Poutine veut prendre Kiev. Et Après?

Avant le coup d’État soutenu par l’Union Européenne et l’OTAN en 2014, qui a abouti à l’installation d’un régime pro-occidental, les conditions de vie de la masse de la population se dégradaient d’année en année, et cela depuis l’effondrement de l’URSS en 1990-91. La crise économique de 2013-2014, qui enfonçait des millions d’Ukrainiens dans une misère noire, formait l’arrière-plan des manifestations massives qui réclamait la chute du gouvernement et l’adhésion à l’Union Européenne. Les manifestations exprimaient des aspirations et des revendications contradictoires. Pour beaucoup, se rapprocher de l’Union Européenne traduisait le besoin de relancer l’économie, créer des emplois et démocratiser le régime. En même temps, l’extrême-droite nationaliste était une composante importante des rassemblements. Les Etats-Unis et les puissances européennes ont profité de la situation pour renforcer leurs positions stratégiques au détriment de la Russie.

Depuis cette prétendue « révolution », les problèmes sociaux et économiques persistent et s’aggravent. Le FMI et des banques centrales européennes imposent une politique d’austérité implacable, un vaste programme de privatisations et une forte contraction des dépenses sociales, qui sont passées de 20% du PIB en 2014 à 13% actuellement. L’annexion de la Crimée et la guerre civile dans l’Ukraine orientale, opposant l’armée ukrainienne et des milices fascisantes d’un côté, aux puissantes milices « autonomistes » soutenues par Moscou, de l’autre, ont déstabilisé davantage l’économie.

Aujourd’hui, les puissances occidentales déclarent leur soutien « ferme et indéfectible » de l’Ukraine. Ce qu’elles soutiennent, en réalité, c’est le droit de poursuivre leurs propres intérêts économiques et stratégiques, de s’assurer du remboursement des dettes et resserrer davantage leur mainmise sur ses ressources naturelles et productives. À partir de 2024, il est prévu que 42,7 millions hectares de terres exploitables fassent l’objet de transactions de vente possibles, soit une surface aussi grande que la Californie ou l’Italie. Le sort du peuple ukrainien, des travailleurs, des paysans, des jeunes, n’importe pas. Ce qui compte, c’est le profit, le pouvoir, la domination. Soutenir le gouvernement ukrainien, c’est soutenir le brigandage d’une oligarchie corrompue et ultra-réactionnaire qui a mené le pays au bord de la ruine, tout en augmentant massivement sa propre richesse.

Nous ne sommes pas opposés aux livraisons d’armes en toutes circonstances. La question est de savoir à qui elles sont livrées et en quoi ces livraisons aideraient la lutte contre le capitalisme. Livrer des armes à l’oligarchie réactionnaire ukrainienne – des armes qui, en d’autres circonstances seront retournées contre les travailleurs ukrainiens eux-mêmes – n’est pas admissible. A chaque fois qu’une guerre se déclare dans laquelle les grandes puissances sont impliquées, les organisations de gauche en appellent à l’ONU pour restaurer la paix. Cela n’a jamais eu lieu, pour la simple raison que les prises de position des gouvernements de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis ou de la France sont les mêmes dans les instances de l’ONU qu’en dehors. En toutes circonstances et partout, les grandes puissances défendent leurs propres intérêts. Si l’ONU n’a pas pu empêcher le déclenchement de cette guerre, on ne voit pas comment elle pourrait l’arrêter maintenant. Mais, le plus souvent, elle est un lieu de parade pour les grandes puissances, friandes de belles phrases et de grands discours. Dénoncer les gouvernements de Poutine, de Macron, de Biden, Xi Jinping et consorts, d’un côté, mais leur accorder notre confiance dès lors lorsqu’ils se retrouvent sous le logo de l’ONU, n’a pas de sens. Le capitalisme repose sur la concurrence, sur la lutte pour le contrôle des ressources naturelles, des marchés, des profits. Parfois, elle prend la forme de la guerre. Le chemin vers la paix passe par un combat révolutionnaire contre le capitalisme et l’impérialisme.

En plus de toutes les souffrances déjà supportées par le peuple ukrainien, il se trouve actuellement dans l’horreur indicible de la guerre. L’invasion de l’Ukraine lancée par Poutine est un acte réactionnaire, sans le moindre atome de contenu progressiste. Poutine ne représente pas le peuple de la Russie. C’est un homme extrêmement riche, au cœur de l’oligarchie toute puissante dont il défend les intérêts au Kremlin. La guerre actuelle est une guerre née de la rivalité entre deux camps réactionnaires. Les Ukrainiens qui cherchent à protéger leur famille et leurs foyers contre la plus grande mobilisation militaire en Europe depuis 1945 se trouvent confrontés en réalité à deux ennemis, celui de l’envahisseur extérieur et celui des oppresseurs de l’intérieur. Ils sont pris en étau entre les intérêts de l’impérialisme américain, des puissances européennes et de l’OTAN, d’un côté, et la rapacité du régime de Poutine de l’autre.

Le soutien à l’Ukraine, déclaré à cor et cri de Washington à Londres, en passant par Paris, démontre, au regard de la nature et des limites des mesures prises, les véritables priorités des gouvernements en question. Avant de les examiner, notons au passage qu’il n’a jamais été sérieusement question d’intégrer l’Ukraine dans l’Union Européenne. L’Allemagne, entre autres, s’y oppose catégoriquement. L’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine n’est pas, non plus à l’ordre du jour. Et maintenant, le soutien accordé à l’Ukraine a pris la forme de la suspension des opérations bancaires impliquant plusieurs banques importantes en Russie, dont Sberbank et VTB. Cependant, la Gazprombank, dont les opérations financières concernent le secteur énergétique international n’a pas été sérieusement inquiétée, jusqu’à présent. Clairement, les puissances européennes, l’Allemagne en tête, ne veulent pas compromettre l’exportation du gaz et du pétrole en provenance de la Russie. Près de 30% de l’approvisionnement énergétique de l’UE viennent de la Russie dont 40% pour le gaz. La vente de gaz, du pétrole et de produits agricoles, qui n’entre pas dans le champ des restrictions, représente plus de 60% des exportations russes. On peut se demander, dans ces conditions, que sera l’impact réel des mesures qui ont été prises. Il est vrai que l’exclusion des banques russes du système SWIFT est potentiellement très dangereuse sur le plan économique. Le rouble a déjà perdu 30% de sa valeur et les taux d’intérêt en Russie sont passé de 10% à 20% en l’espace de quelques jours.

Quel que soit l’impact des sanctions économiques à court terme, la question décisive, pour la Russie, est celle du déroulement de la guerre elle-même. Sur le papier, les forces armées ukrainiennes sont beaucoup plus faibles que celles de la Russie. Cependant, le rapport de force en termes de troupes et de chars n’est pas le seul facteur dans l’évolution du conflit. Si l’objectif de Poutine est de mettre en place un gouvernement à ses ordres, la question est comment il pourrait atteindre cet objectif dans la pratique. Même si les forces russes prennent Kiev, elles se trouveront au milieu d’une population hostile qui les verra pour ce qu’ils seront, à savoir une armée d’occupation étrangère. Un gouvernement fantoche installé par la force des armes russes n’aura aucune base sociale dans la capitale. Poutine va se retrouver dans le dilemme pointé par le Prince de Talleyrand, qui aurait dit à Napoléon Bonaparte : « Avec des baïonnettes, Sire, on peut faire beaucoup de choses, sauf s’asseoir dessus. » Autrement dit, dans le contexte ukrainien, les « baïonnettes » russes peuvent peut-être prendre Kiev, mais asseoir un appareil gouvernemental sur la présence de celle-ci sera beaucoup plus hasardeux. Ainsi, Poutine joue gros. Une victoire éclair lui permettant de prendre le contrôle de l’Ukraine avant que les conséquences économiques et sociales de la guerre ne déstabilisent sa propre position pourrait le renforcer pendant un certain temps. Mais cette perspective ne nous paraît pas être la plus probable. Il est bien possible, au contraire, que cette guerre fratricide finisse par répandre le chaos économique et l’instabilité sociale des deux côtés. Il n’y aura pas de paix et de stabilité durable sans que les peuples se débarrassent des oligarchies dont la soif de pouvoir et de profits a entraîné la région dans cette folie meurtrière.

La Riposte

One thought on “Poutine veut prendre Kiev. Et Après?

  1. Camarades
    Cette guerre menée contre le dictateur russe Poutine va avoir une portée négative aussi sur notre pays. Nous pouvons être que solidaire envers les ukrainiens. A Marseille déjà des ukrainiens sont arrivés mais plusieurs questions vont se poser: ou les loger? dans quelles conditions ? nous n’arrivons déjà pas à loger nos sdf

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