Le « plan de paix » pour Gaza est une imposture et un piège

19 octobre 2025

Après deux années d’enfer, bombardée, pilonnée, mitraillée et délibérément affamée par l’armée israélienne, la population de Gaza peut désormais espérer en l’avenir, grâce à l’accord de cessez-le-feu. On pourrait comprendre même qu’elle se réjouisse de la fin des bombardements.

Mais un mauvais pressentiment plane autour de ses espoirs, et à juste titre, car l’accord de cessez-le-feu conclu à la hâte entre Trump, Netanyahu et divers gouvernements arabes – ces derniers faisant pression sur le Hamas pour qu’il l’accepte – est une fraude et un piège.

Rien dans cet accord ne laisse présager qu’à long terme, l’État d’Israël changera d ‘attitude concernant son déni depuis des décennies, des droits démocratiques et nationaux du peuple palestinien. Quant à un État palestinien, bien qu’il soit suggéré dans l’accord de cessez-le-feu, en réalité, il est très loin de voir le jour.

La pression exercée sur Israël par les États-Unis et les États arabes pour qu’ils mettent immédiatement fin aux bombardements de Gaza provient des dizaines de millions de travailleurs et de jeunes qui ont manifesté dans le monde entier contre le massacre qui dure depuis deux ans à Gaza. Ils seraient des millions de plus si les principaux États arabes comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et les États du Golfe n’interdisaient pas les manifestations pro-palestiniennes sur leur territoire, de peur qu’elles ne se transforment en une sorte de nouveau printemps arabe.

Ces manifestations de masse ont profondément ébranlé les politiciens traditionnels. Les preuves des meurtres et de la famine subis par la population palestinienne ont fait basculer l’opinion publique à une échelle sans précédent dans toute l’histoire d’Israël. Cela a contraint plusieurs gouvernements, dont celui de la France et du Royaume-Uni à « reconnaître » de façon symbolique la Palestine, malgré que dans les faits ils continuent d’une certaine manière de soutenir Israël, érigeant des obstacles à la création d’un État palestinien.

La sympathie mondiale pour Israël s’est inversée

Il y a quatre-vingts ans, à la suite de la révélation de l’horrible Holocauste nazi et du meurtre de six millions de Juifs européens, une certaine sympathie s’était manifestée à travers le monde pour le peuple juif qui luttait en Israël pour créer une « patrie sûre », même si cela se faisait au détriment des droits et des terres des Palestiniens.

Mais cette sympathie mondiale a été renversée. Israël est universellement méprisé : il est désormais considéré comme un État paria, connu pour avoir commis un génocide à Gaza et pour être en train de répéter lentement le même scénario en Cisjordanie. Israël est boycotté par des acteurs, des écrivains, des universitaires et, surtout, par des organisations syndicales du monde entier.

Toutes les organisations humanitaires et d’aide véritablement sincères de la planète ont condamné l’attaque israélienne contre la population de Gaza comme un « génocide », tout comme l’ONU et plusieurs gouvernements. Les sondages d’opinion montrent, même parmi les communautés juives du monde entier, et même aux États-Unis, un effondrement du soutien politique à Israël.

Ce sont avant tout ces facteurs qui ont poussé les principaux acteurs à conclure qu’ils avaient besoin d’un répit dans la guerre. Il y a quelque chose d’effroyablement bizarre dans le fait que Donald Trump, l’un des principaux facilitateurs du génocide de Gaza, se présente comme un « artisan de la paix ».

Trump – ou du moins ses conseillers – ont pris conscience que les massacres et la famine massive à Gaza ont causé des dommages politiques au prestige international d’Israël et des États-Unis. Il a suffi d’une légère pression sur Netanyahu – qui a été contraint de présenter ses excuses au Qatar pour l’attaque à la roquette contre le Hamas à Doha – pour qu’Israël, malgré ses protestations, accepte un accord.

450 millions d’Arabes auront suivi le génocide de Gaza à la télévision

Dans les États arabes également, un malaise croissant s’est fait sentir face à une offensive militaire unilatérale qui a fait près de 68 000 morts, dont plus de 20 000 enfants parmi les civils. Il s’agit bien sûr du nombre de victimes connues, mais selon les estimations, deux fois plus gisent sous des tonnes de décombres.

Ce qui inquiète les gouvernements arabes, c’est que cette offensive a été relayée par des journalistes courageux dans les foyers de 450 millions d’Arabes à travers le Moyen-Orient. Les dictateurs et les cheikhs arabes – à l’exception du Yémen – ont interdit les marches et les manifestations pro-palestiniennes. Les travailleurs et les jeunes ont le sentiment que leurs gouvernements sont restés les bras croisés pendant que leurs compatriotes arabes étaient massacrés.

Les manifestations de dizaines de milliers de jeunes contre la corruption et le chômage, tant au Maroc qu’en Tunisie, ont rappelé aux dirigeants arabes qu’ils sont assis sur un volcan et qu’ils tentent de faire passer la question palestinienne au second plan de leur agenda politique national.

Le seul élément concret de l’accord est la partie relative à la libération mutuelle des otages. Quant au reste de ce soi-disant accord de paix, il ne contient aucun engagement précis et seulement de vagues références à la négociation d’un règlement à long terme de toutes les questions en suspens.

Même l’accord sur la libération des otages comportait des zones « grises ». Comme on pouvait s’y attendre, le Hamas n’a pas pu récupérer facilement les corps des otages décédés. Néanmoins, la pression exercée par les familles des otages israéliens et la fausse indignation des politiciens israéliens face aux retards ont servi de prétexte à la suspension temporaire de l’aide alimentaire à Gaza. Le pire pourrait suivre, si le gouvernement israélien trouve une excuse.

Partout où il était possible de « contourner » l’accord sur les otages, le gouvernement israélien l’a fait. Comme on pouvait s’y attendre, la libération de prisonniers des prisons israéliennes, dont certains étaient incarcérés depuis des décennies, a suscité une ambiance festive parmi les Palestiniens.

Mais la méchanceté vicieuse de l’armée israélienne se manifeste dans ses menaces à l’encontre des communautés de Cisjordanie, auxquelles elle interdit de « célébrer » les libérations, car cela serait interprété comme un « soutien au terrorisme » et entraînerait une intervention de l’armée israélienne. Certains otages palestiniens, dont les maisons et les familles se trouvent en Cisjordanie, ont été libérés et « exilés » à Gaza avec interdiction d’entrer en Cisjordanie.

Les otages palestiniens sont traités bien plus mal que les otages israéliens

Les commentateurs ont également noté la différence d’apparence entre les otages israéliens et palestiniens qui ont été libérés. Les Israéliens ont pour la plupart été correctement nourris et n’ont pas l’apparence squelettique des Palestiniens, détenus dans des prisons où, selon B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits humains, la famine, le refus de soins médicaux et les agressions sont pratiqués de manière systématique.

Une fois que les otages des deux camps auront été libérés, que se passera-t-il ensuite ? Le Hamas n’a manifestement pas désarmé. Sa branche militaire a peut-être perdu la capacité de tirer des roquettes sur Israël, mais elle dispose de suffisamment d’armes légères pour rétablir son emprise sur ce qui reste du territoire non occupé par l’armée israélienne.

Plusieurs hommes accusés de collaboration avec Israël ont été sommairement exécutés par le Hamas. On leur a bandé les yeux, on les a forcés à s’agenouiller, puis ils ont été abattus à bout portant. Certaines des victimes faisaient partie du clan influent des Doghmush, rivaux du Hamas depuis des décennies.

Il semble impossible qu’une force internationale de « maintien de la paix » entre à Gaza, même si elle était composée d’États arabes. La présence continue du Hamas et de sa branche armée pourrait encore fournir un prétexte à Israël pour reprendre la guerre contre Gaza, avec une fois de plus des conséquences catastrophiques pour la plupart de la population.

Mais même sans reprise des bombardements, les deux millions de Palestiniens se retrouvent dans une situation infiniment pire qu’il y a deux ans. Le 7 octobre 2023 n’a pas marqué le début de la guerre, même si les commentaires récents dans les médias ont présenté cette date comme telle. Avant cela, pendant une quinzaine d’années, Gaza avait été maintenue comme une prison à ciel ouvert, encerclée de toutes parts par l’armée israélienne.

Cette enclave étroite était privée de toute possibilité de développement économique. Sa population était privée du droit de voyager. Israël contrôlait tout ce qui entrait et sortait de Gaza : l’électricité, l’eau, la nourriture, les médicaments et autres produits de première nécessité. La politique délibérée d’Israël était de priver les Gazaouis de tout espoir.

Ce podcast du journal israélien Haaretz montre « comment la guerre de Gaza a changé une génération de jeunes Juifs à travers le monde, selon leurs propres mots ».

La soi-disant « opération militaire » du 7 octobre 2023 visait peut-être à provoquer une guerre plus large au Moyen-Orient, impliquant le Hezbollah et l’Iran, qu’Israël aurait probablement perdue. Mais si tel était le calcul du Hamas, il s’est avéré être un pari imprudent voué à l’échec , avec un coût effroyable pour la population qu’il prétend représenter.

Une situation plus que catastrophique pour la population de Gaza

Plus de deux millions de personnes sont entassées sur un territoire plus petit qu’auparavant, une zone complètement dévastée par les bombardements. Non seulement elles sont davantage confinées, mais elles sont également encerclées par un déploiement beaucoup plus important d’armes, de chars, de drones et d’avions israéliens.

Le gouvernement israélien va-t-il se retirer des autres parties de Gaza qu’il occupe encore, à la suite de cet « accord de paix » ? Non, et Netanyahu a explicitement déclaré qu’Israël conserverait le « contrôle militaire » de Gaza.

En résumé, cet accord de cessez-le-feu a entraîné une cessation temporaire des bombardements sur Gaza, mais il n’offre aucune perspective de paix ou de prospérité à long terme. L’accord contient de nombreuses dispositions concernant les investissements à Gaza – qui est actuellement un immense tas de décombres (cinquante millions de tonnes selon l’ONU) – et la transition vers un État palestinien. Mais il s’agit là de paroles vagues et pieuses destinées à apaiser ceux qui s’opposent à Israël, en particulier dans le monde arabe.

Les accords d’Oslo de 1993, conclus entre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine de l’époque, Yasser Arafat, étaient considérés comme le début d’un processus de négociation menant à l’autonomie palestinienne dans un État séparé. Le prix Nobel de la paix 1994 a été décerné conjointement à Yasser Arafat et aux dirigeants israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin pour cet accord.

Pourtant, tout ce qu’ont fait les gouvernements israéliens successifs au cours des trente-deux dernières années est en contradiction directe avec les attentes suscitées à Oslo. Les gouvernements européens ont fait mine d’approuver la « solution à deux États » post-Oslo, même s’il était évident que le gouvernement israélien faisait tout ce qui était en son pouvoir pour tuer cette idée.

Depuis les accords d’Oslo, Israël a confisqué davantage de territoires palestiniens au profit des colons juifs, qui sont aujourd’hui plus d’un demi-million. Depuis le 7 octobre, des colons juifs armés, avec le soutien du gouvernement et de l’armée israéliens, ont mené une série de pogroms, chassant des milliers d’agriculteurs et de villageois arabes de leurs terres vers les grandes villes où ils peuvent trouver un refuge limité.

L’Autorité palestinienne, un vecteur de corruption

Bien qu’une Autorité palestinienne ait été mise en place après Oslo, elle s’est limitée à quelques villes de Cisjordanie et n’a jamais été qu’un vecteur de corruption, méprisée par la plupart des Palestiniens et, telle une « marionnette » du gouvernement israélien, incapable de défendre la population locale contre les raids et les meurtres perpétrés par l’armée israélienne.

Israël va-t-il cette fois-ci entamer des discussions sérieuses sur un État palestinien ? Non. C’est une évolution explicitement exclue par Benjamin Netanyahu et la plupart des autres dirigeants politiques. Une fois de plus, comme ce fut le cas avec Oslo, il semble que le résultat net de cet « accord de paix » soit de repousser toutes les questions importantes aux calendes grecques.

Pour l’instant, les bombardements quotidiens de Gaza ont cessé, mais la présence de l’armée israélienne à proximité de ce qui était autrefois des zones résidentielles continue de représenter un danger pour ceux qui reviennent. Il y a trois jours, six Palestiniens ont été abattus pour avoir commis le « crime » de fouiller les décombres de leurs anciennes maisons « trop près » de l’armée israélienne toujours déployée.

Sans investissements extérieurs, Gaza restera une zone sinistrée sur le plan économique. Elle a subi plus de dégâts pour sa petite superficie que la plupart des villes bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale. L’armée israélienne a systématiquement détruit tous les éléments de l’infrastructure civile normale – écoles, hôpitaux, universités, centrales électriques, stations d’épuration, etc. – ainsi que 80 % des habitations. Cela n’a pas été fait pour obtenir un avantage militaire, mais – comme les colonies juives abandonnées et démolies en 2005 – simplement pour rendre la région inhabitable.

Le soulagement apporté par la fin des bombardements incessants et de la famine est un répit énorme pour la population de Gaza, mais personne ne doit se faire d’illusions sur le fait que quelque chose ait vraiment changé à long terme. Il n’y a pas de lumière au bout du tunnel pour les Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie. Les deux populations sont dans une situation bien pire qu’auparavant.

Israël est toujours et doit rester un État paria

Israël reste un État paria. Le mouvement ouvrier international devrait suivre l’exemple remarquable des travailleurs italiens et continuer à refuser tout commerce, toute communication et toute relation avec Israël.

L’effondrement du soutien politique à Israël aura un effet corrosif sur la politique israélienne, car de moins en moins de Juifs dans le monde soutiennent encore ses politiques ou considèrent l’État israélien comme un « refuge sûr et viable » pour le peuple juif. La répression continue de la moitié de la population qu’il contrôle – et si besoin l’utilisation d’une politique qui s ‘apparente à l’apartheid – a pour corollaire inévitable que l’État israélien se tourne de plus en plus vers un régime autoritaire. Cela aussi exacerbera les tensions et les conflits politiques en Israël.

À l’heure actuelle, seule une minorité de la population israélienne considère qu’une stratégie d’apartheid qui repose uniquement sur la prédominance militaire n’est pas viable. Mais cette minorité s’agrandira lorsque le soutien international déclinant se traduira par des boycotts et une réduction du soutien diplomatique, économique et militaire.

Dans le même temps, c’est la classe ouvrière arabe qui représente potentiellement la plus grande force politique au Moyen-Orient, même si elle ne s’est pas encore exprimée. Cela aussi peut changer, car les États arabes sont emportés par la vague d’opposition des jeunes contre la corruption, le népotisme et l’appauvrissement du plus grand nombre au profit d’une minorité.

Les travailleurs et les jeunes arabes qui ont suivi les reportages d’Al Jazeera et d’autres agences de presse similaires au cours des deux dernières années se rendront compte que leurs gouvernements les ont trompés au sujet de cet « accord de paix » et, loin de les apaiser, cela ne fera qu’accroître leur colère face à la réticence de leurs gouvernements à lever le petit doigt pour aider la Palestine.

Nous avons donc une pause dans la guerre à Gaza. Mais ce n’est qu’un bref intermède dans une lutte beaucoup plus longue pour les droits nationaux, sociaux et démocratiques du peuple palestinien. Ce sont surtout les jeunes et le mouvement syndical qui ont brandi les drapeaux palestiniens au cours des deux dernières années. Nous espérons et nous attendons que la sympathie du mouvement ouvrier ne soit en aucune façon diminuée par cette fausse aube.

Left Horizon / La Riposte

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