Marx et Engels ont souligné que toute institution politique opère dans l’intérêt des classes dominantes, et l’apparente neutralité d’une commission parlementaire n’échappe pas à la règle. Dans le cas présent, la commission d’enquête a été créée par un bloc politique, représenté par Laurent Wauquiez. Que ce soit plutôt un dispositif partisan visant à mettre en cause Mélenchon et La France Insoumise plutôt qu’à produire un savoir neutre, n’échappe à personne.
Dans ce cadre, la laïcité républicaine dont Mélenchon se réclame devient un terrain de bataille idéologique. En insistant que « c’est l’État qui est laïc, pas la rue », il met l’accent sur la neutralité juridique de l’État plutôt que sur une lutte culturelle contre la religion perçue comme une menace politique.
Nous pourrions ajouter que la classe sociale représentée par Wauquiez instrumentalise le principe de la laïcité, car elle ne peut pas répondre aux conflits sociaux profonds. Au lieu d’affronter la manière dont les conditions matérielles telles que les inégalités économiques, la ségrégation géographique ou la marginalisation sociale forgent des tensions identitaires religieuses, la classe sociale dominante déplace le débat sur le plan symbolique et exploite les tensions dans le but de créer de la division dans le mouvement ouvrier.
Dans son audition, Mélenchon a explicitement rejeté l’idée d’« entrisme religieux » pour La France insoumise : « La France insoumise n’acceptera jamais l’entrisme religieux. » et a fait une distinction nette entre religion, islamisme et terrorisme : « Nous ne confondons pas l’islam avec l’islamisme et l’islamisme avec le terrorisme. ».
Bien évidemment cette accusation idéologique, à savoir les accointances entre la LFI et l’entrisme islamiste, vise à isoler LFI de larges secteurs des classes populaires. Et en mettant l’accent sur la distinction entre religion et idéologie politique radicale, Mélenchon cherche à déjouer une manœuvre qui présente toute expression religieuse comme une menace, une femme portant un voile devenant une islamiste et un danger pour la République, voire l’imminence du terrorisme.
La classe dirigeante nous impose ainsi son agenda et nous amène sur le plan culturel où nous sommes obligés de dépenser de l’énergie à argumenter au niveau juridique ou au niveau identitaire. Alors que les intérêts de notre classe sociale devraient nous concentrer à faire une critique implacable du système capitaliste, et des conséquences désastreuses de son exploitation. Le refuge dans une identité religieuse aliénante est une des multiples réactions à cette exploitation matérielle.
La commission elle-même, convoquée sous l’autorité d’un parti de droite, peut être vue comme un exemple de ce que Gramsci appelait une hégémonie culturelle renforcée par l’État bourgeois : ce dernier nous impose son cadre, son prisme d’analyse, et isole la religion comme étant un problème central. Les contradictions de classe et les antagonismes sociaux de plus en plus profonds, et les idées de plus en plus radicales de la classe dirigeante en sont une preuve, restent ainsi hors des projecteurs. Le « voile » est jeté sur le véritable responsable de cette division générée au sein de la classe des travailleurs.
L’intervention de Mélenchon nous révèle qu’il adopte des principes républicains classiques (laïcité de l’État, liberté de conscience, distinction entre religion et idéologie politique radicale) qui peuvent certes servir à neutraliser des accusations politiciennes sur la religion, mais qui sont formulés dans le cadre d’une commission qui fonctionne comme un organe qui impose un récit, celui qui sécurise le contrôle de la société par la classe capitaliste.
Elle illustre le caractère limité du parlementarisme pour sortir des contradictions de classe majeures. Les débats se déroulent dans des cadres institutionnels qui définissent les termes du débat et limitent les réponses possibles. Réaffirmer le principe républicain de la laïcité se situe dans une lutte de position au sein de l’État, et non comme une remise en cause des rapports de domination qui structurent notre société.
Éric JOUEN
