Mexique : grève à l’université nationale autonome

Entretien avec Viridiana, enseignante et chargée de travaux dirigés à la UNAM (Université Nationale Autonome du Mexique)

Tu es impliquée dans la grève au sein du département de science. Pourrais-tu nous expliquer les raisons qui ont poussé les professeurs à se mettre en mouvement ?

Je suis une professeur “de asignatura” en Mathématique (statut comparable à celui de contractuel en France, NDLR). À la UNAM, nous sommes 75% de l’ensemble des professeurs à exercer sous ce statut. Notre contrat peut être renouvelé de semestre en semestre ou bien ne pas être renouvelé. Nous sommes donc dans la précarité. De plus, nous avons des salaires plus bas que les professeurs titulaires. Dans le contexte du Covid, un problème latent depuis plusieurs années a pris des proportions insupportables. C’est un problème concernant la rémunération qui touche l’ensemble de l’université et en particulier le département scientifique où je travaille.

Il y a une loi au Mexique qui interdit aux employeurs de ne verser les salaires que plusieurs mois après le travail effectué. Eh bien l’UNAM ne respecte pas la loi ! Nous ne sommes pas payés pendant plusieurs mois. Avant, on te payait 6 mois après au maximum. Maintenant, cela peut être huit ou neuf mois voire un an après ! Mais ce n’est pas tout. On s’est rendu compte que lorsque le salaire est versé, il est inférieur à ce qu’il devrait être. Il y a donc une seconde infraction à la loi. Dans mon cas, je devais recevoir 20 000 pesos et je n’en ai reçu que 3 000 !

Les autorités utilisent le contexte du Covid comme un prétexte. Elles expliquent les lenteurs administratives par le télétravail et les arrêts maladie liés à la pandémie. Mais nous savons d’expérience que c’est une pratique qui dure depuis des années, surtout à la Faculté de Sciences. Simplement, avec le Covid, le problème a gagné en ampleur.

C’est pour cette raison qu’un mouvement a été lancé en mars 2021. Des professeurs ont arrêté le travail mais officiellement on ne peut pas parler de grève. Ici, les syndicats de l’UNAM sont des syndicats “charro“, ou “jaunes”, au service de la direction de l’université. Ils prétendent que le problème sera bientôt résolu. Ils le minimisent. Pour que le mouvement soit reconnu comme une grève, il faudrait que les syndicats déposent un préavis de grève, mais ils ne l’ont pas fait. Nous avons arrêté de travailler tout de même, avec le soutien des étudiants. L’université est complètement paralysée… mais il n’y a pas de grève !

Comment la direction a-t-elle réagi ?

La direction de l’université a communiqué sur plusieurs registres afin d’affaiblir le mouvement. Les grévistes ont eu droit à un discours culpabilisant. La direction a également fait appel à la Constitution et au droit à l’éducation pour discréditer les professeurs favorables à l’arrêt des cours. Il y a eu aussi une campagne d’intimidation auprès des étudiants, en leur expliquant que si le mouvement se poursuivait, ils n’auraient pas leur semestre et perdraient leur bourse. L’expérience des luttes passées nous démontre le contraire : en 1999, il y a eu une grève de 9 mois pour défendre la gratuité de l’université. Au final, aucune des menaces mises en avant aujourd’hui ne s’est réalisée.

La direction dispose encore d’un atout puissant. Dans chaque faculté en lutte, il y a des assemblées générales hebdomadaires. Pendant ces assemblées, dans notre département, on s’est rendu compte que certaines personnes agissaient comme si elles étaient envoyées par la direction, pour proposer de terminer la grève. Elles s’y prennent en expliquant que les revendications sont justes, mais que la grève est contre-productive. Ces personnes ont commencé à jouer un rôle de division dans les assemblées, et pas seulement dans la Faculté des Sciences. Au Mexique, on les appelle des “esquiroles“, des personnes à double visage, qui font mine de soutenir le mouvement, mais agissent en fait dans l’intérêt de la direction. Leur discours trompeur a commencé à gagner de l’influence. Par exemple, la proposition de faire des votes en ligne est venue de ces personnes, et puis, lors des votes, on s’est rendu compte qu’elles en profitaient pour voter plusieurs fois ! C’est par ce procédé qu’elles sont parvenues à se faire élire comme délégués pour les négociations avec la direction. Ils vont négocier la fin de la grève, mais nous savons d’avance qu’avec de tels “représentants”, nous n’aurons pas la fin des pratiques illégales, ni moins de précarité, ni de meilleurs salaires.

Il y a aussi une assemblée universitaire réunissant l’ensemble des départements : économie, sciences humaines et sociales, médecine, etc. Et là aussi, on voit des personnes qui défendent la direction et qui cherchent à nous faire taire. Il y a une bataille pour savoir qui peut voter lors de ces assemblées. Comme l’élection de nos représentants a été frauduleuse, nous nous opposons à la limitation du droit de vote à ces représentants et demandons que chaque participant puisse voter.

Des négociations sont en cours, mais nous sommes certains de ne rien y gagner puisque nos “représentants” ont les mêmes idées que la direction. C’est pourquoi, avec celles et ceux qui ont décidé de poursuivre le mouvement, nous avons décidé de ne pas reconnaître leur délégation. Donc, il y a depuis la semaine dernière deux assemblées qui se réunissent séparément. Nous continuons la grève, mais dans l’autre assemblée ils sont en train de négocier la fin de la grève. Nous sommes donc dans une situation un peu critique.

Et les étudiants ?

Depuis le début, nous sommes soutenus par les étudiants. Chaque fois qu’il y a eu des votes pour savoir si les étudiants soutenaient la grève, la majorité a dit oui à plus de 70%. Mais nous craignons que ceux qui se sont désignés comme délégués affaiblissent le mouvement. C’est ce qu’il s’est passé dans d’autres départements. Les autorités ont pu envoyer un communiqué officiel pour annoncer la reprise des cours. En réaction, des étudiants ont décidé de boycotter les cours, voire d’occuper les locaux. Mais dans certains départements, cela a mis fin au mouvement, en particulier dans les départements moins combatifs, comme celui de la médecine.

Quelles sont vos revendications ?

En tant que professeurs de asignatura, nous n’avons pas le droit de travailler à temps plein. C’est un temps partiel subi. Nous n’avons pas le droit de travailler plus de douze heures par semaine, et nous sommes payés 100 pesos par heure. Nous devons avoir deux ou trois emplois à la fois pour survivre, soit comme enseignant dans d’autres écoles, soit en travaillant dans d’autres domaines. Je travaille par exemple dans une autre université et aussi sur des missions de recherche à durée déterminée. Nous sommes dans la plus grande précarité avec un bas salaire qu’ils paient non seulement en retard, mais aussi qu’ils ne versent que partiellement. Nous sommes exploités.

Les autorités nous répondent qu’il n’y a pas suffisamment d’argent dans les caisses de l’université pour augmenter les salaires. Mais on sait que ce n’est pas vrai. C’est une université autonome, mais son financement est public. La somme versée chaque année à l’université est suffisante, mais il y a une mauvaise utilisation de cet argent. Les occupants des postes de direction et d’administration gagnent beaucoup plus que nous, et certains gagnent même plus que le président de la République ! Le directeur de l’UNAM, par exemple, est payé 200 000 pesos par mois, et c’est à peu près pareil pour les directeurs des autres départements. Pendant ce temps, les professeurs de asignatura ne gagnent, eux, que 1000 pesos par mois. Il y a aussi le problème de la corruption. Sur le budget alloué au mobilier du bureau du directeur, par exemple, il s’est acheté un sofa à 100 000 pesos. C’est une façon de détourner de l’argent. Certains se paient des gardes du corps avec l’argent de l’université.

Avec cette grève, on veut que les choses commencent à changer. Au minimum, il faut que la loi soit respectée. Mais nous demandons plus que cela. L’université n’est rien sans les professeurs. Nous en représentons 75% et nous sommes traités de manière indigne. C’est inacceptable dans la meilleure université du pays.

Propos recueillis le 07/06/21

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