Géopolitique en miroir : quand le capitalisme mondialise la confusion

 Le brouillage stratégique des repères

Dans le grand théâtre des puissances mondiales, les rôles semblent de plus en plus inversés, confus, interchangeables. Ce qui hier était « gauche » devient aujourd’hui le porte-voix du capitalisme le plus débridé, pendant que l’extrême droite se pare d’un vernis protectionniste et anti-système. Jusqu’ici rien de nouveau me direz vous. Cependant le langage politique mondial se trouble, les repères idéologiques s’effondrent, et les classes dominantes en profitent pour verrouiller encore un peu plus le débat au profit de leurs intérêts. Face à cette confusion, seule une lecture marxiste permet d’y voir clair : qui produit, qui possède et quelle classe sociale s’exprime ?

États-Unis : Le capitalisme en mue, la classe ouvrière en désarroi

 Aux États-Unis, la confusion idéologique atteint son paroxysme. Le Parti démocrate, qui se présentait autrefois comme le porte-voix des syndicats et des classes populaires, a depuis des décennies viré vers un néolibéralisme assumé. Sous l’égide de Clinton, puis d’Obama et de Biden, les grands accords de libre-échange – ALENA, TPP, et autres pactes transnationaux – ont été portés aux nues. Résultat ? Une désindustrialisation massive. Des régions entières, notamment dans la Rust Belt, ont vu leurs usines fermer, leurs emplois partir vers le Sud ou vers l’Asie, et leurs communautés sombrer dans le chômage et la précarité.

Cette trahison néolibérale a provoqué une rupture durable entre le Parti démocrate et une partie de la classe ouvrière blanche, qui s’est sentie abandonnée. C’est ce vide politique que Donald Trump a su exploiter en 2016, avec un discours protectionniste, nationaliste et pseudo-ouvriériste. En imposant des taxes douanières sur les produits chinois, mexicains ou européens, Trump a en apparence mis un coup d’arrêt au libre-échange triomphant. Ce protectionnisme ne remet pas en cause le capitalisme – il en est une simple variante – mais il bouleverse le visage de la mondialisation : il recentre l’accumulation des profits sur le capital national, en sacrifiant le capital mondialisé.

Cette politique a eu des effets ambivalents : si elle a fragilisé certains secteurs liés aux importations bon marché (notamment dans la distribution), elle a aussi permis la réouverture partielle d’usines, la relocalisation d’une fraction de la production, et une hausse temporaire de l’emploi industriel. Pour une partie de la classe ouvrière, Trump a pu apparaître comme un recours, non pas en tant que figure de rupture anticapitaliste, mais comme celui qui fait vaciller un système mondialisé qui les avait broyés. Ainsi, malgré ses attaques contre les syndicats, plusieurs d’entre eux, comme les Teamsters, ont refusé de soutenir Biden en 2024 – certains allant même jusqu’à dialoguer avec Trump – signe que le clivage de classe est brouillé, et que la gauche institutionnelle a perdu sa boussole ouvrière.

Pour les marxistes, cela ne signifie pas qu’il faille se tourner vers un Trump perçu à tort comme « anti-système », mais qu’il faut saisir ces contradictions comme des brèches : si produire localement ne remet pas en cause le capitalisme, cela déstabilise en revanche les circuits de la valeur mondialisée et offre, pour un temps, un terrain de lutte plus visible, plus concret, pour les travailleurs.

Cette confusion idéologique au sein même des partis dits « de gauche » n’est pas propre aux États-Unis. Le Parti démocrate incarne aujourd’hui une impasse stratégique : il prétend parler au nom des minorités, des femmes, des travailleurs, tout en défendant bec et ongles les intérêts de la Silicon Valley, de Wall Street et du capital transnational. Une gauche qui ne remet pas en cause la propriété privée des moyens de production, les traités commerciaux, ni l’hégémonie des multinationales, ne peut pas être une gauche au sens marxiste du terme. Le Parti démocrate est ainsi devenu une coquille vide de sens, un appareil de gestion du capitalisme aux accents progressistes, mais aux pratiques parfaitement compatibles avec l’ordre néolibéral.

Cette contradiction se retrouve au Royaume-Uni avec le Parti travailliste. Depuis Tony Blair, le Labour a enterré son héritage ouvrier au profit d’une « troisième voie », qui n’a de socialiste que le nom. Même sous Jeremy Corbyn, tentative timide de retour à un programme de gauche, l’appareil du parti l’a combattu de l’intérieur avec la bénédiction des médias et du patronat. Aujourd’hui, sous la direction de Keir Starmer, le Labour se distingue à peine des conservateurs, si ce n’est par le vernis moral de ses discours. Les classes populaires n’y retrouvent ni leur langage, ni leurs intérêts. Cette coexistence entre des discours sociaux et des politiques néolibérales n’est pas seulement un problème de cohérence : elle contribue activement au brouillage idéologique global et à la démobilisation des masses.

Le capitalisme, lui, ne se soucie pas des étiquettes. Il prospère sous les démocrates comme sous les républicains, sous le Labour comme sous les Tories, et même – comble de la logique perverse – sous des régimes se disant encore communistes. Ce qui compte, ce n’est pas le discours, mais la capacité à garantir la circulation du capital, l’accumulation de la plus-value et la domination des bourgeoisies nationales ou transnationales. Et c’est là que la Chine entre en scène, offrant une synthèse déconcertante mais révélatrice : un régime à parti unique, officiellement communiste, devenu la vitrine du libéralisme mondialisé.

La Chine : communiste en façade, néolibérale en pratique

La Chine est sans doute le miroir le plus dérangeant de notre époque : elle se réclame du marxisme, du socialisme et d’un État dirigé par un Parti unique… tout en étant devenue l’un des acteurs les plus dynamiques du capitalisme mondialisé. Ce paradoxe apparent n’est pas simplement rhétorique : il structure une part décisive de l’économie mondiale et alimente la confusion idéologique globale.

 Officiellement, la République populaire de Chine revendique encore l’héritage de Mao Zedong, parle de « socialisme à caractéristiques chinoises », et affiche le drapeau rouge à cinq étoiles. Pourtant, depuis les réformes engagées par Deng Xiaoping dans les années 1980, la Chine a été le laboratoire d’un capitalisme autoritaire, basé sur la croissance à tout prix, l’ouverture aux capitaux étrangers, la flexibilité du travail, et l’intégration massive dans les chaînes de valeur internationales.

Aujourd’hui, la Chine est l’usine du monde. En 2023, elle représentait 14,2 % des exportations mondiales, maintenant sa place de premier exportateur mondial pour la septième année consécutive. Dans plus de 730 catégories de produits industriels, elle concentre plus de 50 % des exportations mondiales. Son excédent commercial pour l’année 2024 a atteint 993 milliards de dollars, soit près de 5 % de son PIB, un chiffre record.

 Mais cette puissance commerciale repose sur une exploitation massive de la force de travail. Les usines géantes de Shenzhen, Guangzhou ou Shanghai tournent jour et nuit, alimentées par des centaines de millions de travailleuses et travailleurs à bas coût, soumis à une discipline de fer, sans syndicats indépendants, sans droit de grève reconnu. Le contrôle du Parti communiste ne garantit pas une émancipation collective, mais une répression efficace de toute contestation sociale. Dans les zones franches, les conditions de travail rappellent parfois celles de l’Angleterre industrielle du XIXe siècle : cadences infernales, logements précaires, surveillance constante.

Ce modèle hybride – capitalisme sauvage et autoritarisme d’État – séduit de nombreux pays en développement. Il est vendu comme une alternative au modèle occidental. Mais il ne remet en cause ni la propriété privée des moyens de production, ni la logique de l’accumulation capitaliste. Il l’adapte simplement à un cadre dirigiste, où l’État agit comme garant des intérêts de la bourgeoisie nationale et des multinationales.

Le plus troublant, c’est que cette Chine-là, censée représenter le camp du socialisme, est devenue un pilier de la mondialisation néolibérale. Elle investit massivement en Afrique, en Asie et en Europe via les « Nouvelles Routes de la Soie », construit des ports, contrôle des mines, finance des infrastructures… et impose ses règles économiques. Elle détient des milliards en bons du Trésor américain, produit une part majeure des composants électroniques mondiaux, et est désormais le premier partenaire commercial de plus de 120 pays. Elle ne détruit pas le capitalisme global, elle en est un moteur.

Il ne s’agit pas ici de rejeter en bloc les avancées économiques de la Chine ou de tomber dans une critique occidentalo-centrée. Il s’agit de rappeler que la vraie ligne de démarcation ne se situe pas entre « Est » et « Ouest », ni entre « libéraux » et « autoritaristes », mais entre classes sociales. L’État chinois défend les intérêts de sa bourgeoisie – technocratique, capitaliste d’État ou privée – tout comme l’État américain défend ceux de Wall Street. Et dans les deux cas, les travailleurs trinquent.

En assumant désormais ouvertement son rôle de moteur de la croissance mondiale, la Chine ne fait plus mystère de son orientation : en mars 2024, le président Xi Jinping déclarait vouloir faire de la Chine « une puissance économique ouverte, compétitive, capable d’assurer la stabilité de la mondialisation » (Le Monde diplomatique, avril 2024). Ce n’est plus une trahison silencieuse du marxisme : c’est la revendication d’un néolibéralisme assumé, maquillé sous une rhétorique socialiste.

États-Unis contre Chine : un conflit de puissances, pas d’idéologies

 À écouter les diplomates et les médias dominants, le monde serait à nouveau scindé entre deux blocs : d’un côté, les États-Unis, bastion de la démocratie protectionniste, et de l’autre, la Chine, régime autoritaire, expansionniste et mondialisé. Cette grille de lecture semble renouer avec les ressorts de la guerre froide. Mais à y regarder de plus près, cette opposition cache mal une vérité bien plus triviale : il ne s’agit pas d’un affrontement idéologique, mais d’une lutte de pouvoir entre deux impérialismes rivaux au sein du même système mondial.

 La Chine ne remet pas en cause le capitalisme mondial : elle en est aujourd’hui un rouage majeur. Elle ne cherche pas à exporter une révolution communiste – comme pouvait le faire l’URSS à son époque – mais à sécuriser ses chaînes d’approvisionnement, ses corridors commerciaux, ses débouchés et ses investissements. Son internationalisme est un pragmatisme d’État, centré sur la défense de ses intérêts nationaux, de ses grandes entreprises d’État et de ses milliardaires. Est-ce bien différent des États-Unis ?

De l’autre côté, les États-Unis, loin d’être encore les champions du « monde libre », défendent avant tout l’hégémonie du dollar, le contrôle technologique global, les profits de leurs multinationales et l’encerclement militaire de leurs rivaux. Le discours démocratique n’est qu’un vernis pour légitimer les guerres économiques, les sanctions, et les alliances stratégiques.

Le conflit commercial, technologique et militaire entre Pékin et Washington ne repose donc pas sur des valeurs incompatibles, mais sur une rivalité pour le leadership mondial. Quand les États-Unis interdisent l’accès des entreprises chinoises aux semi-conducteurs de pointe, ce n’est pas par peur d’un modèle politique alternatif, mais parce qu’ils veulent conserver leur monopole sur les technologies stratégiques. Quand la Chine pousse ses entreprises à créer des alternatives aux GAFAM, ce n’est pas pour protéger les libertés numériques de ses citoyens, mais pour ne pas dépendre de firmes étrangères sur les segments les plus rentables du numérique mondial.

De part et d’autre du Pacifique, on parle deux langages, mais on produit la même chose : du profit. Le capitalisme d’État chinois et le capitalisme libéral américain partagent les mêmes fondements : exploitation de la force de travail, destruction de l’environnement, croissance par la dette, marchandisation de tous les aspects de la vie.

Pour le prolétariat mondial, il n’y a donc aucun camp à choisir entre ces deux empires. Le rôle des marxistes n’est pas de soutenir l’un contre l’autre, mais de dénoncer la nature commune de leur domination. Le choix n’est pas entre Pékin et Washington, mais entre la reproduction d’un capitalisme mondialisé – sous toutes ses formes – ou son dépassement révolutionnaire.

Europe : entre néolibéralisme soi-disant apolitique et capitalisme nationaliste et protectionniste

Tandis que les États-Unis et la Chine s’affrontent pour le leadership mondial, l’Europe semble se consumer de l’intérieur, piégée entre deux impasses idéologiques. D’un côté, les élites bruxelloises, les gouvernements dits « progressistes » et les technocrates des grandes institutions défendent un néolibéralisme mondialisé, maquillé sous les traits de la raison, du progrès, de la modernité. De l’autre, une extrême droite qui monte partout, prétendant redonner du pouvoir aux peuples, de la souveraineté, des frontières, tout en réhabilitant autoritarisme, racisme d’État et nostalgie nationale-capitaliste.

 Depuis la crise de 2008, puis les ravages du COVID et de la guerre en Ukraine, le consensus néolibéral s’effrite. Les promesses de l’Europe sociale se sont envolées. Les services publics sont démantelés au nom de la rentabilité. Les budgets d’austérité détruisent les droits sociaux acquis de haute lutte. Les traités européens interdisent toute planification réelle, toute politique industrielle souveraine. Ce « bloc bourgeois » – qui va de Macron aux Verts allemands – incarne aujourd’hui la version molle mais implacable du capitalisme globalisé. Il parle d’écologie pendant qu’il finance l’agro-industrie. Il parle de justice sociale tout en criminalisant les mouvements sociaux.

 Face à cette hypocrisie de classe, l’extrême droite gagne du terrain. En Italie, en Hongrie, en Pologne, en France, en Allemagne, elle promet de « reprendre le contrôle », de défendre les producteurs nationaux, de rejeter les règles européennes. Mais ce protectionnisme n’a rien de populaire : il s’adresse à la petite bourgeoisie désorientée, aux capitalistes locaux menacés, aux couches réactionnaires. Il ne remet en cause ni la propriété des moyens de production, ni l’exploitation capitaliste. Il remplace simplement le libre-échange mondialisé par un capitalisme national autoritaire. Ce nationalisme économique s’allie aux oligarques, comme jadis les fascismes historiques avec les Krupp et les Fiat.

En réalité, l’opposition entre ces deux blocs – néolibéralisme technocratique et nationalisme identitaire – est un faux choix, une diversion pour désarmer la conscience de classe. Les travailleurs n’ont rien à attendre ni de Macron ni de Bardella, ni de Von der Leyen ni d’Orban. L’un promet la rationalisation du désastre, l’autre sa brutalisation. Mais tous deux servent les intérêts du capital, sous des formes différentes.

L’Europe ne manque pas d’intelligence ni d’histoire révolutionnaire. Elle manque d’une force politique de rupture, capable d’articuler un projet socialiste clair, débarrassé des oripeaux réformistes et nationalistes, capable de relier les luttes sociales locales à un horizon internationaliste, capable de redonner une voix aux masses laborieuses. Faute de quoi, l’alternative restera : soit la soumission à une mondialisation capitaliste « éclairée », soit son remplacement par un capitalisme brun.

Le leurre des guerres culturelles : quand le capital impose le silence économique

Dans le paysage politique occidental, et particulièrement en Europe, les lignes de fracture ne se dessinent plus autour du travail, de la propriété ou de l’exploitation, mais autour de ce que les médias appellent les « enjeux de société ». Wokisme, islam, droits LGBT+, écriture inclusive, laïcité, sécurité, genre, viande bio dans les cantines : autant de sujets qui monopolisent les plateaux télé, les éditoriaux et les réseaux sociaux. Ce déplacement du débat est tout sauf neutre : il permet à la classe dominante de maintenir son pouvoir économique intact, tout en organisant une polarisation stérile du champ politique.

 En France, le spectacle est particulièrement révélateur avec le Nouveau Front Populaire, censé unir les forces de gauche contre la montée de l’extrême droite. À peine constitué, le front s’écharpe sur des broutilles : faut-il manger végétarien à l’Assemblée ? Le voile est-il compatible avec la République ? Doit-on conditionner le RSA ? Faut-il désarmer la police ? Faut il voter la censure ? Faut il aider à mourir ? Les uns accusent les autres d’être trop « de droite », trop « communautaristes », trop « identitaires »… Mais sur la question centrale du rapport capital/travail – celle qui détermine toutes les autres – c’est silence radio. Aucun débat sérieux sur les nationalisations, sur la fin de la précarité, sur la redistribution radicale des richesses, sur la sortie du cadre capitaliste. Les mots « expropriation », « propriété », « classe » sont devenus tabous, même à gauche.

La gauche institutionnelle, social-démocrate ou écologiste, a depuis longtemps déserté le terrain économique. Elle se veut progressiste sur les droits individuels, mais reste timorée sur la propriété des grandes entreprises. Elle parle d’égalité des chances, mais pas d’égalité des conditions. Elle défend la transition écologique, mais évite de nommer les profiteurs du désastre. Résultat : elle perd toute crédibilité auprès des classes populaires, qui ne voient plus dans la gauche une alternative sociale, mais une élite moralisante.

 En face, l’extrême droite récupère les fruits amers de cette capitulation idéologique. Elle détourne la colère sociale vers l’étranger, l’assisté, le musulman, le woke, le féministe. Elle prétend parler au nom du peuple, mais ne parle jamais de baisser les loyers, de plafonner les dividendes ou d’abolir la précarité. Elle protège l’ordre établi, offre une alternative au capitalisme, elle ne le renverse pas.

 Dans cette guerre culturelle permanente, le capital est le seul vainqueur. Il peut continuer à accumuler, délocaliser, licencier, exploiter, tout en regardant la société se déchirer autour de débats soigneusement vidés de leur contenu matériel. Le vrai clivage n’est pas entre les partisans du steak ou du tofu, du voile ou de la cravate, du RSA ou du travail : il est entre ceux qui possèdent et ceux qui produisent.

 Pour les marxistes, la priorité est claire : ramener la politique sur le terrain de l’économie, de la lutte de classes, de l’appropriation collective. Les questions culturelles ne doivent pas être abandonnées – elles sont bien souvent le terrain où s’exerce la domination – mais elles doivent être articulées à un projet de rupture économique. Car sans rupture avec le capital, il n’y aura ni justice sociale, ni émancipation véritable.

Le capitalisme caméléon et le seul terrain qu’il redoute

 Le capitalisme est un système incroyablement souple. Il peut épouser toutes les formes d’idéologies, tant qu’elles ne remettent pas en cause l’essentiel : la propriété privée des moyens de production. Il a su se faire libéral au XVIIIe siècle, colonial au XIXe, keynésien après 1945, néolibéral après 1980, et aujourd’hui il sait parfaitement se grimer en « progressisme » sur les libertés individuelles comme en conservatisme brutal selon les besoins du moment. Il finance à la fois des festivals inclusifs et des régimes autoritaires. Il s’achète une image verte tout en exploitant les pires mines de lithium. Il encourage la diversité dans les publicités tout en exploitant des enfants dans les ateliers textiles.

Le capitalisme n’a pas de convictions : il a des intérêts. Il s’adapte aux variations de l’opinion qu’il façonne lui-même, par les médias, par la culture dominante, par les fausses alternatives électorales. Il peut se draper dans les oripeaux d’un Macron centriste, d’un Trump populiste, d’un Poutine autoritaire, d’un Modi ultranationaliste, d’un Scholz gestionnaire, d’un Milei déjanté… Ces dirigeants n’ont rien d’opposé en profondeur : ils appartiennent à la même classe, celle qui gère l’économie pour le compte du capital. Leurs différences de style, de discours, de posture, ne sont que des variations de façade sur une même partition.

Ce qui brouille les pistes, ce n’est pas la complexité du monde : c’est la capacité du capitalisme à se rendre compatible avec tout, sauf avec sa propre remise en cause. Il peut tolérer le débat sur les mœurs, sur les mots, sur les coutumes. Il ne tolère pas qu’on touche à la propriété. Il ne tolère pas qu’on parle d’expropriation, de planification, de fin du profit. Il peut tout digérer, sauf cela.

 Et c’est là que la gauche institutionnelle s’est perdue : en désertant le terrain économique, en renonçant à affronter le capital sur ce qui fait sa puissance, elle s’est condamnée à l’impuissance. Elle multiplie les tribunes sur l’inclusivité, les chartes sur la représentativité, les débats sur la sémantique… mais elle a cessé de parler de nationalisations, de contrôle ouvrier, de grève générale, de rupture avec le marché.

 C’est sur ce terrain que renaîtra une vraie force populaire. Ce n’est pas une nouvelle gauche qu’il nous faut, c’est une gauche de combat, une gauche de classe, une gauche révolutionnaire, qui redonne à la lutte des classes sa centralité et à l’émancipation son contenu matériel. Ce n’est pas une question de style ou de communication : c’est une question de pouvoir.

Le capitalisme peut tout absorber sauf une chose : notre volonté de l’abolir.

Fabien Lecomte

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