L’économie mondiale est entrée dans une crise particulièrement sévère, inaugurant une période de profonde instabilité sociale et politique, comme en témoignent les bouleversements sociaux et politiques majeurs qui ébranlent actuellement le continent latino-américain, de nombreux pays africains – dont, bien sûr, la Côte d’Ivoire – et le Moyen Orient. La guerre en Irak ne peut être dissociée de ce contexte général, car c’est précisément l’instabilité croissante des pays du Moyen Orient – et en particulier de l’Arabie saoudite – qui a poussé les Etats-Unis à intervenir d’une manière si décisive et foudroyante, et ce malgré les risques énormes que comportent cette agression du point de vue de l’impérialisme américain.
En France, le ralentissement de l’économie se poursuit et s’aggrave. Actuellement, son taux de croissance est à peine supérieur à 0%. Il y quelques mois, Francis Mer affichait encore son “optimisme” et prévoyait une progression de 2,5% pour 2003. Raffarin tente aujourd’hui d’expliquer la révision à la baisse de ces perspectives par les effets de la guerre en Irak. Or cet argument ne résiste pas à l’examen des faits.
Certes, la guerre aura des conséquences négatives pour l’économie mondiale. Mais son ralentissement a commencé en 2001, et pour certains pays dès 2000. Pour ce qui est de la France, la guerre ne fera qu’aggraver et prolonger un ralentissement économique qui remonte au printemps 2001.
Aucun pays ne peut échapper aux tendances économiques mondiales. L’effondrement de l’Amérique Latine et la stagnation de l’économie américaine, d’un côté, et le ralentissement qui frappe l’économie allemande, de l’autre, rendent illusoire toute perspective de reprise en France pour l’année en cours, et certainement pour toute l’année 2004. Dans ce contexte, les propriétaires des banques, des compagnies d’assurance, des groupes industriels les plus importants et des entreprises qui dominent tous les secteurs décisifs de l’économie française sont en train de prendre des mesures draconiennes pour sauvegarder leurs profits. Ils exigent des mesures d’urgence pour diminuer les coûts salariaux, augmenter le rendement de chaque heure de travail, réduire le nombre de salariés, augmenter la “flexibilité” de ceux qui restent et faire des économies sur tout ce qui ne garantit pas un bénéfice à court terme.
Le patronat exige des exonérations fiscales, la réduction des charges sociales, la privatisation de tous les services publics susceptibles d’être une source de profits, et une baisse de ce que Monsieur Raffarin appelle “le train de vie de l’Etat”. Les restrictions budgétaires sont à l’ordre du jour dans le secteur hospitalier, dans l’Education nationale et dans les services publics en général. Cet homme de “dialogue” – en réalité, un représentant aussi endurci que cynique des intérêts des riches – a convoqué un par un ses ministres pour leur imposer “le remplacement d’un fonctionnaire en fin de carrière sur deux” !
Les entreprises ou les branches d’activité qui ne répondent pas aux critères de rentabilité imposées par les actionnaires sont impitoyablement sacrifiées. Avec chaque mois qui passe, des dizaines de milliers de salariés supplémentaires sont jetés dans la pénurie, l’angoisse et l’incertitude du lendemain que vivent les chômeurs et leur famille. En février 2003, le nombre de chômeurs officiellement recensés – qui est bien en dessous de la réalité – avait atteint 2 489 000. Les jeunes sont les plus durement touchés par la montée du chômage. Toujours selon les statistiques officielles, plus d’un jeune sur cinq (22%) est au chômage, et ceux qui ne le sont pas occupent majoritairement des emplois précaires. Une jeune femme sur quatre est au chômage.
La régression sociale touche, d’une manière ou d’une autre, toutes les catégories de la population, exception faite de cette infime minorité que constituent les capitalistes. En 2001-2002, selon les statistiques de l’INSEE qui tiennent compte des revenus des ménages et des indices liés aux conditions de vie, tels que la capacité à se nourrir, se loger et s’habiller correctement, plus de six millions de personnes, en France, vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Le capitalisme condamne un nombre de plus en plus important de jeunes et de travailleurs à des conditions de vie véritablement inhumaines. Une enquête de l’INSEE réalisée à Paris, au cours d’une nuit de janvier 2003, a comptabilisé 8 000 personnes dormant dans la rue. La majorité de ces personnes étaient sans travail, mais l’enquête rapporte qu’un tiers des sans-abri ont un emploi dont la rémunération ne leur permet pas d’accéder à un logement. Parmi ceux qui travaillent, 8 % sont employés par des administrations publiques, et un quart ont un emploi à durée indéterminée. L’endettement constitue un élément important qui empêche le retour à la vie “normale”. La moitié des personnes qui dorment dans les rues de la capitale sont endettées à hauteur de 4 500 euros auprès de banques ou d’organismes de crédit !
Face à offensive du patronat et du gouvernement, ce sont les organisations syndicales qui constituent la première ligne de défense des travailleurs. Pour résister aux projets de Raffarin, le mouvement syndical a besoin de dirigeants au moins aussi déterminés dans la défense des salariés que le gouvernement et le MEDEF le sont pour le compte des intérêts capitalistes. Cependant, les directions nationales des syndicats, toutes confédérations confondues, manquent singulièrement de combativité. Chérèque est même allé jusqu’à féliciter le gouvernement pour la “détermination” dont il fait preuve sur la réforme des retraites ! Au congrès de la CGT, Thibault a repris un refrain auquel nous sommes habitués chez les dirigeants de la CFDT et FO. La CGT, expliquait-il, doit évoluer davantage vers un “syndicalisme de proposition”. Naturellement, un syndicat doit faire des propositions, même en direction du patronat. Mais surtout, il se doit de proposer aux travailleurs un programme de revendications et des méthodes de lutte qui soient à la hauteur des graves réalités du capitalisme de notre époque.
Hélas ! A entendre les différents dirigeants syndicaux, il semble que ce qui leur importe par-dessus tout, c’est d’être “écoutés”, “consultés” – en un mot, associés, en tant que partenaires, dans le “processus décisionnel” du gouvernement ! Comme s’il n’était pas évident que rien de bon ne sortira des pourparlers avec ce gouvernement. Les salariés sont confrontés à des problèmes très concrets, qui exigent une stratégie de lutte tout aussi concrète. Quel est le programme de des syndicats face à la menace de fermeture d’un site ? Accepter cette fermeture et négocier le meilleur “plan social” possible ? Comme pour les retraites, ou pour la défense de l’Education nationale et des services publics, des manifestations ne suffisent pas. Pour faire face à l’offensive générale menée par le gouvernement et le MEDEF, le mouvement syndical a besoin de s’unir et d’organiser, sur la base d’un programme général, des actions de grande envergure, à commencer par une grève générale de 24 heures des secteurs public et privé.
Que personne n’imagine que cette approche combative ne serait pas comprise par les salariés. Malgré la précarité croissante de l’emploi, qui ne favorise guère l’organisation de grèves, les statistiques concernant les conflits sociaux indiquent une progression importante et régulière du nombre de grèves depuis 1997. Seulement, malgré la combativité dont les grévistes ont fait preuve, souvent dans des conditions extrêmement dures, il est très difficile d’aboutir à un résultat satisfaisant par le biais de luttes isolées et sporadiques. La gestion des conflits avec les employeurs au “cas par cas”, comme le font les instances nationales des syndicats, tend à isoler et à démoraliser les travailleurs menacés de licenciements et de fermetures. Par exemple, concernant les entreprises dont l’activité est en baisse, le mouvement syndical doit lutter pour le partage du travail existant sans perte de salaire et sans aucun licenciement. Toute entreprise que les actionnaires ou autres propriétaires ne savent gérer qu’au détriment de l’emploi doit être nationalisée sans indemnisation, à la seule exception des petits porteurs sans autres ressources.
Le comportement de dirigeants syndicaux comme Denis Cohen, partisan de la privatisation d’EDF-GDF et de la remise en cause du statut et des acquis des salariés, est totalement inacceptable. De tels dirigeants, qui se sentent plus à l’aise dans la préparation des projets des capitalistes que dans la défense coûte que coûte des intérêts des salariés, doivent être remplacés par des syndicalistes dont la combativité et le dévouement à la cause des travailleurs ont été éprouvés. Aucune privatisation ne doit avoir lieu, et si le mouvement social n’arrive pas à l’empêcher, les dirigeants syndicaux doivent insister auprès des directions du Parti Socialiste et du Parti Communiste pour qu’elles s’engagent sur la renationalisation immédiate et sans indemnisation, par un futur gouvernement de gauche, de toute entreprise privatisée par la droite. Cet engagement rendrait pratiquement impossible la privatisation d’Air France ou d’EDF-GDF, puisqu’il porterait un coup fatal aux attentes des futurs acquéreurs. Par ailleurs, si François Hollande et les dirigeants du PS veulent prouver qu’ils ne s’opposent pas aux privatisations par pur opportunisme – étant donné qu’ils y étaient favorables à l’époque du gouvernement Jospin -, qu’ils s’engagent dès maintenant à réintégrer dans le secteur public toutes les entités privatisées sous les gouvernements de Chirac, Balladur et Juppé, ainsi que celles privatisées par Jospin entre 1997 et 2002.
Cependant, le type de nationalisation qui mettrait la production, la distribution et le système bancaire au service de l’ensemble de la société n’a rien à voir avec la monstrueuse caricature d’entreprise “publique” qu’était, par exemple, le groupe Elf. La corruption et toutes sortes de pratiques quasi mafieuses y régnait. Une véritable socialisation des moyens de production, dans laquelle le pouvoir effectif serait fermement entre les mains du salariat, permettrait l’élaboration démocratique et la mise en application d’une planification de l’économie en vue du bien commun. C’est ainsi, et seulement ainsi, que la société pourra se libérer de la domination d’une classe de profiteurs parasitaires, qui ne peut exister qu’en lui infligeant la régression sociale et le chaos économique.