Il est totalement vain d’espérer une solution à la guerre en Ukraine par le biais de l’ONU, car c’est une « instance internationale » dominée par les mêmes puissances qui en sont responsables. Quant à l’envoi des armes en Ukraine, c’est-à-dire à un Etat entièrement dévoué aux intérêts égoïstes de l’oligarchie locale, il n’est pas admissible en principe et n’est même pas très utile militairement, d’autant plus qu’une partie de ces armes risque d’être récupérées par les forces armées russes. Mais alors, quelles sont les options stratégiques réellement ouvertes au peuple ukrainien (sachant que nous en excluons de cette catégorie l’oligarchie capitaliste qui a saigné le pays à blanc depuis des décennies) ? Dire « non à la guerre » est évidemment correct, mais cela ne peut être qu’un point de départ si nous cherchons sérieusement un moyen d’y mettre fin.
Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine pour agrandir la sphère d’influence – ou plus exactement de contrôle, de pouvoir – de l’oligarchie russe qu’il représente. Mais ce ne seront ni les hauts gradés de l’armée ni les capitalistes qui affronteront les dangers mortels de la guerre. Les dizaines de milliers de soldats russes, envoyés en Ukraine pour tuer et se faire tuer, ne sont pas là par choix. Au fur et à mesure que la réalité de leur mission deviendra claire, une partie des troupes ne la cautionnera pas. Dès le premier jour de guerre, à Moscou, à Saint-Pétersbourg et ailleurs, des manifestations contre la guerre s’organisent quotidiennement. Jusqu’au cinquième jour de guerre, la police de Saint-Pétersbourg a enregistré plus de 7000 arrestations de manifestants pacifistes. Beaucoup ont été placés en détention et souvent brutalisés. A l’université MGIMO, qui forme les futurs cadres de l’élite politique et administrative du pays, 1200 étudiants ont signé une lettre ouverte à Poutine, rédigée par une liste d’académiciens, écrivains, journalistes, etc. Ils écrivent qu’ils sont « catégoriquement opposés à l’action militaire de la Fédération Russe en Ukraine » et déclarent qu’ils considèrent « comme moralement inacceptable que de se monter discret et garder le silence alors que des gens sont en train de mourir dans un État voisin. Ils meurent par la faute de ceux qui ont préféré les armes à la diplomatie pacifique.» Malgré la répression, l’opposition à la guerre grandit, s’enhardit.
Les soldats ukrainiens quant à eux – tout comme les civils qui s’organisent et s’arment comme ils peuvent pour protéger leur famille et leur foyer – n’ont pas non plus choisi de se retrouver dans cette situation. De part et d’autre des lignes de front, de nombreux soldats et civils doivent sûrement avoir des attaches familiales et affectives transfrontalières. Entre tous les peuples de cette région, il y a comme une continuité sociale et historique, un entremêlement culturel et linguistique. Ils n’ont aucune raison de se voir en ennemis. Non, les organisateurs de cette folie meurtrière, ceux qui y voient un intérêt, sont ailleurs : dans des palais, dans des villas de luxe, ou en tout cas bien loin du danger. Et c’est là, dans la nature de classe de ce conflit, que réside la véritable clé de sa solution.
Les villes ukrainiennes sont bombardées. Kherson est désormais entre les mains de l’envahisseur. La prise de Kiev serait plus difficile, mais pas impossible. Même si cela se réalise, une fois ses troupes dans les villes, Poutine pourrait bien se trouver confronté à un phénomène beaucoup plus dangereux pour lui que les armes : la bataille des idées, la lutte pour les consciences. Le soldat russe a son arme, son sens de discipline, mais il a aussi sa conscience, sa morale. On peut très bien imaginer les chars et les unités militaires russes, sur les places et carrefours de Kiev, assaillis des interpellations des citoyens ukrainiens : Soldats ! Que faites-vous là ? Voulez-vous vraiment faire partie de cette mission abjecte ? Nos quartiers sont bombardés. Nos foyers brûlent. Des hommes, des femmes et des enfants, qui n’ont rien à voir avec l’OTAN, sont tués. Des milliers de vos camarades ont, eux aussi, perdu leur vie dans cette folie. Pourquoi cette guerre ? Dans l’intérêt de qui ? Si jamais les forces armées russes parviennent à neutraliser celles de l’Ukraine et occuper Kiev, des discussions de ce genre et des cas de fraternisation pourraient bien se produire, encouragées par le mouvement d’opposition à la guerre en Russie. Souvent, dans l’histoire, les guerres ont porté en elles les germes d’une révolution. C’est aussi une perspective possible dans la guerre actuelle. Elle changera la Russie et changera l’Ukraine également. La guerre et ses répercussions internationales ne peuvent qu’affaiblir le régime de Poutine en Russie, alors qu’en Ukraine, le désastre humanitaire et l’effondrement social et économique mettront brutalement en relief le rôle de l’oligarchie avant et pendant le conflit. La paix, la démocratie et l’émancipation sociale des peuples ne seront réalisables que par la remise en cause révolutionnaire de l’ordre établi, par le renversement des oligarchies dans les deux pays, par un mouvement vers l’établissement d’une Ukraine indépendante, démocratique et socialiste et l’extension de ce mouvement révolutionnaire vers la Russie, pour le renversement non seulement de Poutine, mais de toute la classe privilégiée et parasitaire qu’il représente.
La Riposte