Le RN et la chasse aux drapeaux

3 octobre 2025

Le 22 septembre dernier, dans un discours historique prononcé à l’ONU, Emmanuel Macron a reconnu l’existence de l’État de Palestine. Seize États de l’Union européenne reconnaissent désormais officiellement la Palestine, qui est maintenant reconnue par 158 pays sur les 193 États membres de l’Organisation des Nations Unies.

Cette reconnaissance symbolique ne mettra pas fin aux bombardements et à l’occupation, ni à la situation d’apartheid dans laquelle vivent un grand nombre de Palestiniens, privés d’État depuis 1948. Elle est néanmoins un jalon vers une solution politique et un rappel que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe fondamental du droit international, reconnu par l’ONU, pour lequel les communistes se sont longuement battus tout au long de leur histoire.

En France, pour saluer la reconnaissance de l’État de Palestine, demandée de longue date par le PCF et d’autres partis de gauche, au moins 86 mairies ont hissé le drapeau palestinien sur leur façade, bravant les consignes données par Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, qui avait ordonné aux préfets de systématiquement saisir les tribunaux administratifs pour enjoindre aux municipalités de retirer le drapeau palestinien.

Un flou juridique

De fait, le principe de neutralité est l’un des piliers du droit administratif français. Il impose aux services publics de s’abstenir de toute manifestation politique, religieuse ou philosophique.

Le Conseil d’État a fixé cette règle dès l’arrêt du 27 juillet 2005 (n°259806), considérant que le pavoisement d’un bâtiment public d’un drapeau étranger exprimant un soutien politique constituait une atteinte au principe de neutralité.

Pour autant, des juridictions administratives ont pu admettre des exceptions à ce principe de neutralité. Ainsi, en 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreuses mairies françaises avaient hissé le drapeau ukrainien aux côtés du drapeau français ou européen, pour témoigner de leur solidarité. Ces gestes symboliques, généralement salués par la population, avaient toutefois suscité des débats juridiques, certains s’interrogeant sur la légitimité d’une telle initiative en dehors de toute autorisation gouvernementale. En décembre 2024, le tribunal administratif de Versailles a estimé cet affichage conforme, y voyant « un symbole de solidarité envers une nation victime d’une agression ».

Les symboles politiques sont donc proscrits, à moins qu’ils ne reflètent une position claire de l’État français. De fait, en 2022, après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le ministère de l’Aménagement des territoires indiquait que « le pavoisement des édifices et l’apposition de banderoles sur les édifices publics est possible, sous réserve de respecter la tradition républicaine et le principe de neutralité du service public. Il est toutefois clairement admis que les collectivités territoriales et leurs groupements puissent mettre en avant un engagement international de solidarité de cette manière dès lors que ce dernier est conforme avec les engagements internationaux de la France ».

En quoi un drapeau palestinien sur la façade d’une mairie serait-il plus « politique » qu’un drapeau ukrainien ? Au nom de quoi serait-il permis de témoigner d’un engagement international de solidarité avec l’Ukraine, mais pas avec la Palestine ? Bruno Retailleau n’en dit pas un mot. Et pour cause…

Les obsédés du drapeau palestinien

Obsédé par l’« islamo-gauchisme » et les drapeaux palestiniens, Bruno Retailleau a trouvé chez le RN un renfort naturel. Depuis le 7 octobre 2023, le parti d’extrême droite s’est rangé de manière inconditionnelle derrière Netanyahou et ses ministres suprémacistes juifs, cautionnant tous les massacres commis par l’armée israélienne, dénonçant les condamnations pourtant fort mesurées de la diplomatie française et fustigeant sans relâche toutes les manifestations de soutien à la Palestine.

Le soutien sans faille du RN à la politique génocidaire du gouvernement Netanyahou vise à faire oublier les innombrables dérapages antisémites de Jean-Marie Le Pen, du « point de détail » à « Durafour crématoire » en passant par l’occupation allemande « pas si inhumaine ». Conscient que les propos antisémites de son père ne pouvaient que lui aliéner l’opinion publique et condamnaient le RN à la marginalité et à l’isolement, Marine Le Pen a rompu théâtralement avec son père et pose désormais en meilleure alliée des juifs de France, qui seraient, d’après le RN, menacés par l’extrême gauche antisioniste et des musulmans, forcément suspects d’antisémitisme. Comme La Riposte l’a déjà montré, le stigmate de l’islamo-gauchisme vise à disqualifier la gauche antiraciste, assimilée au « parti de l’étranger », selon une rhétorique qui rappelle celle de l’Action française au début du XXe siècle.

Le 13 novembre 2023, la participation du RN à la marche contre l’antisémitisme a constitué le point d’orgue de la stratégie de « dédiabolisation » du parti lepéniste.

Depuis cet été, le soutien du RN à Netanyahou a pris la forme d’une chasse obsessionnelle à toutes les banderoles et tous les drapeaux palestiniens.

Ainsi, cet été, après la pose d’une banderole appelant à la paix et au cessez-le feu à Gaza sur l’hôtel de ville d’Avion (Pas-de-Calais), le député RN de Lens, Bruno Clavet, a fustigé dans un communiqué délirant « une provocation et une preuve d’ignorance » au motif que « le groupe terroriste du Hamas et les islamistes radicaux traquent, molestent, décapitent et violent les homosexuels quand ils ne se servent pas des civils pour se protéger des bombardements israéliens ». Le député d’extrême droite avait confondu le drapeau de la paix et le drapeau LGBT… Le Tribunal administratif de Lille lui a néanmoins donné raison, en s’appuyant sur l’arrêt du Conseil d’État de 2005. Le 18 août, à l’appel de Jean Létoquart, le maire PCF d’Avion, près de deux cents personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de ville pour soutenir le maire et accompagner la banderole de la paix, déplacée de l’hôtel de ville… jusqu’au rond-point de la paix, à l’entrée de la ville.

Le 22 octobre dernier, les municipalités communistes du secteur de Lens ont été parmi les premières à arborer des drapeaux palestiniens, à l’image de Billy-Montigny ou de Méricourt. A Drocourt, le maire PCF, Bernard Czerwinski, s’est contenté d’apposer sur la vitrine de la mairie la une de l’Humanité du 23 septembre, consacrée à la reconnaissance de l’État de Palestine par la France.

Les obsédés du drapeau palestinien ont poussé des cris d’orfraie. Bruno Clavet, le député RN de Lens, qui vise la mairie de Lens (PS) aux municipales de 2026, s’est répandu en vidéos pour apporter son soutien aux équipes RN locales et fustiger des « actes de sécession, des actes de voyou ». Son homologue Steeve Briois, le maire RN d’Hénin-Beaumont, a dénoncé « la gauche antisémite, la gauche islamiste » et appelé à balayer les municipalités communistes en 2026.

Au passage, il s’efforce à toute force de présenter son opposante socialiste, Inès Taourit, qui mènera une liste citoyenne soutenue par les socialistes, les communistes et les écologistes sans LFI, comme une crypto-insoumise d’extrême-gauche radicalisée un peu suspecte d’islamo-gauchisme. Des accusations risibles qui ont évidemment pour but d’effrayer l’électorat désireux de changement et prêt à laisser sa chance à la gauche après deux mandats du RN. De fait, à quelques mois des élections municipales de mars 2026, le vernis de la « vitrine » héninoise du RN commence à craquer et Steeve Briois n’est pas sûr d’obtenir à nouveau le plébiscite (74 % des suffrages) qu’il avait obtenu en mars 2020, en pleine épidémie de Covid.

A l’échelle nationale, en cherchant à disqualifier les défenseurs de la cause palestinienne assimilés mensongèrement à des « islamistes » et à des « antisémites » et au parti du désordre, le RN et la droite LR de Retailleau et Wauquiez veulent apparaître comme le parti de l’ordre : un ordre réactionnaire, raciste, colonialiste et bourgeois, mais un ordre qui séduit une partie des électeurs des classes populaires qui utilisent le vote RN pour dire leur colère et qui se laissent abuser par le discours pseudo-social lepéniste.

L’idée que la gauche délaisserait les ouvriers pour se consacrer à des causes secondaires, qu’elles soient sociales, écologistes ou internationalistes infuse dans une partie de l’électorat populaire.

Cette idée, il nous appartient de la combattre si nous voulons redevenir audibles face à un RN aux portes du pouvoir : non, la gauche ne délaisse pas les ouvriers et non, il n’y a pas de causes secondaires. Dans un monde où le capitalisme aggrave chaque jour les inégalités, détruit la planète et provoque des conflits, pour agir local, il faut aussi penser global. Pour les marxistes, le combat pour un monde plus juste ne s’arrête ni aux frontières de sa ville, ni à celles de son pays. Notre combat est internationaliste et c’est parce que nous sommes des internationalistes conséquents que nous nous battons pour améliorer notre société, ici et maintenant.

David NOËL, PCF Méricourt

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