Les discours populistes comme ceux de Marine Le Pen et Sarkozy, cherchant à jeter le discrédit sur les tribunaux, accusant les juges – mais seulement quand leurs décisions ne les conviennent pas – d’être « politisés » d’avoir un « tableau de chasse » ou de chercher une « vengeance politique », visent à exciter la défiance envers le système judiciaire. Fortement relayés par CNews, Europe1, BFM et d’autres canaux médiatiques, cette propagande finit forcément par influencer une partie de la population. Catherine Nay, éditorialiste politique d’Europe 1, nous explique que Sarkozy a été « blanchi de toutes les accusations principales », qu’il est « persuadé d’être martyrisé par la justice, ce qu’il est depuis des années, par Médiapart et par la Justice. On dirait qu’il y a un pacte. » Nicolas Sarkozy ne serait pas un criminel, mais une victime de la justice, qui aurait conclu un « pacte » avec Médiapart !
On a connu ce genre de manipulation de l’opinion publique concernant les affaires judiciaires du MODEM, des assistants parlementaires du RN, de Rachida Dati, et maintenant avec Nicolas Sarkozy et ses complices. Dans chaque instance, on prétend qu’il n’y a pas de preuves, que les accusations et condamnations sont motivées par des affinités politiques. Il y a eu parfois, bien évidemment, des décisions de justice qui relèvent d’une « justice de classe », fondée sur des lois injustes. Mais dans tous les cas mentionnés, il faut avoir un esprit particulièrement tordu pour prétendre que « les dossiers sont vides ».
Quels sont les faits ? Au mois d’avril 2012. Médiapart a publié un document provenant des archives de l’État libyen et daté de décembre 2006, qui faisait état de la promesse de verser 50 millions d’euros pour soutenir le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Sarkozy a déclaré que « le juge a dit » que le document est un faux. Or, effectivement, lors de la plainte de Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux contre Médiapart, la présidente du tribunal a effectivement dit que le document était « probablement » un faux. Cependant, après plusieurs années d’enquête, trois décisions de justice consécutives (première instance, appel, et à la Cour de cassation) ont relaxé Médiapart de « faux et usage de faux » et Sarkozy et Hortefeux ont dû verser de l’argent à Médiapart, en conséquence de leur plainte déboutée.
En vérité, l’essentiel de cette question est ailleurs. L’importance du document est qu’il a révélé la rencontre secrète qui a eu lieu entre Brice Hortefeux en tant que collaborateur de Nicolas Sarkozy et Abdallah Sanoussi, terroriste pour le compte de l’État libyen, et que c’est sur cette rencontre que s’appuyait – entre bien d’autres éléments – la charge d’association de malfaiteurs, dont Sarkozy a été trouvé coupable. Il s’agissait de discussions secrètes en vue du financement occulte de la campagne présidentielle de 2007. Rien ne prouve que le document soit un faux, et la Justice française, par ces trois jugements, dit qu’il ne l’était pas. Mais de toute façon, les négociations secrètes (à l’époque, mais plus maintenant grâce au travail de Médiapart), elles, sont parfaitement vraies.
Est-ce que le dossier est « vide », est-ce qu’il « ne s’est rien passé », autrement dit, quand, en automne 2005, Brice Hortefeux et Claude Guéant sont envoyés à Tripoli pour négocier le transfert des millions d’euros auprès du beau-frère de Kadhafi, condamné à la prison à perpétuité en France pour son rôle dans l’attentat contre le DC10 de la compagnie UTA en 1989 ? Rappelons que cet attentat a coûté la vie à 170 personnes, dont 54 français. Rappelons aussi que Sanoussi est également soupçonné d’implication dans l’explosion du vol Pan American 103 au-dessus de Lockerbie, en Écosse, en 1988. Qu’est-ce que c’est, si ce n’est pas « association de malfaiteurs » ?
Le jugement qualifie cette négociation de « pacte corruptif ». Les soutiens de Sarkozy déclarent sans sourciller que l’argent recueilli n’a pas servi à financer la campagne. Ils prétendent aussi que le jugement en dit autant. C’est faux. Le jugement dit que l’enquête a permis retrouver la trace, par des éléments matériels, des virements bancaires, etc., de 6,5 millions d’euros effectivement versés par le régime de Kadhafi, dans le but de financer la campagne présidentielle de Sarkozy et que des espèces en grosses coupures, illégales en l’occurrence, et d’origine incertaine, circulaient au QG de la campagne. Prétendre, dans de telles circonstances, à l’instar de certains journalistes et politiciens qui défilent sur les plateaux de télévision et les antennes de radio, que Sarkozy et ses complices sont innocents, que le jugement contre eux se base sur des motivations politiques et sont sans fondement en droit, relève tout simplement d’une conspiration orchestrée contre la vérité digne des soutiens fanatisés de Donald Trump aux États-Unis.
Si tout se passe comme prévu, Sarkozy ira en prison. En soutenant cette décision de justice, que nous trouvons, soit dit en passant, plutôt clémente au regard du crime « d’une gravité exceptionnelle » qu’il a commis, La Riposte n’invite pas ses lecteurs à avoir une confiance aveugle dans la justice et dans la magistrature. Nous savons pertinemment qu’il existe des lois injustes et parfois des interprétations contestables des lois. Plus généralement, nous savons que le droit, dans un ordre social donné, sert nécessairement à encadrer et perpétuer cet ordre, c’est-à-dire la domination des puissants capitalistes sur la vaste majorité de la population. Il y a bien des lois que nous voudrions supprimer. Mais d’autres lois sont nécessaires et justes, comme celles qui qualifient le comportement de Nicolas Sarkozy de criminel. Les magistrats en charge de cette affaire ont effectué leur travail avec diligence et professionnalisme. Aujourd’hui, ils font l’objet de menaces de violences et de mort.
Le traitement médiatique de cette affaire fait par la majorité des médias et particulièrement les chaînes d’information avec son lot de mensonges répétés en boucle, témoigne de la façon la plus flagrante les sournoiseries dont est capable la classe capitaliste pour défendre leurs intérêts. La manipulation de l’opinion publique n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Nicolas Sarkozy est l’un des représentants politiques de cette classe et a des liens organiques avec elle. Il est membre du conseil d’administration du groupe Accor, du groupe Barrière et du Groupe Lagardère détenu à majorité par le multi milliardaires Vincent Bolloré. Les médias CNews et Europe 1, en tête de prout dans la défense de Sarkozy, sont sous le contrôle de ce milliardaire. La quasi totalité des médias appartient aux capitalistes. Par ces canaux puissants, ils défendent un des leur et véhiculent leurs idées.
Les menaces et les cris d’indignation émanant des milieux réactionnaires montrent ils ne se contentent plus d’un système judiciaire ayant un rôle d’arbitre, appliquant la loi tout en conférant une certaine stabilité à l’ordre établi dans son ensemble. Elles veulent une justice qui ferme les yeux sur les crimes de leur camp. Ce dont elles ont besoin, ce n’est plus un arbitre, mais un esclave.
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