Iran : le régime ébranlé par une mobilisation de masse

La femme, la vie, la liberté ! Tel est le mot d’ordre sous lequel un mouvement de masse de la jeunesse iranienne se mobilise contre le régime des Mollahs. Le mouvement a commencé après la mort de Mahsa Amini, une femme de 22 ans aux mains des forces de sécurité, le 16 septembre dernier. Les femmes sont la colonne vertébrale de cette lutte, qui dure maintenant depuis plusieurs semaines. Le régime est ébranlé. La mobilisation des travailleurs du secteur pétrolier, reliant leurs propres revendications à la dénonciation de l’assassinat de jeunes femmes par les forces de sécurité, est particulièrement dangereuse pour le pouvoir.  La répression a été brutale. Au moins deux cents personnes ont été massacrées. En plus de ces victimes « officielles », dont le nom, l’adresse et l’âge sont connus, des centaines d’autres figurent dans des témoignages des participants au mouvement, surtout chez les Kurdes et les Baloutches. À la fin du mois de septembre, il semblerait que près d’une centaine de personnes ont été tuées par les forces de l’ordre lors d’une protestation contre le viol d’une jeune fille par un officier de la police.

Après quatre semaines de mobilisation, la révolte se poursuit dans une centaine de villes et une cinquantaine d’universités. Elle gagne désormais les lycées. Plusieurs vidéos en ligne montrent des femmes, souvent aux cheveux découverts, défiant et chassant les représentants du régime et des forces de répression, scandant « Foutez le camp ! Mort à la dictature ! À bas la République Islamique ! » Dans la rue, on se bat contre les agents du régime pour empêcher des arrestations. On stationne des voitures pour bloquer les routes et gêner l’intervention des forces de l’ordre. Des protestations spontanées éclatent sur les marchés, dans les quartiers, dans les transports. La jeunesse contourne le blocage du réseau internet par d’autres moyens de communication pour coordonner le combat et échanger des idées.

Certes, les puissances occidentales s’intéressent beaucoup à ce qui se passe en Iran. L’hypocrisie de leurs gouvernements est sans bornes. Ils fustigent le régime et dénoncent les impositions faites aux femmes. Mais le régime en Arabie Saoudite – dont la politique envers les femmes est beaucoup plus draconienne que celle du régime iranien – ne leur pose aucun problème ! En vérité, le recours aux forces du fondamentalisme islamique passe comme un fil conducteur à travers la politique étrangère des grandes puissances occidentales, et cela depuis des décennies, que ce soit dans leur soutien aux Frères Musulmans en Égypte et ailleurs, dans le soutien qu’ils accordaient à l’intervention des Talibans en Afghanistan, ou encore leur coopération avec Al-Qaïda en Syrie ou en Libye. Par ailleurs, après la chute de la monarchie iranienne pendant la révolution de 1978-1979, l’installation au pouvoir de l’Ayatollah Khomeini était pour les puissances occidentales un moyen de dérailler la révolution et empêcher une rupture avec le capitalisme. Aujourd’hui, un changement de régime pourrait convenir aux États-Unis et à l’Union Européenne, mais seulement à condition que le nouveau régime s’aligne sur leurs propres intérêts économiques, stratégiques et militaires, et que les travailleurs et la jeunesse soient exclus du pouvoir. Cependant, quand l’Ayatollah Khamenei accuse les États-Unis d’orchestrer ce qu’il qualifie d’« émeutes » en Iran, ce n’est qu’une fabrication mensongère pour semer la confusion.

Il est évident que les revendications de la jeunesse concernant la liberté et l’égalité des femmes sont incompatibles avec l’existence même de la République Islamique. Mais le régime ne partira pas de son gré. Il ne cessera d’exister que s’il est renversé par un mouvement d’en bas. Or, malgré le courage et la combativité de la jeunesse, elles ne pourront pas aboutir sans une intervention en masse de la part de la classe ouvrière iranienne. Les grèves dans le secteur pétrolier, l’industrie du sucre et quelques autres secteurs marquent le début d’une nouvelle étape dans le processus révolutionnaire et pourraient bien se généraliser. C’est sur cette question que repose le sort du régime. L’Etat dispose de moyens de répression impressionnants. Le régime dispose également de réserves sociales non négligeables. La lutte est engagée, mais son issue n’est pas encore décidée.

Si jamais le régime tombe, qu’est-ce qui prendrait sa place ? Une grève générale en Iran pourrait paralyser l’économie et l’appareil de l’État. Elle poserait la question du pouvoir, la question de qui –  ou plus exactement de quelle classe sociale – doit prendre les commandes de la société. Cependant, poser la question ne signifie pas y apporter la réponse. Pour cela, au moins deux conditions sont nécessaires. Premièrement, celle de l’auto-organisation des travailleurs et de la jeunesse, pour permettre une coordination des luttes. Cette auto-organisation pourrait prendre la forme de shoras ou assemblées générales, qui font partie intégrante des traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier iranien. Un mouvement massif et uni de ce type pourrait mener au renversement de la République Islamique et, par la convocation d’une Assemblée Constituante, jeter les bases d’une nouvelle organisation sociale et politique de la société iranienne, fondée sur la démocratie, le respect des droits de minorités nationales et l’égalité complète entre les sexes. Deuxièmement, il y a la question du programme économique et social du mouvement, qui ne devrait pas se limiter à des réformes dans le cadre du capitalisme, mais au contraire viser l’expropriation des exploiteurs capitalistes et la mise en place d’une gestion démocratique et socialiste de l’économie par le peuple lui-même. À défaut de l’émergence de ces conditions organisationnelle et programmatique au cours de la lutte, le régime despotique des Mollahs pourrait bien survivre à l’épreuve actuelle – ou alors céder la place à une nouvelle forme de tyrannie.

La Riposte

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