Ces derniers jours, il y a eu autour de la taxe Zucman, une intense campagne médiatique mettant sur le devant de la scène aussi bien ses défenseurs que ses détracteurs. À l’origine, il s’agissait d’une proposition de l’économiste Gabriel Zucman pour un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. En février dernier, les députés Clémentine Autain et Éva Sas du groupe écologiste et social, ont présenté une proposition de loi pour l’application de cette taxe qui fût adoptée à l’Assemblée nationale, mais rejetée par le Sénat où la droite est majoritaire. Aujourd’hui, elle est devenue un point de ralliement de toute la gauche (PS, PCF, LFI et écologistes) qui s’en est emparée. Pour résoudre le haut niveau de l’endettement public qui atteint aujourd’hui 115 % du PIB, les différents gouvernements ont présenté des budgets austéritaires s’attaquant de façon frontale aux travailleurs. Cette orientation budgétaire a été rejetée par la gauche. Les gouvernements sont successivement tombés, le bloc macroniste et ses alliés ne disposant pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. De ce point de vue, Emmanuel Macron est dans une impasse.
La proposition de Gabriel Zucman vise à introduire un effort partagé entre tous pour résoudre les problèmes de dette publique, en mobilisant la richesse privée. Aujourd’hui, en France, les 75 plus grands capitalistes, ceux qu’on appelle les « ultrariches » ont un taux d’imposition moyen de 0,3 % selon une note de l’Institut des politiques publiques, ce qui est extrêmement faible. Depuis des décennies et particulièrement sous la présidence Macron, des dispositifs ont été mis en place pour faciliter les exonérations des grandes fortunes au dépend des recettes fiscales de l’État, accroissant le niveau de l’endettement. Les capitalistes pratiquent l’optimisation fiscale pour réduire à peau de chagrin leur taux d’imposition. En défenseur des intérêts capitalistes, Macron assume totalement cette orientation. Pour convaincre, il s’appuie sur la théorie de la politique de l’offre, c’est-à-dire lever tous les freins fiscaux aux investisseurs pour les attirer et inciter les entreprises à produire des biens et des services. Pour les défenseurs du capitalisme, cette théorie favoriserait la croissance économique et bénéficierait aux salariés. Or, ce qu’on observe est qu’il n’y a pas de lien systématique entre l’augmentation des profits et l’augmentation des salaires. Cette situation est parfaitement visible dans le secteur de la défense où l’activité et les profits sont en forte croissance mais où les augmentations de salaires sont très contenues. On pourrait dire en quelque sorte que la France est une terre d’asile pour les capitalistes. Comme dit Gabriel Zucman « si les ultrariches s’exilaient dans les îles Caïmans à l’heure actuelle (NDLR paradis fiscal), la diminution de leur taux d’imposition serait insignifiante ».
Si cette taxe entrait en vigueur, elle ne s’appliquerait qu’aux 1800 familles les plus riches de France dont entre autres Bernard Arnault (fortune de 203 milliards d’euros), famille Hermès (fortune de 138 milliards d’euros), Bettencourt-Meyer (fortune de 77 milliards d’euros) ou Dassault (fortune de 32 milliards d’euros). En 10 ans, le capital des 500 familles les plus riches est passé de 400 milliards à 1200 milliards d’euros courant. La taxe permettrait de récupérer entre 15 et 25 milliards d’euros. Il faut mettre en rapport cette somme avec les 44 milliards présentés en coupes budgétaires par Bayrou avant sa démission. La présentation du budget du prochain gouvernement Lecornu ne sera qu’une version faiblement amendée de celle de Bayrou. Avec un tel gouvernement, prélever 2 % sur les 1800 plus riches dont la fortune dépasse les 100 millions d’euros et certains très largement, ne servirait qu’à réduire l’austérité et non à améliorer la vie des gens. Les 1800 ultrariches continueraient à prospérer allégrement, 2 millions sur 100 ne changeraient en rien leur condition d’existence. Ce taux paraît même dérisoire au regard des inégalités flagrantes.
Pourtant, les capitalistes, leurs agents et leurs médias sont vent debout contre cette taxe : « piège mortel » et « suicide économique assisté » selon le journal Les Échos, « festival des inanités économiques » selon L’Express, « dernière supercherie socialiste » et « délire fiscal » d’après Le Figaro, « réflexe paresseux de Robin des Bois » pour Éric Ciotti, « véritable épouvantail » d’après Michel-Édouard Leclerc, « une pure jalousie à la française, délirant, communiste » dénonce le directeur de Bpifrance. Quant à Marine Le Pen, elle la juge « inefficace, injuste et dangereuse ». Son groupe parlementaire s’est abstenu lors du vote en février, démontrant au-delà de sa démagogie, que le RN se positionne du côté des « ultrariches » et non du peuple. Patrick Martin du Medef a menacé d’une mobilisation patronale, contre toute forme de taxe qui intégrerait le patrimoine professionnel, c’est-à-dire l’outil de production sous toutes ses formes incluant le capital financier et matériel des entreprises. C’est ce qui distingue la taxe Zucman de l’ISF, aboli en 2018, qui ne rapportait que 7 milliards. Compte tenu de la situation de blocage dans laquelle se trouve Macron, les capitalistes craignent que Lecornu ne fasse des concessions au PS pour sortir de cette impasse et éviter la censure au prochain vote du budget, en acceptant tout ou partie de la taxe Zucman. Par cet acharnement médiatique, ils tentent de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’aucun compromis ne puisse se faire.
Les capitalistes et leurs agents mettent en avant le fait que cette taxe aurait des effets délétères sur l’économie, en faisant fuir les investissements ou pire, favoriserait l’exil fiscal. Moins de capital signifierait destruction d’emplois, par ricochet baisse des recettes fiscales et par conséquent aggravation de la situation financière de l’État en plus de la dégradation du niveau de vie de la population. Voici le type de chantage auquel se livrent les capitalistes. Il paraît peu probable qu’augmenter la taxation à 2 % provoquerait un exil fiscal ayant un impact significatif sur l’économie française. Mais une taxation à ce niveau ne permettrait pas de mettre en place des réformes d’ampleur en faveurs des travailleurs, des étudiants, des retraités, des services publics, de la transition énergétique et écologique. Pour mettre en application des réformes inspirées du programme du PCF ou LFI, il faudrait élever considérablement le niveau de taxation sur le capital, en l’absence d’une rupture franche avec le capitalisme, c’est-à-dire l’appropriation publique de la propriété capitaliste.
Avec un tel niveau de taxation, le problème de l’exil fiscal et de la fuite des capitaux ne se poserait plus dans les mêmes termes qu’actuellement. À ce stade, ce sont des menaces qui n’impressionnent que les plus faiblards et les plus enclins à la capitulation. La proposition de Gabriel Zucman provoque un débat intense dans la sphère publique et médiatique. Nous devons la soutenir, comme nous soutenons toutes les propositions qui visent à faire contribuer les exploiteurs capitalistes à la solidarité, même si nous la jugeons bien trop insuffisante. Elle a le mérite de stimuler la lutte des classes et le débat autour des inégalités considérables entre la vaste majorité des gens et l’extrême minorité des « ultrariches » qui nous impose leur système.
Mais la classe capitaliste, en étant propriétaire des moyens de production et d’échange, possède un immense pouvoir entre ses mains. Par des actions de sabotage, fuite de capitaux, grève d’investissement, lock out et spéculation en tout genre, elle peut faire vaciller l’économie d’un pays entier et déstabiliser le pouvoir politique en place, si elle se sent mortellement menacée. Elle a démontré au cours de l’histoire que la défense de ses intérêts est supérieure à la vie humaine. Tant que le capitalisme régnera, il existera toujours une injustice entre les véritables créateurs de richesse, les travailleurs et les détenteurs des moyens de production et d’échange qui exploitent le travail salarié. Gabriel Zucman n’est pas un économiste marxiste, ni même anticapitaliste, mais plutôt un keynésien. Il prétend tenter redynamiser l’économie capitaliste en injectant un peu plus de « justice fiscale ».
Nous pensons à l’inverse que la seule façon d’en finir avec le marasme économique, social et les injustices est le renversement du capitalisme et le remplacer par le communisme, c’est-à-dire l’expropriation capitaliste et la planification démocratique de l’économie pour répondre au besoin de la population et résoudre les grands enjeux de l’humanité.
Gauthier HORDEL