvernemental estimerait qu’il tient un « discours » incompatible avec les intérêts de l’Etat ?

Cette affaire, comme celle du « foulard islamique », n’a pas surgi en ce moment par hasard. Le gouvernement, on le sait, est dans une position extrêmement difficile. La défaite écrasante de la droite aux régionales ne laisse plus guère de doute : l’UMP – l’Union de la Minorité Privilégiée – sera très probablement balayée aux prochaines législatives, que celles-ci se produisent en 2007 ou avant, et le Parti Socialiste et le Parti Communiste retrouvera la majorité à l’Assemblée Nationale. Selon toute probabilité, le prochain occupant de l’Elysée ne sera ni Chirac, ni Nicolas « proche-du-but » Sarkozy, mais le candidat présidentiel du PS. Les élections européennes du mois de juin – auxquelles nous espérons que la mobilisation autour des listes du PCF et du PS administrera une nouvelle raclée au camp de la droite – représente une dernière chance, pour la droite, de « sauver les meubles » sur le plan électoral et de recouvrer un brin de légitimité. Dans ce contexte, les opérations « coup de poing » et les rafles dans les milieux musulmans risquent fort de se poursuivre au moins jusqu’aux européennes, le but étant de concentrer l’attention de la population sur la lutte contre le terrorisme et de lui faire oublier les conséquences sociales et économiques désastreuses de la politique menée depuis deux ans par le gouvernement Raffarin.

Il y a de nombreux précédents à l’actif de la droite dans ce genre de manipulations de l’opinion publique. En 1993, un vaste « coup de filet » dans les mosquées et les quartiers des grandes banlieues prétendait viser des sympathisants du GIA algérien. C’était à l’époque où l’opinion avait été travaillée en long et en large par « l’affaire des otages », suite à l’enlèvement, le 24 octobre 1993, de trois fonctionnaires du consulat français à Alger. L’enlèvement, immédiatement porté à l’actif de groupes « islamistes » a fait la une des médias jusqu’à la libération spectaculaire des otages par les forces de sécurité algériennes, trois jours plus tard.

Or, il s’est avéré que les « otages » avaient été enlevés, non par des ravisseurs intégristes, mais par un commando spécial composé de six hommes appartenant tous à la « DCE », une unité faisant partie du service opérationnel du contre-espionnage algérien. Au moment de l’enlèvement, le commando a abattu un policier algérien, probablement pour ne pas laisser de doutes quant à l’authenticité du crime. Les trois fonctionnaires séquestrés ont été détenus dans une maison appartenant aux services du contre-espionnage. Une fois libérés, on leur a interdit de parler aux médias, au nom de la « sécurité nationale » et de la « lutte contre le terrorisme ». Mais la vraie raison était ailleurs. Tout ce vrai-faux enlèvement – dont les fonctionnaires séquestrés étaient les victimes innocentes – avait été préparé par le gouvernement français de droite, et notamment par Charles Pasqua, alors Ministre de l’Intérieur. L’objectif était essentiellement le même que dans l’« affaire du foulard » et dans la chasse médiatisée aux imams dits « radicaux » : il s’agissait de détourner l’attention de la population de la casse économique et sociale dont sont responsables le gouvernement actuel et la classe de parasites capitalistes qu’il représente.

Le mouvement socialiste, communiste et syndical se doit d’exposer et de dénoncer de telles manipulations. Encore une fois, en ce qui nous concerne, les fanatiques réactionnaires qui, au nom de l’Islam ou de n’importe quelle autre religion, s’avèrent être impliqués dans des réseaux terroristes, doivent être arrêtées, jugées et incarcérés une fois reconnus coupables. Mais nous ne devons pas tolérer le recours à des expulsions complètement arbitraires, sans que la moindre preuve matérielle ait été fournie à l’encontre des personnes visées, car ce serait donner une arme à nos adversaires qu’ils ne manqueront pas, à l’avenir, de retourner contre le mouvement ouvrier. Le silence de ce dernier, sur cette question, ne manquerait pas non plus de creuser un fossé entre lui et les travailleurs de foi musulmane. Le mouvement ouvrier doit être en première ligne de la défense de toutes les libertés démocratiques, y compris la liberté de culte.

Greg Oxley

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