Lutte chez Thales: travail contre capital

Depuis fin janvier, le groupe français Thales spécialisé dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre connaît une vague d’actions, de mouvements et de grèves contre la politique salariale dictée par la direction du groupe vers ses différentes entités. Ce mouvement de colère des salariés qui se développe sur une quarantaine de sites en France est emmené par l’intersyndicale CFE-CGC, CFDT, CFTC et l’élément moteur la CGT. Thales est un groupe solide financièrement qui ne connaît pas de crise grave. Pourtant la politique salariale de ces dernières années n’a absolument pas été à la hauteur des performances financières du groupe. Tous les éléments de rémunération sont attaqués tour à tour : salaire, part variable, intéressement et participation… Mais le point culminant de cette politique fût le début de l’année 2021 (sélectivité dans les augmentations de salaires, décalage de 6 mois pour ceux qui obtiennent des augmentations…) avec comme prétexte la crise Covid. Durant l’année 2020, Thales a modifié sa politique financière, s’est réorganisé, a utilisé les dispositifs de soutien mis en place par l’État pour mettre une partie de ses salariés en chômage partiel, non justifié du point de vue des organisations syndicales. De cette manière, il a optimisé ses résultats financiers. Une aubaine pour les actionnaires ! Voici les mots du PDG Patrice Caine adressé aux salariés dans un e-mail l’année dernière: « En 2021, nous sommes en bonne voie pour sortir de cette crise, qui plus est dans une meilleure position que nos concurrents. Rien de tout cela n’aurait été possible sans vos efforts individuels et collectifs. Il m’apparaît donc essentiel de partager les fruits de notre succès avec ceux qui l’ont rendu possible, c’est-à-dire vous. SharingThales 2021, notre offre d’actionnariat salarié, vous offre la possibilité d’investir dans notre entreprise. ».

D’une certaine manière Patrice Caine à raison, c’est le travail individuel collectif des salariés qui permet de faire fonctionner l’entreprise et générer de la richesse. Les actionnaires ne jouent que le rôle de parasite en récoltant la part du lion. Par exemple, Dassault Aviation deuxième actionnaire après l’État, a bénéficié de plus de 90 millions d’euros de dividendes en 2021 au titre de l’année 2020. Le MEDEF se plaît à répéter inlassablement que ce sont les investisseurs qui créent l’activité et l’emploi, qu’ils prennent des risques, et qu’à ce titre, ils doivent être rémunérés. L’argent que Dassault a investi dans Thales n’est ni tombé du ciel, ni issue de la sueur du travail du patron. Il est issu de l’exploitation du travail des salariés de l’entreprise. Dassault pourra remercier la sueur venant des « efforts individuels et collectifs » des salariés. En proposant l’offre d’actionnariat salarié, Patrice Caine envoie un message clair : seul l’investissement capitaliste est récompensé. Le salarié qui espère prendre part aux « fruits du succès » en investissant dans des actions Thales se retrouvera un jour ou l’autre en contradiction entre les intérêts du salariat et ceux des actionnaires diamétralement opposés. Inéluctablement, l’action n’obtient du rendement qu’au détriment de la rémunération des salariés.

L’année 2020 a été l’opportunité pour Thales de restructurer son appareil productif afin de se fixer l’objectif ambitieux d’atteindre une rentabilité de 12 %, ce qui a de nombreuses conséquences : plan de réduction de postes, transfert d’activité à l’étranger, manque d’investissements dans la recherche et le développement. Cette politique répond à deux objectifs liés l’un à l’autre. D’une part, dans un article publié en juillet 2021, il était expliqué que l’économie capitaliste rencontre une difficulté majeure sous le poids de ses propres contradictions. Les taux de profits dans le secteur productif ont une tendance à la baisse, c’est-à-dire que les investissements sont pas ou peu rentables. Par conséquent, les grandes entreprises et les multinationales se tournent vers le secteur financier qui lui connaît de meilleurs taux de profit et permet une certaine profitabilité (jusqu’à ce que la bulle spéculative explose). D’autre part, il faut garantir une rémunération conséquente aux actionnaires. La politique de Thales est calquée sur ces deux objectifs. L’État en est totalement complice en tant qu’actionnaire majoritaire et ce sont les salariés qui en payent le prix.

C’est ce point de friction entre le capital et le travail auquel nous assistons à Thales. Même s’il n’est pas exprimé de manière pleinement consciente, les salariés entrevoient ce point de friction et se mobilisent pour défendre une répartition moins inégale de la richesse produite. Si le rôle des organisations syndicales est de défendre les intérêts des salariés en arrachant le maximum au capital, il est aussi nécessaire d’expliquer que cette répartition sera toujours inégale tant qu’une part du capital est détenue par des investisseurs privés et que l’État se comporte comme un capitaliste. Il est vital que l’État prenne le contrôle du groupe sous la direction démocratique des salariés. Voilà une action politique révolutionnaire. Les fenêtres pour obtenir l’attention des salariés sur ces questions sont rares mais c’est dans ces moments que les organisations syndicales et en premier lieu la CGT devrait s’efforcer d’expliquer la nécessité d’une telle politique comme seule perspective viable dans un capitalisme en voie de pourrissement.

Gauthier HORDEL CGT Thales

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